Bien qu'ils soient souvent menacés et parfois harcelés par la police, ils sont de plus en plus actifs. Les fraudeurs opérant de nuit constituent, sans nul doute, un véritable gilet de sauvetage dans la mesure où ils pallient aux défaillances du transport public. On les retrouve partout. Habituellement à proximité de la nouvelle et l'ancienne gares routière de Bouira, à la place publique et à proximité d'un établissement touristique. Ce sont les taxis clandestins appelés communément les fraudeurs. La ville de Bouira compte plus d'une centaine de personnes qui exercent comme chauffeur de taxi clandestin. Il est 21h. Au niveau de la nouvelle gare routière de Bouira, une dizaine de taxieurs clandestins attendent patiemment l'arrivée des clients. La gare routière est fermée. Aucun bus, ni taxi réglementaire n'assurent le service la nuit. Dans les quartiers du chef-lieu de Bouira où nous avons effectué une tournée, les ruelles sont désertes. Appuyé contre son véhicule, un mini bus, «Capsula», Ahmed attend d'éventuels clients. A 49 ans, cela fait plus de 15 ans déjà que ce père de trois enfants exerce cette activité. Ses collègues le surnomme l'ancien. «Je ne suis pas en règle face à l'Etat mais je le suis face à mes clients. Je suis obligé de faire ce travail pour mes enfants, payer leurs études, rembourser mes dettes et subvenir à leurs besoins. Nous assurons le service jusqu'au matin. Mais nous sommes constamment harcelés par la police», lance d'emblée, Ahmed, plutôt l'ancien. Frauder est son activité principale.Les fraudeurs avec qui nous avons passé plusieurs heures en cette nuit de vendredi affirment qu'ils n'ont d'autre choix pour subvenir aux besoins de leurs familles que d'exercer ce «métier». C'est le cas de Boubekeur, jeune habitant du centre- ville de Bouira, qui, après des années passées comme marchand ambulant au quartier «ex-rue de France», avant de se «reconvertir» en taxieur fraudeur. En colère : «J'ai travaillé comme vendeur de fruits au niveau de ce quartier durant des années. Je n'ai pas bénéficié d'un local dans le cadre de l'opération visant à éradiquer le commerce informel. La police m'a fait plusieurs saisies. Alors, comment nourrir mes enfants ?». Et à un autre d'enchaîner: «Nous acheminons des militaires et des policiers vers leurs casernes. Le lendemain ce sont ces mêmes policiers qui viennent nous verbaliser.» Samir un autre fraudeur, nous montre les PV. «On n'a pas d'autre fonction. Si demain je décroche un emploi, je cesserai ce travail trop risqué. Mais comment se fait-il qu'il y a des policiers, des fonctionnaires de la wilaya, des enseignants qui exercent ce métier. Eux ils ne sont pas dans le besoin», se demandent-ils. En montrant du doigt, deux personnes installées juste à côté d'eux. Des policiers. Propos déplacés et mal placés Des policiers en civil mais qui sont là, travaillent comme fraudeurs. Pour les taxieurs clandestins, tous des pères de famille, ces faux «policiers» ne sont jamais inquiétés par la police. Quelques minutes après, un bus s'arrête sur l'autoroute. Les fraudeurs interrompent leurs discussions. Un jeune homme demande une course vers la commune de Ain Laloui, à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Bouira. C'est le tour de l'ancien qui s'en charge. 400 DA. Le jeune accepte sans chercher à négocier le prix. 23h. un fraudeur nous fait signe de l'arrivée de la police. «C'est le veto. Il faut s'en aller mes amis, mais on se retrouve ici le temps que les flics partent», dira l'un d'eux. Un autre automobiliste fraudeur arrive. C'est Hamza, la trentaine. Il a passé un mois en prison, après s'être chamaillé avec un policier qui, selon lui, l'a intimidé. «J'ai passé un mois en prison mais je remercie le juge qui m'a fait libérer. J'ai rien fait, j'ai juste demandé au policier pourquoi il usait d'un vocabulaire insultant envers moi». Avant d'achever les faits, l'officier de police lui demande : «Tu es encore là, toi ? tu veux retourner en prison ou quoi ? Allez, démarrer d'ici !». Sans réplique, Hamza mis sa capuche et quitte l'endroit. A notre question sur la présence de policiers fraudeurs, l'officier nous répond : «Donnez moi leurs noms, c'est impossible !». Un fraudeur s'approche de nous en donnant les marques de véhicules des policiers fraudeurs. L'officier visiblement gêné réitère l'ordre de libérer les lieux. «Vous êtes journaliste, je vous connais, venez au fourgon, on discutera à l'aise.», nous demande avec beaucoup de gentillesse un autre officier. «Vous savez, ils, (les fraudeurs ndlr) connaissent l'heure de notre passage ici. Mais c'est la loi, la fraude est illégale. Je sais que certains parmi eux n'ont pas d'autres job, mais comment expliquer- vous que certains fraudent avec des voitures de haute gamme», explique notre interlocuteur. Cependant, rien ne pourra justifier les descentes parfois punitives de la police qui motivent leur action par le fait que se sont des taxieurs réglementés qui dénoncent la présence illégitime de ces fraudeurs. Mais, aucun taxi réglementaire, ni encore de bus n'assurent de service à partir de 20h en cette ville. Ex-inspecteur de police reconverti en taxi clandestin «Certes, parmi ces fraudeurs figure un ex-inspecteur de police mais ce dernier avait été révoqué pour d'autres raisons. Maintenant il ne fait plus parti du corp de la police», dira encore l'officier. C'est l'heure de départ. Samir, que nous avons accompagné tout au long de ce reportage dira : «Heureusement que mon père m'a légué cette voiture, sinon, je ne sais pas ce qu'il serait advenu de moi», dira-t-il, pensif, ce jeune homme de 28 ans. Sur un ton plus raisonnable, il ajoutera : «A part les fraudeurs, les passagers ne trouvent personne pour les conduire jusqu'à Lakhdaria, Ain Bessem ou Ath Rached à cette heure tardive. En tout cas, nous reviendrons toujours travailler ici». Une chose est certaine, l'activité de ces taxieurs clandestins n'est pas signalée uniquement à Bouira. Une fois que la police a quitté les lieux, les fraudeurs ont repris leur place. A Bouira, et devant la prolifération de plusieurs phénomènes qui portent atteinte à la sécurité des usagers notamment en cet endroit précis, sis à la sortie de la ville de Bouira, à proximité de l'autoroute est ouest, où la délinquance règne, la police ne doit pas se focaliser uniquement sur ces clandestins qui, de l'avis de nombreux usagers, rendent plutôt des services considérables en palliant à l'absence de bus et autres taxi réglementés.