La ministre de la Culture, Nadia Labidi, a annoncé la semaine dernière, l'extension du dispositif Ansej aux métiers de la culture en dépit des annonces récentes du gouvernement ayant trait à la rationalisation des dépenses publiques. N'en déplaise à Abdelmalek Sellal et même au président Abdelaziz Bouteflika qui ont appelé de leurs vœux d'éviter la création de dépenses supplémentaires, le ministère de la Culture pourrait bien augmenter la facture du dispositif Ansej. Nadia Labidi, à la tête du ministère, a en effet annoncé la semaine dernière «la signature d'une convention- cadre avec le ministère de l'Emploi afin de permettre l'accès au dispositif Ansej des jeunes désireux de débuter une activité dans le secteur de la culture», balayant d'un revers de main les inquiétudes, en indiquant que le budget dédié à la culture ne s'élève «qu'à 0,5% des dépenses annuelles». En clair, toute personne âgée de moins de 35 ans pourra désormais faire financer à hauteur de 70% un business qui aurait un lien avec le développement de l'activité culturelle. A première vue, un tel projet devrait avant tout permettre de petites structures de proximité dont le pays manque cruellement, comme l'explique Nassim M'Hamsadji, chanteur : «En Algérie, un artiste commence directement dans des salles à moyenne ou grande capacité, alors qu'il devrait passer par plusieurs petites salles et élargir et fidéliser son public.» Et d'ajouter : «Les salles de proximité sont vraiment la première idée qui me vient à l'esprit quand j'ai appris cette initiative.» Le constat est le même pour Mourad Senouci, acteur dans une troupe de théâtre, qui a toujours eu recours à l'autofinancement plutôt qu'aux subventions du ministère : «Avoir de petites salles de théâtre, de musique ne peut être que bénéfique et rentable aux artistes.» Indépendants S'il se dit «plutôt optimiste» quant à l'implémentation de l'Ansej de la culture qui devrait avoir lieu «courant 2015», selon Nadia Labidi, Nassim M'Hamsadji prévient que «cette initiative devra permettre l'émergence d'espaces d'expression indépendants, ce qui serait une petite révolution pour l'Algérie». L'émergence de structures privées devrait, en principe, permettre d'atteindre cet objectif. Seulement, il est «inimaginable de voir le ministère œuvrer pour l'ouverture du champ culturel et sa liberté. Ce dispositif sera au contraire l'occasion d'encadrer, de limiter et brider les artistes et entrepreneurs de la culture», estime Malik Chaoui, membre du Groupe de travail sur la politique culturelle en Algérie (GTPCA), qui qualifie cette extension de l'Ansej de «mascarade». Pour sa part, Mourad Senouci, sans se montrer aussi sévère avec cette mesure nouvelle, soulève la question de «la formation des jeunes et l'accompagnement des projets qui doivent être menés dans un but de rentabilité économique ; si c'est une approche sociale et politicienne qui est adoptée, l'Ansej de la culture ne servira à rien». La question de la rentabilité de ces futures entreprises et start-up est en effet le souci premier de l'Ansej dans les textes et Ammar Kessab, expert en politique culturelle, est clair : «Les projets culturels sont rarement rentables, c'est une problématique connue dans les pays en développement.» Et de poursuivre : «Sur 100 projets initiés, je défie le ministère de la Culture d'en trouver 5 qui seront viables.» Inadéquation Quand il en vient à la formation des jeunes entrepreneurs, Nadia Labidi a annoncé «la mise en place d'un accompagnement dans l'élaboration du business plan mais aussi dans le domaine artistique». Force est de constater que c'est une assertion qui laisse sceptique. Tout d'abord, les fonctionnaires du ministère de la Culture sont eux-mêmes en formation continue, en vertu de conventions signées avec plus de 50 pays. Malik Chaoui, lui, ironise : «Je ne savais pas qu'il y avait des personnes compétentes au ministère pour mener à bien de tels projets.» Il fustige une «inadéquation d'appréhension de l'art et de la culture moderne» des officiels de la culture. L'Ansej de la culture ne peut devenir un dispositif efficace et séduisant que si le cadre culturel change en Algérie, qu'il se modernise et surtout qu'il s'ouvre. Malik Chaoui donne ainsi l'exemple du graffiti «qui n'est pas un art au sens du ministère», alors que le constat d'Ammar Kessab est plus amer : «D'énormes contraintes ont été accumulées ces 15 dernières années et il faut s'en libérer. Je pense notamment aux décrets concernant le cinéma, limitant fortement l'entrepreunariat dans le secteur, les subventions de certaines maisons d'édition du livre créant une asymétrie dans le secteur.» Finalement, sans une profonde refonte de la politique culturelle nationale, l'Ansej de la culture ne saurait représenter le saut qualitatif dans la pratique artistique tant espéré par les professionnels et les consommateurs, le dispositif ne sera qu'une manière de plus d'utiliser les dollars de la manne pétrolière pour contenir la grogne grandissante des artistes algériens, selon la recette «miracle» désormais connue de tous, arroser.