-Quel est le constat général fait lors de l'expédition scientifique de Tara en Méditerranée ? La stratégie d'échantillonnage de l'expédition Tara Méditerranée était de prélever au large, mais aussi près des côtes, près des embouchures de rivières et dans les ports afin d'étudier l'influence exercée par le milieu terrestre. A chaque station de prélèvements, des échantillons ont été collectés en surface au moyen de filets spéciaux. Les échantillons collectés seront destinés à l'identification chimique du plastique collecté, à l'analyse microscopique et à l'étude de la colonisation du plastique ainsi qu'à l'étude de l'interaction entre le zooplancton (la base de la chaîne alimentaire marine) et le plastique. Les analyses des échantillons débuteront en décembre et les premiers résultats sortiront à partir du printemps 2015. Mais les premiers constats de Tara Méditerranée sont édifiants ! Selon le directeur scientifique de Tara Méditerranée, Gaby Gorsky (CNRS/UPMC) et la coordinatrice scientifique de Tara Méditerranée, Maria Luiza Pedrotti (OOV CNRS/UPMC). «Des fragments de plastique ont été trouvés à chaque relevé de filets et cela de l'ouest à l'est de la Méditerranée. Avec une concentration de plastique plus importante observée devant les grandes villes, mais également avec des concentrations non négligeables en haute mer.» Martin Hertau, l'un des deux capitaines de Tara le confirme : «Certaines zones que l'on pensait davantage épargnées, car très éloignées des grandes villes, sont aussi touchées, c'est le cas par exemple d'une zone entre la Crête et la Tunisie». Selon François Galgani, chercheur à l'Ifremer, «la mer Méditerranée connaît en moyenne les densités de plastique les plus importantes au monde : 250 milliards de micro-plastiques en Méditerranée.» -Quelles sont les matières qui polluent plus la mer Méditerranée ? Les déchets en mer Méditerranée sont à 80% d'origine terrestre, donc viennent essentiellement de nos grandes villes et activités industrielles. Parmi les matières les plus polluantes, il faut d'abord citer les «anciens» polluants, comme les métaux lourds (mercure, cadmium) qui restent encore très présents, surtout sur le fond marin de certaines côtes, comme l'Albanie. Il faut citer aussi les résidus d'hydrocarbures et les polluants organiques persistants (POP), comme la dioxine, qui s'accrochent au plastique et peuvent dériver pendant plusieurs années. Enfin, parmi les composants du plastique, les plus dangereux sont des additifs, comme le bisphénol ou les phtalates, classés comme perturbateurs endocriniens, qui sont cancérigènes et peuvent avoir un impact irréversible sur la santé des organismes marins et de l''homme. -Y a-t-il une différence du taux de pollution entre les deux rives de la Méditerranée ? Il n'y aura sans doute jamais de différence entre ces deux rives, car les masses d'eau sont en mouvement constant, les eaux se mélangent sans cesse et les débris plastique avec. En revanche, la densité de plastique semble plus forte à proximité des grandes villes du pourtour méditerranéen. -Que risque-t-on devant le phénomène de la pollution qui ne cesse de prendre de l'ampleur ? Nous pouvons citer trois risques majeurs : le risque d'impact sur la biodiversité marine, avec une conséquence sur la santé des organismes marins. Le risque pour la santé humaine, encore très peu connu mais certain, puisque nous absorbons de plus en plus de produits chimiques à travers les poissons et fruits de mer que nous mangeons. Et, finalement, le risque de perturbations de l'écosystème, avec des espèces invasives, bactéries et virus qui sont transportés par les déchets marins, spécialement par les micro-plastiques. -Qui sont les premiers responsables de la pollution marine ? Impossible de pointer du doigt telle ou telle activité humaine, parmi les nombreuses sources de déchets en mer. La faute vient de notre système de production industriel écologiquement insoutenable, basé sur l'exploitation des énergies fossiles et dopé par la surconsommation, le suremballage et la culture du tout jetable. -Quelles sont les solutions que préconisent les scientifiques de Tara Méditerranée pour lutter ou minimiser l'impact de la pollution, surtout dans une mer fermée telle la Méditerranée ? Tout d'abord, il faut réduire la consommation, surtout des sacs plastique et emballages, puisque la pollution vient surtout de nos grandes villes. Ensuite, il faut chercher à réutiliser et recycler nos plastiques, avant qu'ils ne se mélangent aux déchets. Puis, enfin, engager la transition vers des matériaux entièrement biodégradables et non nuisibles pour l'environnement, ce qui est parfaitement possible aujourd'hui avec de nouveaux procédés industriels à base d'algues ou de fibres naturelles diverses.