Deuxième potentiel hydroélectrique en Afrique subsaharienne évalué à 13 700 MW, le Cameroun, qui ne fournit l'électricité qu'à 3 millions de ses plus de 20 millions d'habitants, devrait porter sa puissance installée à 3 000 MW en 2020 avec la mise en service des grands projets hydroélectriques en cours de réalisation. AES-Sonel, filiale du groupe américain AES Corporation, qui détient le quasi-monopole de la production, du transport et de la distribution de l'électricité au Cameroun, revendique actuellement une capacité de production installée de 929 MW à partir de 3 centrales hydroélectriques (Song-loulou, Edéa et Lagdo) et une trentaine de centrales thermiques. Même si AES-Sonel se targue d'avoir accru la capacité de production du Cameroun de 30 % en une décennie, l'entreprise peine toujours à satisfaire la demande. Alors que les besoins en électricité des ménages et des entreprises sont estimés à près de 1 000 MW en février 2013, AES-Sonel ne peut fournir que 620 MW, soit un déficit de près de 400 MW. Au-delà des délestages qui font partie en ce moment du quotidien des populations des 7 Régions sur les 10 que compte le Cameroun, le déséquilibre entre l'offre et la demande en énergie freine la croissance en plombant l'activité économique et industrielle. Selon une étude réalisée par le Groupement inter patronal du Cameroun (GICAM), le déficit énergétique fait perdre chaque année au pays un point de croissance, soit près de 200 millions de dollars. Cette évaluation ne tient pas compte des pertes causées par le désistement de certains investisseurs, échaudés par le rationnement de l'électricité. L'Agence de régulation du secteur de l'électricité (ARSEL), qui milite pour une révision du contrat de concession, conclut à une défaillance de AES-Sonel dans la mise en œuvre de son cahier de charges concernant l'accroissement de l'offre et la permanence de l'énergie, l'amélioration de la qualité du service, etc. En effet, en signant le contrat-cadre de concession avec l'Etat le 18 juillet 2001, AES-Sonel qui a à cette occasion acquis 56% du capital de la société publique Sonel, s'engageait à l'article 3 à "fournir en qualité et en quantité suffisantes toute l'énergie nécessaire aux besoins des usagers". Mais, d'après des données fournies par le ministère de l'Eau et de l'Energie, le taux d'électrification tourne autour de 45% en milieu urbain, et chute à près de 25% en zone rurale. Sur plus de 13 014 villages jugés électrifiables, seuls 2 300 bénéficient d'un raccordement au réseau électrique. De 452 994 en 2002, le Cameroun ne compte aujourd'hui que 800 000 abonnés, soit moins de 400 000 abonnés à l'actif de AES-Sonel en 10 ans. L'entreprise qui revendique un investissement de plus de 1,1 milliard de dollars au cours de la même période doit atteindre 972 076 abonnés durant toute la concession qui s'achève en juillet 2021. A presque 9 ans de cette échéance, AES-Sonel affiche de nouvelles ambitions. L'entreprise envisage de brancher 2 millions de nouvelles familles à son réseau durant le reste de la concession. Pour tenir ce pari, elle compte, si l'on en croit son management, augmenter sa production afin de rétablir durablement l'équilibre entre l'offre et une demande sans cesse croissante. D'ores et déjà, l'entrée en service de sa centrale à gaz de Kribi dans le Sud-Cameroun en avril permettra d'injecter 216 MW, portant de ce fait la capacité totale du pays à 1 233 MW. Des efforts qui sont conjugués à ceux de l'Etat camerounais. Pour parer au plus pressé, le gouvernement a lancé le Programme thermique d'urgence (PTU) avec ses quatre centrales thermiques de Yaoundé, Mbalmayo non loin de la capitale, Bamenda dans le Nord- Ouest et Ebolowa dans le Sud qui permettent d'injecter 100 MW supplémentaires au réseau. Afin de résorber définitivement le déficit énergétique, le Cameroun s'est doté d'un Document de stratégie pour la croissance et l'emploi (DSCE) en 2009, qui définit le cadre de référence des actions à entreprendre en vue de son émergence à l'horizon 2035. La construction des ouvrages de production d'énergie, évalué globalement à 11,7 milliards USD, intègre la construction en cours des barrages hydroélectriques de Memve'ele et de Mekin dans le Sud. D'un coût de 477 millions de dollars, la fin des travaux de celui de Lom Pangar à l'Est du pays, réalisés par la China International Water and Electric Corporation, est prévue en juillet 2014. D'autres projets hydroélectriques en vue, notamment les centrales de Nachtigal (330 MW) dans la Région du Centre, de Song Mbengué (950 MW) dans la Région du Littoral permettront au Cameroun non seulement de satisfaire la demande intérieure, mais aussi d'exporter l'excédent vers le Nigeria (160 millions d'habitants) ou le Tchad. Malgré le coût élevé, la suppression des subventions aux carburants non envisagée Le ministre camerounais de l'Economie, de la Planification et de l'Aménagement du territoire, Emmanuel Nganou Djoumessi, a réaffirmé à Yaoundé la position des autorités du pays qui écarte pour l'heure l'éventualité de la suppression des subventions accordées pour soutenir le gel des prix des produits pétroliers au détail, dont les carburants. " Le programme des filets sociaux n'a absolument rien à avoir avec la politique de subvention des prix des produits pétroliers. L'option aujourd'hui n'est pas de supprimer la subvention, mais il faut renforcer la politique de protection sociale ", a déclaré le ministre Nganou Djoumessi lors d'un séminaire de présentation de la stratégie de la Banque mondiale en matière de protection sociale en Afrique. Certes coûteuse, la subvention des prix à la pompe des produits pétroliers représente un dispositif des programmes de filets sociaux dont l'objectif est d'améliorer les conditions de vie des quelque 20,6 millions de Camerounais, s'est-il défendu en réponse aux recommandations de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). Ces deux institutions insistent ces dernières années pour que les autorités camerounaises, appelées à mettre en place un véritable programme national de filets sociaux cohérent et efficace, renoncent à cette politique, jugée comme une mesure inappropriée qui pèse lourd sous forme de manque à gagner sur les finances publiques et peu productive pour la protection sociale à l'égard de la population. Avec une croissance du produit intérieur brut (PIB) estimée à 5% en 2012 (5,1% selon les autorités de Yaoundé), l'économie camerounaise tire ses principaux ressorts du secteur non pétrolier. Mais, les estimations tablaient sur une hausse d'environ 9% de la production pétrolière, grâce à d'importantes explorations menées ces dernières années et une exploitation accrue visant à tirer parti du niveau actuellement élevé des cours mondiaux du pétrole. Cette progression devrait se poursuivre en 2013 par une augmentation supplémentaire de 9% de la production, observe la Banque mondiale qui déplore cependant que " la Société nationale de raffinage, SONARA, accuse un manque à gagner résultant de la politique gouvernementale consistant à geler les prix de vente au détail des produits pétroliers ". " Comme nous l'indiquions dans le numéro de juillet 2012 des Cahiers économiques du Cameroun, le montant budgétisé au titre de la compensation du manque à gagner de la SONARA pourrait être insuffisant, le montant estimé requis en 2012 s'élevant à quelque 450 milliards de FCFA (3,5% du PIB) au lieu de 170 milliards de FCFA prévus au budget ", poursuit-elle dans le nouveau numéro des Cahiers économiques de janvier 2013. Tout en constatant que les recettes inscrites au budget de l'Etat sont fondées sur les attentes ambitieuses quant à la croissance économique et aux cours mondiaux du brut, l'institution relève cependant que ces recettes " sont sujettes par conséquent à des risques de révision à la baisse. A titre d'exemple, une baisse des cours mondiaux du brut de 10 dollars américains entraînerait une contraction des recettes pétrolières de 0,5% du PIB ". Selon elle par ailleurs, le coût des subventions aux carburants reste sous-évalué dans le budget, ce qui nuit à la transparence et pèsera à nouveau sur la situation de trésorerie et l'exécution du budget. " Une poursuite de la politique du gel des prix des carburants à la pompe nécessiterait, selon les estimations, 400 milliards de FCFA (soit environ 3% du PIB), alors que 220 milliards de FCFA seulement ont été inscrits au budget ". Ces subventions, juge-t-elle, favorisent les riches et sont en grande partie inefficaces lorsqu'il s'agit de protéger la consommation des couches les plus pauvres. Les 20% les plus riches de la population, précise-t-elle, bénéficient de l'essentiel des subventions à l'essence et au gasoil. " Cela ne signifie pas que les pauvres ou les couches vulnérables ne bénéficient pas du gel des prix des carburants à la pomme. Il pourrait cependant y avoir des moyens plus ciblés de fournir la même aide aux pauvres et aux couches vulnérables, tout en faisant payer la totalité du prix des produits pétroliers à ceux qui en ont les moyens ", énonce la Banque mondiale. Parmi les suggestions, les subventions au transport public urbain et des programmes de protection sociale ciblés constituent quelques-unes des pistes de réflexion envisageables, conseillait- elle. Pour leur part, les autorités camerounaises qui ont de tout de même entamé des discussions avec les partenaires sociaux au sujet de ce dossier considéré comme étant sensible, rechignent à franchir le pas de la suppression à cause des risques de tensions sociales comme les émeutes violentes enregistrées à Yaoundé, Douala et d'autres villes après une légère hausse des prix des carburants en février 2008.