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«L'Algérie a un rôle déterminant dans le règlement du conflit malien et de la crise libyenne»
Jean-Marie Guéhenno. Président d'International Crisis Group
Publié dans El Watan le 20 - 12 - 2014

Le président d'International Crisis Group (ICG), Jean-Marie Guéhenno, qui a participé au Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique (15 et 16 décembre), sera aujourd'hui et demain en Algérie pour une visite de travail au cours de laquelle il sera reçu par le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra. M. Guéhenno a été secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix des Nations unies d'octobre 2000 au 31 juillet 2008 ; il a présidé le groupe de travail de haut niveau sur les moyens civils dans les situations post-conflictuelles mis en place en 2010 ; il préside également le Centre pour le dialogue humanitaire de Genève.
- Quels sont les facteurs de crises et de conflits en Afrique ?
L'Afrique est un continent démographiquement jeune. La moitié de sa population a moins de 22 ans, à part l'Afrique du Nord, l'Afrique du Sud et la Namibie. Ainsi, au Niger, 50% de la population a moins de 15 ans. Cette jeunesse représente certes un potentiel de vitalité, mais si ses besoins et aspirations ne sont pas résolus, ce potentiel constitue, à terme, un risque de véritable tremblement de terre.
Cette jeunesse pose aux dirigeants et aux sociétés africains des défis énormes en termes d'éducation, de formation, d'emploi, de gouvernance, de réformes démocratiques. Les jeunes Africains veulent être représentés par des gens qui leur ressemblent.
Cette jeunesse démographique est la principale source de crises, si elle n'est pas prise en considération.
- Plus que le terrorisme ?
Le terrorisme ne vient pas de la planète Mars. Il résulte d'un certain nombre de défaillances, de carences et de manque de contrôle de l'Etat. Toutes sortes de mécanismes se mettent en place pour combler les lacunes du système public d'éducation, par exemple. Les parents vont préférer envoyer leurs enfants dans des écoles religieuses plutôt que de les voir pas scolarisés du tout.
La fragilité de l'Etat est un facteur d'instabilité. Si l'on prend l'exemple du Mali, les tensions entre le Nord et le Sud – mais aussi entre les Touareg eux-mêmes, entre les diverses communautés – constituent une plaie ouverte sur laquelle les agendas islamistes transnationaux se sont greffés et qui ciblent des gens délaissés, livrés à eux-mêmes.
A mon sens, le terrorisme est la combinaison de problèmes très locaux avec des mouvements transnationaux. Le terrorisme, c'est la rencontre de fragilités locales avec un phénomène transnational. Ajouté à cela des frontières peu contrôlées, des trafics criminels de tous genres.
- Quels remèdes au terrorisme transnational préconisez-vous ?
Il faut essayer de séparer les griefs et motifs de mécontentement locaux, empêcher qu'ils soient exploités et manipulés par des acteurs extérieurs ; assurer une représentation des populations ; prendre en compte les préoccupations locales par les institutions décentralisées de l'Etat. En même temps, je ne me fais pas d'illusions, car ces mesures ne suffisent pas. Pour lutter contre le terrorisme, il faut aussi une coopération de renseignement entre pays voisins. C'est compliqué, cela ne correspond pas toujours aux cadres d'organisation régionaux.
- Quel est l'objet de votre visite en Algérie ?
Crisis Group analyse les conflits en essayant de proposer des solutions politiques, en discutant avec les grands décideurs et les acteurs. Et, de ce point de vue, l'Algérie a un rôle déterminant dans le règlement du conflit malien et de la crise libyenne. Le fait que l'Algérie soit très engagée dans un processus politique de règlement de la crise malienne est très utile.
En Libye, je doute qu'il puisse y avoir une solution militaire. Il est urgent d'organiser des contacts politiques entre les factions qui se combattent, car plus la violence se poursuit plus la situation se fragmente et les acteurs se multiplient. Il faut éviter une cassure du pays et l'intérêt de la région est de préserver l'intégrité territoriale de la Libye.
- Pour ce faire, quel peut être le rôle de l'Algérie ?
L'Algérie a une profonde connaissance de la région et c'est une bonne base pour une action politique. L'Algérie a de longues frontières avec ses voisins d'Afrique du Nord et du Sahel et a donc intérêt à un environnement apaisé. Il ne faut pas qu'à ses frontières, les mêmes problèmes qui l'ont lourdement affectée se produisent.
- Avant de présider l'organisation Crisis Group (depuis juillet 2014), vous avez été secrétaire adjoint des Nations unies pour le maintien de la paix. Sur quoi avez-vous mis l'accent ?
Lors de ma prise de fonction, en août 2000, il y avait 25 000 Casques bleus ; à la fin de ma mission, en 2008, leur nombre était de 100 000. Le rapport de Lakhdar Brahimi sur le maintien de la paix dans les zones de conflit, à la demande du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, avait constitué ma feuille de route. Lakhdar Brahimi a joué un rôle fondamental dans le règlement de nombreux conflits et crises. Il représente, pour moi, un modèle. Je retiens de son exemple qu'on ne peut pas faire la paix à la place des gens qui font la guerre.


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