Un terrain vague ceinturé d'un mur, des oliviers pour rappeler Al Qods et des citronniers pour se souvenir de Yafa et de Hayfa et des roses blanches. Comme un jardin abandonné. « Des roses blanches pour dire au monde entier que le sang des martyrs réclame la paix et l'espoir de notre retour », dit Ahmad, Palestinien, la cinquantaine, un des fondateurs de l'ONG du Secours populaire basée dans les camps palestiniens de Sabra et de Chatila aux abords de la banlieue sud de Beyrouth. Sous nos pieds sont enterrées dans une fosse commune les 500 à 5000 victimes des massacres de septembre 1982, lorsque l'armée israélienne a supervisé le carnage mené par les Phalangistes libanais du 16 au 18 septembre contre les réfugiés palestiniens, restés sans défense alors que les combattants de Fatah ont été obligés de quitter le Liban suite au siège meurtrier de Beyrouth de juin à septembre 1982. Dépotoir public jusqu'en 1998, nettoyé qu'à l'occasion des commémorations, le petit terrain appartenant à la famille beyrouthie Chatila a été racheté par la municipalité de Ghbiriyeh sous la pression de militants de la société civile, à l'occasion du 50e anniversaire de la Nakba (la catastrophe, création de l'Etat d'Israël en 1948). Un panneau reproduit les portraits de la famille libanaise Al Moqdaq totalement décimée par les assassins restés impunis. « Les Phalangistes sont rentrés à partir de l'actuel siège de l'ambassade du Koweït vers l'ex-hôpital Ghaza – pillé par Amal durant la ‘‘guerre des camps'' de 1985 – en massacrant systématiquement hommes, femmes, enfants et bébés, tout le long de cette rue sur une profondeur de cent mètres », raconte un habitant de Chatila qui s'était alors enfui du siège de Beyrouth, avant la terrible nuit du 17 septembre. « Douze sages palestiniens se sont déplacés au campement israélien pour leur dire qu'il n'y avait aucun homme armé dans les camps. En revenant, les Israéliens leur ont tiré dans le dos », raconte Ahmad. Chatila : plus de 8000 réfugiés entassés dans un bidonville soumis aux pires conditions de vie. Dans la « Bande Ouest » de Chatila, près de la ville sportive où s'est positionnée en hauteur l'armée israélienne en septembre 1982 sous le commandement du général Ariel Sharon, aux premières loges du massacre, des gamins s'amusent dans un bassin d'eau sur le toit d'une des bicoques en parpaings dont l'enchevêtrement compose le quartier. « Les autorités libanaises ont permis à des gitans d'installer leurs tentes juste derrière nous pour nous empêcher de construire plus », dit un habitant du quartier ouest. Libanais réfugiés chez les réfugiés palestiniens Le terrain n'est pas reconnu par l'UNRWA (l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient ), car non loué par cet office, contrairement au reste du camps créé en 1952. 400 000 Palestiniens vivent actuellement au Liban. Lors de et après la création de l'Etat israélien en 1948, près de 800 000 Palestiniens ont été contraints à devenir des réfugiés. Eux et leurs descendants sont actuellement la population de réfugiés qui a le plus et le plus longtemps souffert au monde. Sabra est devant : d'abord le marché de fruits et légumes où s'approvisionnent les restaurateurs du centre-ville de Beyrouth le matin. Mauvaise chaussée étroite entre les étals et les boutiques de fortune. Circulation difficile même pour les nombreux scooters, alors qu'en cette matinée caniculaire de dimanche 6 août, 61 ans jour pour jour après le bombardement de Hiroshima, l'aviation de chasse israélienne vole au-dessus de nos têtes. « Après la guerre, la question des armes palestiniennes au Liban sera posée. Nous disons que nous avons des armes pour nous protéger d'Israël, mais tout le monde va répliquer que les camps palestiniens n'ont pas été bombardés, alors pour qui ces armes ? », dit Thabet, volontaire humanitaire palestinien. « Nous, Palestiniens du Liban, sommes réjouis de voir l'unité des Libanais toutes confessions confondues dans cette guerre », s'exprime un commerçant du marché de Sabra. « Des centaines de familles libanaises se sont réfugiées dans les camps palestiniens, à Chatila, Sabra, à Aïn El Helwé à Saïda (le plus important camps palestinien du Liban, comptant 42000 réfugiés). Les Palestiniens partagent les aides de l'UNRWA avec les Libanais fuyant les bombardements », témoigne une journaliste libanaise. « Les camps des Palestiniens chrétiens de Dhebyeh et d'Al Bas accueillent les Libanais chiites du Sud », nous indique-t-on. « La guerre actuelle a détérioré nos conditions de vie : les Palestiniens, interdits d'exercer au Liban 73 métiers, sont obligés de se rabattre sur des métiers manuels, même s'ils sont médecins ou journalistes. Et dans ce contexte de guerre, il n'y a plus de travail. Déjà que notre quotidien est précaire », explique Ahmad. Au Liban, les Palestiniens sont interdits de voyager en Syrie, d'avoir des propriétés et même de fonder une association, « on ne pouvait appeler notre fondation le ‘‘Secours palestinien'' », explique Ahmad. « L'Autorité palestinienne refuse également qu'on quitte nos camps. Nous sommes une carte politique importante. Les réfugiés sont des boucs émissaires », ajoute Nabil, jeune Palestinien rencontré dans la « Bande Ouest » de Chatila. Le seul papier que possèdent les Palestiniens du Liban reste leur carte octroyée par le haut comité des réfugiés libanais. Mais pas seulement. Ahmad garde toujours sur lui quatre photographies de Baldat Echikh, son village à 3 kilomètres de Hayfa. « Mon grand-père m'a dit que notre maison entourait l'endroit où est enterré Azzedine Al Qassam (révolutionnaire palestinien tué par les Anglais en 1936) », raconte Ahmad. En 1994, une de ses amies canadiennes part pour Hayfa et il lui demande de prendre des photos des alentours de la célèbre sépulture. « Il reste de la maison de mes grands-parents un mur et deux arbres. Quand mes enfants regardent ces photos, ils pleurent. Mon fils est parti étudier en Suède et veut prendre la nationalité suédoise pour pouvoir revenir en Palestine et racheter ce terrain », dit-il en essuyant une larme. « Je pleure de bonheur. Golda Meïr (ancienne Premier ministre israélien) disait que son cauchemar est que des Palestiniens prenaient des nationalités autres pour pouvoir racheter des terres en Palestine. Son cauchemar se réalise », lâche Ahmad qui se rappelle des récits de ses grands-parents : « A Baldat Echikh, que les Israéliens ont renommé Tel Hanin, vivaient avant 1948 quatre familles chrétiennes, trois familles juives de Palestine et cinq familles musulmanes. Elles célébraient ensemble les fêtes religieuses des trois croyances ». Ahmad garde-t-il l'espoir du retour ? « Nous tenons à notre terre comme nous tenons à notre propre âme », répond-il. Plus de quatre millions de réfugiés palestiniens vivent à travers le monde.