Paris et Washington, qui ont présenté samedi au Conseil de sécurité un projet de résolution appelant à un cessez-le-feu immédiat entre Israël et le Hezbollah, ont choisi la veille de la tenue de la réunion extraordinaire des ministres des Affaires étrangères des pays membres de la Ligue arabe, prévue aujourd'hui à Beyrouth, pour lever le voile sur leur projet. Français et Américains tiennent à jauger la réaction des capitales arabes avant le débat et l'adoption par le Conseil de sécurité du projet franco-américain. Israël, qui a été très certainement impliqué ou à tout le moins consulté par les Américains et les Français dans l'élaboration de ce plan, a réagi favorablement à son contenu. Tout en émettant, par ailleurs, des réserves sur l'efficacité de ce plan s'il n'est pas accompagné immédiatement par une autre résolution de l'ONU relative au déploiement d'une force internationale d'interposition qui prendra le relais de l'armée israélienne dans le Sud du Liban. Côté libanais, en revanche, le ton est au ferme rejet du plan franco-américain. Le Premier ministre libanais a déclaré hier que son gouvernement allait introduire des modifications à cette feuille de route en exigeant le rétablissement de la souveraineté du Liban sur l'ensemble de son territoire qui passe impérativement par le départ des forces d'occupation israéliennes du Sud-Liban. Les Libanais considèrent que ce préalable doit être impérativement réuni avant le déploiement de la force d'interposition. Le gouvernement libanais, qui avait déjà présenté son plan de règlement du conflit en sept points à la conférence de Rome sur le Liban, qui s'était tenue fin juillet, espère pouvoir parvenir à dégager un large consensus arabe autour de ce plan lors de la réunion extraordinaire des ministres des Affaires étrangères des pays membres de la Ligue arabe qu'abrite aujourd'hui la capitale libanaise. Le plan libanais, rappelle-t-on, prévoit entre autres, un retrait israélien du territoire qu'il occupe au sud et la mise sous l'autorité de l'ONU des fermes de Chebaa occupées par Israël. Les tractations pour la tenue de la réunion extraordinaire des MAE arabes se sont intensifiées ces derniers jours pour tenter d'aplanir les divergences opposant les capitales arabes par rapport à ce conflit et de réunir les conditions politiques en vue d'une solution durable qui préserve la souveraineté du Liban et la stabilité de la région. En provenance de Ryad, le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, se trouvait hier à Damas où il a été reçu par le président syrien Bachar Al Assad. Les discussions ont porté sur « l'agression israélienne continue contre le Liban et les moyens de soutenir le Liban », selon l'agence de presse syrienne Sana. Bachar Al Assad et Amr Moussa ont également discuté de la réunion des ministres arabes des Affaires étrangères et des « contacts entrepris aux niveaux arabe et international pour un cessez-le-feu ». La Syrie que les analystes considèrent comme un élément clé de l'échiquier proche-oriental se considère virtuellement en état de guerre. Les combats, qui se déroulent à quelques dizaines de kilomètres de sa frontière, ont incité Damas à appeler ses forces armées à se tenir prêtes au cas où la Syrie serait attaquée. En diabolisant Damas, accusé de financer et d'armer le Hezbollah, les Américains et les Israéliens ont échoué dans leur tentative d'isoler la Syrie au sein du monde arabe. La présence de la Syrie à la réunion des MAE de la Ligue arabe est, à cet égard, significative de la solidarité des pays arabes à l'égard de la Syrie. Le président syrien, qui a trouvé auprès de son homologue iranien, le président Mahmoud Ahmadinejad, un allié sûr et de poids qui fait l'actualité internationale avec le dossier du nucléaire iranien, s'est entretenu samedi soir au téléphone avec ce dernier des moyens de soutenir le Liban, suite à l'agression israélienne contre ce pays, a rapporté hier la presse locale. Le président syrien avait reçu, mardi dernier à Damas, le ministre iranien des Affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, à son retour de Beyrouth. Faut-il attendre quelque chose de la réunion de Beyrouth ? Si les pays arabes parviennent déjà à parler d'une seule voix par rapport à ce conflit et fassent bloc derrière le plan de paix libanais - ce qui est loin d'être acquis quand on analyse les positions de la Jordanie, de l'Arabie Saoudite et de l'Egypte qui se sont alignés sur la position américaine qui fait porter la responsabilité de la crise au Hezbollah - c'est déjà une grande avancée politique dans la voie du resserrement des rangs arabes. Mais même unifiés, les Arabes peuvent-ils peser face aux Américains qui n'auront nul doute aucune difficulté à faire adopter par le Conseil de sécurité le projet de résolution qu'ils co-parrainent avec les Français ? Il n'est pas étonnant que certaines capitales arabes, notamment celles qui se sont déjà publiquement démarquées de la position officielle de la Ligue arabe, et d'autres qui soutiennent le Liban du bout des lèvres pour ne pas s'aliéner leur protecteur américain, aient déjà donné tacitement leur accord au projet franco-américain. Les causes arabes ont toujours été trahies de l'intérieur des régimes arabes. La réunion de Beyrouth d'aujourd'hui, qui a pour ambition de soutenir le plan de paix libanais, s'annonce d'ores et déjà comme un pari difficile à réaliser compte tenu des divisions des rangs arabes. La manœuvre franco-américaine apparaît dans toute sa clarté. En concoctant un « plan de paix » favorable à Israël tout en sachant qu'il sera rejeté par le gouvernement libanais et le Hezbollah parce qu'il ne prend pas en compte les intérêts stratégiques du pays, les Américains veulent passer à une phase supérieure de leur plan visant à imposer au Liban une solution de l'extérieur sous couvert de la légalité internationale en mettant à contribution l'instance onusienne. Une fois adoptée par le Conseil de sécurité, la résolution aura un caractère exécutoire. Le Liban risque alors de s'exposer à des sanctions internationales s'il s'oppose à l'application de cette résolution. Et la force d'interposition internationale, qui sera déployée au Sud-Liban, se verra en conséquence doter de missions offensives conformément à la charte des Nations unies. L'ONU deviendra alors le bras armé d'Israël au Liban. Un scénario à l'irakienne.