Douze familles ont été expulsées après la démolition de leurs maisons «illicites». Le terrain récupéré accueillera un projet d'un groupe scolaire. La misère a un visage. C'est dans les yeux de Essaid, ouvrier dans le bâtiment, sa femme sans emploi et enceinte de neuf mois et leur enfant, Youcef, âgé d'à peine cinq ans dont la partie gauche de son corps est paralysée, qu'on la reconnaît. La famille vivote dans un garage inachevé et froid qui leur a été offert par un généreux voisin, au lotissement 212, à Ouled Bouchia, un village embourbé du sud de la ville de Bouira. Les murs ne sont pas crépis. Il n'y a pas de porte pour atténuer les affres du froid. La famille a droit à un petit espace dans ce réduit de fortune. Un lit monoplace et quelques bagages occupent les deux tiers de la superficie. Avant de s'y installer, Essaid et sa famille habitaient une maisonnée en parpaing dans un bidonville. Mais l'APC qui a décidé le 4 décembre dernier de la démolir parce qu'il s'agit «d'une construction illicite sur des terrains publics», n'a pas pris en considération la détresse de cette famille et leurs voisins qui n'ont pas où aller. «Nous habitions dans ce bidonville depuis trois ans. Des commissions viennent souvent, mais rien n'a été fait pour nous reloger», a déclaré Essaid. «Pour construire notre maison, nous étions obligés de prêter de l'argent. Nous l'avons construite de nos propres mains, en fin de compte ils sont venus la démolir sans se soucier de ce qu'il adviendra de nous», poursuit sa femme. Leur calvaire ne fait que commencer. La grossesse de la femme d'Essaid est à terme. Elle accouchera dans quelques jours. Mais sa nouvelle condition de vie l'inquiète. «Je suis enceinte de neuf mois, Je ne veux pas que mon bébé vienne au monde dans ces conditions de misère. Avec le maigre salaire de mon mari, on ne peut pas louer une maison. Même les séances de rééducation de notre enfant, nous les avons arrêtées faute d'argent», enchaîne-t-elle. Les infortunés ne savent pas combien ils resteront encore dans ce garage. Être expulsé en plein hiver, cela est la grande humiliation de leur vie. «On est algériens, on ne mérite pas d'être traité de la sorte», regrette Essaid qui voit son espoir de bénéficier d'un logement social s'amenuiser. À l'autre bout du bidonville, habite la famille Zerrouki. Pour y parvenir, il faut parcourir des centaines de mètres de boue. C'est l'un des rares lotissements où l'on peut voir des baraques de zinc et des villas, les unes à côté des autres. «Les baraques que tu vois ici existent depuis les années 1970. Les responsables locaux ne viennent que lors des campagnes électorales. Ils promettent, puis ils repartent sans retour», dit un jeune, dont la sœur et ses enfants font partie des familles expulsées. Elle est désormais logée dans la maison familiale. Un gourbi. «Nous sommes devenus des vagabonds. Ils nous ont humilié. Mes enfants étaient choqués. Ils sont partis à l'école le matin et à leur retour, ils n'ont pas trouvé la maison. Ils n'ont pas cessé de pleurer toute la journée», dit la mère, indignée. «On a toujours cru que l'Etat ne nous abandonnera pas. Aujourd'hui il l'a fait. Pour nous expulser, ils ont fait venir de nombreux gendarmes. C'est une honte !», tempête son frère. D'autres familles sont parties se loger chez des proches en attendant des jours meilleurs, ou trouver des terrains pour y ériger des baraques.