Le journaliste Kamel Daoud se dit étonné de «la faible réponse de l'Etat» à une dérive qui, théoriquement, tombe sous le coup de la loi. A bominable fin d'année. Un obscur fanatique vocifère sa haine et appelle au meurtre contre l'écrivain Kamel Daoud, sous les lambris de la «République». Obscurantiste assumé qui s'est abreuvé à la doctrine ultraréactionnaire du wahhabisme, Abdelfattah Hamadache s'est arrogé un droit de vie et de mort sur des Algériens sous le regard, au mieux impuissant, au pire complice, des pouvoirs publics. Choqués et inquiets de la poussée dangereuse des fondamentalistes patentés, des secteurs importants de la société redoutent un retour organisé aux non lointaines années de sang. L'écrivain Amine Zaoui n'a pas tort d'évoquer le «retour de voix fascistes». Dans un communiqué qu'il a signé, il dénonce avec courage et sans se fourvoyer «des voix fascistes qui haussent le ton de leur discours en menaçant écrivains, artistes et journalistes pour tracer la voie menant vers leur projet fascisant en imposant son ordre par la terreur sur une société qui n'a pas encore cicatrisé les blessures d'un passé récent». De nombreux acteurs politiques, syndicaux, intellectuels et des citoyens de différentes extractions se dressent contre la poussée de l'extrémisme religieux béni par un pouvoir enclin à tenter le diable pour se maintenir. Car au-delà de la vigueur de la dénonciation et de l'élan de solidarité exprimée pour soutenir le journaliste et écrivain Kamel Daoud, ce sinistre épisode de la longue série nationale tragique révèle l'ampleur des dégâts du renoncement et des concessions politiques et symboliques accordées aux bourreaux des années noires à travers un processus de concorde civile puis de réconciliation nationale dans lequel c'est l'Etat qui s'est repenti. Depuis, d'anciens chefs terroristes sont hissés au rang de «personnalités nationales» en leur déroulant le tapis rouge de la «République» et dont l'avis est souvent sollicité par le pouvoir politique. Par petites touches, les décideurs ont fini par inverser l'ordre des choses. Les victimes de la violence des années quatre-vingt-dix sont mises au ban de la société, les bourreaux, quant à eux — sans justice ni vérité — sont remis au goût du jour dans la perspective de renforcer un ordre politique suranné. Kamel Daoud, et ce qu'il incarne comme idées en malmenant la pensée conformiste et moraliste, déstabilisant des certitudes mortifères, est devenu, au fil des livres et des chroniques corrosives, un adversaire redoutable. Un ennemi — pas seulement des islamistes — à abattre. En s'engageant sur le terrain de l'impertinence dans un environnement figé dans un passé rétrograde et d'un climat d'inquisition, il sait bien qu'il s'expose à un risque permanent. Et s'il fait preuve d'un courage à la hauteur de son engagement qu'il puise aussi dans l'élan de solidarité nationale et internationale, il s'inquiète de «la faible réponse de l'Etat» face à la menace qui pèse sur lui. Comment ne pas s'inquiéter alors que le ministre de la Justice, Tayeb Louh, lui qui habituellement agite la menace de la justice contre ceux qui expriment des idées pacifiquement, s'est drôlement contenté de dire que «si quelqu'un se sent victime d'un préjudice il peut déposer une plainte devant la justice». Ce faux dévot de Hamadache n'est pas sur le terrain des idées, il n'exprime pas une opinion. Il lance un appel au meurtre. Gouverner par la peur Cela tombe sous le coup de la loi et relève du code pénal. La justice est sommée de se saisir de cette affaire, si elle ne veut pas se rendre complice d'un acte odieux. Mais force est de constater que ce n'est une première. La vallée du M'zab a vécu également un épisode similaire où des hordes salafistes conquérantes appelaient au meurtre des Mozabites. Le gouvernement fait profil bas devant un Hamadache qui enflamme les réseaux sociaux et certains plateaux de chaînes de télévision qui lui tendent le micro pour répandre son prêche assassin. Ce sinistre personnage, qui a séjourné pendant des années au royaume du wahhabisme, a même eu le «privilège» d'aller déposer un dossier d'agrément pour créer un parti politique. Pour qui roule-t-il, s'interrogent certains observateurs. «Cela me fait penser à la radio télévision des milles collines», s'exclame Kamel Daoud. Une station de radio qui avait joué un rôle macabre dans le génocide rwandais. Hamid Grine, ministre de la Com' du pouvoir qui a passé son temps depuis sa nomination à administrer des leçons aux journalistes sur l'éthique et la déontologie n'a pas pris le soin de rappeler à l'ordre — un minimum — ces médias par lesquels un appel au meurtre est diffusé. Comment pouvait-il le faire à des médias qui ont servi de machine de propagande pour le projet du pouvoir de Bouteflika. Il n'est pas demandé à Hamid Grine en tant que ministre de la Communication de dénoncer une fatwa mortelle, mais il est de son devoir de demander des comptes à des journaux et télévision éponymes propagateurs de la haine. Le silence du ministre des Affaires religieuses, dans une telle situation, risque d'entretenir l'amalgame. Devant ce silence assourdissant du gouvernement de Bouteflika, il n'est pas saugrenu de se demander si le pouvoir — de plus en plus contesté — n'est pas tenté de replonger le pays dans un périlleux clivage en installant un climat de peur pour ensuite arborer l'étendard «moi ou le chaos» son mot d'ordre durant la campagne présidentielle pour un quatrième mandat. Dans cette scandaleuse affaire, c'est aussi l'Etat, déjà considérablement, affaibli qui est à terre.