Comme à la fin des années 1980, la chute des prix des hydrocarbures commence à susciter de vives inquiétudes au sein de la société algérienne qui redoute de possibles retombées sur son train de vie, mais plus encore, chez nos gouvernants habitués à gérer la demande sociale au gré de la manne pétrolière. Lorsque les recettes pétrolières sont conséquentes, l'Etat-providence est prompt à toutes les largesses, lorsqu'il s'agit de calmer le front social, et torpiller toute velléité de remise en cause du pouvoir, en grande partie accaparé au moyen de cette manne. Lorsque ces recettes s'effondrent, un vent de panique s'empare de nos gouvernants à travers notamment la question centrale du financement du système de solidarité nationale, des subventions des prix et autres soutiens à vocations sociales. Il faut dire que les transferts sociaux en grande partie destinés à maintenir la paix sociale et élargir la base électorale du pouvoir en place ont considérablement augmenté au cours des quatre mandats de Abdelaziz Bouteflika, qui s'en est copieusement servi pour calmer une population qui réclamait à coups d'émeutes et d'actions syndicales de plus en plus radicales sa part de la manne pétrolière matérialisée par l'accumulation de réserves de change dont le pouvoir vantait souvent l'importance. L'Etat algérien en est ainsi arrivé à consacrer un peu plus du tiers de son PIB à ces transferts sociaux (environ 70 milliards de dollars) qui ont, au fil du temps, consacré l'assistanat au sein de pratiquement toutes les couches de la population. Les subventions accordées à une large gamme de produits de consommation (farine, lait, carburants, eau, électricité, etc.) ont en effet la particularité de profiter à toutes les catégories sociales sans exception, qu'elles soient riches ou pauvres. Même les producteurs censés créer de la richesse sur la base d'une vérité des prix en tirent outrageusement profit. C'est, à titre d'exemple, le cas des producteurs de boissons gazeuses qui utilisent du sucre subventionné, des producteurs de pâtes alimentaires, biscuits et autres pâtisseries qui recourent à de la farine et du sucre soutenus par l'Etat, les industriels qui utilisent de l'eau et des carburants dont les prix sont également subventionnés, etc. La question qui se pose chaque fois que la manne pétrolière se tarit ou menace de le faire est de savoir comment s'y prendre pour revenir à la vérité des prix sans porter atteinte à la stabilité du pays. Les marges sont malheureusement très étroites, notamment quand on a longtemps habitué la société à ce type d'assistanat et à répondre aux doléances des mécontents dès que ces derniers l'expriment violemment, particulièrement par des émeutes. Bien qu'incontournable, l'abandon du soutien des prix à certains produits de large consommation ne se fera certainement pas sans dégâts, et dans le climat politique et social délétère qui prévaut depuis quelques mois en Algérie, il suffirait d'une étincelle pour provoquer une explosion du type de celle d'octobre 1988. Le plus regrettable est que la réponse à cette question avait été apportée par les réformes de 1988 qui avaient, entre autres, préconisé de mettre fin à ces subventions et d'instaurer à leur place un «filet social» à l'adresse des personnes les plus vulnérables. Ce filet social prendrait la forme d'une allocation financière que les destinateurs pourraient utiliser à leur guise pour acquérir les produits de large consommation autrefois soutenus par l'Etat. Cette solution avait commencé à être appliquée par le canal des APC, avant qu'une directive gouvernementale n'y mette brusquement fin dès que les cours du pétrole avaient commencé à se rétablir. Est-il, aujourd'hui, possible de mettre en œuvre ce procédé ? Rien n'est moins sûr. Perturber le confort de l'assistanat auquel on a habitué la population algérienne et, notamment, sa composante la plus jeune, c'est s'exposer à un risque majeur de dérapage social susceptible de dégénérer en grave conflit politique. C'est pourquoi il faut absolument éviter ce type de solution en prenant option pour une autre alternative qui, à n'en pas douter, sera plus payante. Il s'agit de mobiliser, aujourd'hui qu'il est encore temps, les ressources financières de l'Etat, mais aussi et surtout celles que détiennent les opérateurs privés pour booster l'investissement productif. Mettre une partie des capitaux de l'Etat dans des projets judicieux (centres de recherche, instituts de formations qualifiantes, TIC, etc.) et ceux du privé, dans la création d'entreprises et la promotion d'investissements productifs divers, est sans doute le meilleur moyen de tirer la croissance vers le haut, de créer un nombre conséquent d'emplois et d'assurer à l'Etat des rentrées fiscales hors hydrocarbures à même de compenser les pertes dues à la chute des recettes pétrolières. Le gouvernement Sellal aura-t-il la volonté d'aller dans cette voie que n'avaient pas eue ceux qui l'avaient précédé ? Rien de concret ne le laisse aujourd'hui entrevoir. On en jugera sur des faits consistants, notamment à donner le feu vert à tous ces grands projets d'investissement bloqués, pour certains depuis plusieurs années, au niveau du Conseil national de l'investissement (CNI), à octroyer rapidement des terrains aux dizaines de projets qui végètent faute de foncier industriel et plus largement à débureaucratiser la législation des affaires en veillant à valoriser l'activité industrielle plutôt que l'importation.