Boulimat. Le rivage évoque pour les nostalgiques, par la difficulté d'y parvenir jadis, une destination lointaine, mystique et, de par les ingrédients dont Dame Nature l'a gratifiée, édénique. Le bitumage de la liaison à partir de l'embranchement sur la RN 24 est récent. Dans les années 1960 et 1970, seuls les vaillants campeurs affrontaient, sac à dos et sac de couchage de fortune, une piste cahoteuse. Les plus veinards seront pris en stop par les rares et téméraires automobilistes pour qui l'envoûtement de Boulimat « dégomme » l'inconfort de rouler sur une suite de cailloux, de crevasses et de poussière. Mahmoud, aujourd'hui presque sexagénaire, parle avec passion de cette époque idyllique. « On se retrouvait, à tout casser, en comptant les deux ou trois familles qui y vivaient à longueur d'année, pas plus d'une vingtaine de campeurs sur un rivage de 800 à 1000 m de longueur. La ville de Béjaïa difficile à joindre, on partait faire les provisions à tour de rôle pour le reste des campeurs, même pour ceux avec qui on ne partageait pas le campement. On mangeait du pain sorti de la boulangerie une semaine auparavant… Pâtes et légumes secs accompagnaient souvent le poisson qui peuplait alors les eaux de Boulimat. L'éloignement ou, dirait-on, l'isolement, conférait une valeur inestimable aux provisions et la convivialité engendrée rendait le séjour encore plus agréable ». La communion intégrait les autochtones qui offraient fruits et légumes cueillis dans leurs potagers et alimentaient la colonie en eau potable, ajoute le nostalgique. Aujourd'hui, les choses ont changé ; le confort est réel et la magnificence des lieux n'est en rien amoindrie, bien que rompue par endroits par un envahissement des cabanes sans âmes ni attraits notamment au lieudit Baxter. Après l'embranchement au Kilomètre 6 sur la RN 24, l'iode mélangé aux senteurs dégagées par les pins, les oliviers, le caroubier, le genévrier et le reste du maquis des montagnes des Mezzaïa, embaume l'air. A l'approche de Tazeboujt, une crique précédent Boulimat, l'autre versant des Sbaâ Djebilet de Gouraya se dessine sur une pente abrupte qui se jette dans la mer. Les trois voies d'accès qui y mènent déversent un sempiternel flot de voitures, de fourgons, de motocyclettes et pleins de gens qui y vont à pied. Une plage de sable fin en demi lune enserre un plan d'eau des plus limpides ; le fond de galets est un véritable spectacle d'algues mouvantes et d'alevins qui se risquent jusqu'au ressac. En face, l'île des Pisans. Une île hérissée de buissons et d'écueils, distante du rivage de près d'un mile. Un véritable vivier où une multitude de rongeurs trouve pitance. On raconte que les tribus des Mezzaïa l'avaient, dans le passé reculé, élue comme lieu de mise en quarantaine des cheptels touchés par les épidémies. Les quarante jours écoulés, on venait récupérer les plus coriaces des bêtes. Un épisode autrement plus triste est collé au carnet historique de l'endroit. Dans les années 1950, des écoliers de Amtik n'Tafat, un chef-lieu du douar environnant, accompagnés de leur instituteur, étaient attirés à leur arrivée par l'énorme éminence verte crevant le plan d'eau. Ils s'étaient immédiatement jetés à l'eau, trompés par l'effet d'optique qui présentait l'île comme plus proche de la plage. Cela a tourné au drame et beaucoup n'ont pas échappé à la noyade. La légende attribue à l'île des Pisans un fait beaucoup plus mythique : accompagné de Sidi Touati, un érudit, Nacer Ibn Hammad Ibn Alenas, souverain hammadite, s'y isola car ne pouvant digérer la mort à petit feu de son royaume au XIIe siècle. Cet habillage mystique accentue la beauté magique de Boulimat dont le nom évoqué autrefois par les seuls intrépides aventuriers s'est fait une place de choix de nos jours dans le calepin des touristes nationaux.