L'économiste Abdelhak Lamiri estime, dans cet entretien, que le gouvernement a raison de recourir à un nouveau système de subventions ciblant les plus défavorisés, mais estime qu'il faudrait entre une et deux années pour pouvoir appliquer un tel projet. Il précise ainsi qu'il faut d'abord préparer l'administration et mettre en place un système d'information performant pour recenser les bénéficiaires. - Le gouvernement envisage d'alléger la charge financière du Trésor public en adoptant une nouvelle démarche en matière de subventions. Quelle est votre appréciation de cette option ? Sur le plan du principe, c'est ce qu'il faut faire, comme dans tous les pays à économie de marché, d'où la démarche qui consiste à avoir des subventions ciblées pour les couches défavorisées et, en même temps, avoir un plan de réinsertion économique. Maintenant, sur le plan des faits, l'Algérie n'a pas l'administration qu'il faut ni le système d'information qu'il faut pour appliquer cette nouvelle démarche annoncée. Parce qu'il faut savoir que nous devons avoir au préalable un système d'information adéquat qui identifie les couches déshéritées de la population et celles vraiment nécessiteuses, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas accès au travail ou sont dans l'informel et la précarité. Actuellement, l'administration algérienne n'a pas les moyens de recenser les bénéficiaires des subventions qui font partie de ces franges défavorisées. Il faut se rappeler l'épisode du filet social, dans les années 1990, mis en place avec le FMI dans le but d'octroyer directement de l'argent aux nécessiteux. A cette époque, le gouvernement avait jugé qu'il y avait 500 000 personnes qui devaient s'inscrire pour bénéficier du filet social ; finalement il y en a eu plus de 3 millions qui voulaient s'inscrire. Et on a fini avec 5 millions de personnes inscrites au filet social. Donc aujourd'hui, je dis que sur le plan du principe économique, c'est une bonne chose et c'est bien sûr ce que le gouvernement devrait faire. Cependant, il faut malheureusement constater qu'actuellement, le gouvernement subventionne tous azimuts en octroyant des aides à tout le monde, quels que soient leurs revenus. Pour le sucre, par exemple, on subventionne aussi bien les pauvres que les riches. Ainsi, pour chaque dinar qui va aux pauvres, 9 à 11 dinars profitent aux riches. Il n'y a pas que cela : en Algérie nous avons même un système de subventions des produits de luxe à travers le taux de change. Ainsi, on subventionne les véhicules et les parfums de luxe… - Pouvez-vous être plus explicite ? En fait, les importateurs de ces produits de luxe s'arrangent pour ne pas payer le prix fort et achètent donc les devises au taux officiel pour vendre ensuite leurs produits au taux du marché, donc selon les taux pratiqués dans les bureaux de change informels de Port Saïd, par exemple. Il faudrait que ces pratiques cessent définitivement si l'on veut avoir une économie saine. Or, force est de constater qu'actuellement, les systèmes d'information ne sont pas au point et les administrations ne sont pas encore outillées pour travailler avec ce genre d'efficacité économique. C'est pour cela que je dis qu'il faut réorganiser les choses et préparer en amont le terrain à la nouvelle démarche annoncée. Cela revient à dire qu'avant de lancer cette nouvelle démarche, le gouvernement doit avoir les outils nécessaires pour l'application de la mesure et le contrôle a posteriori. - Ce système de subventions annoncé par le ministre des Finances ne pourra donc pas se faire à court terme ? Effectivement. La mise en œuvre de cette nouvelle démarche ne sera pas possible à court terme. Il faudrait au moins une ou deux années de préparation pour mettre en place les systèmes d'information de l'administration pour recenser et gérer, par exemple, les fichiers des bénéficiaires. Si cette période de préparation n'est pas respectée et si le gouvernement se lance sans avoir préparé l'administration au préalable, l'application peut déraper et occasionner de nombreux problèmes. Pour éviter cette situation, il faut tout simplement s'inspirer de ce que font tous les pays du monde : ils subventionnent directement les nécessiteux et non pas toute la population. Ceux-ci ont d'ailleurs commencé par moderniser d'abord leur système d'information, avant de lancer ce genre d'opération. C'est le cas de la Suède et du Danemark, qui subventionnent directement les plus démunis à travers divers systèmes. - Les subventions destinées aux plus nécessiteux seraient donc incluses dans les salaires ? Oui, cela peut se faire à partir des salaires pour la frange de la population qui travaille, en fixant un seuil, par exemple, de moins 50 000 ou de 60 000 DA pour cibler la catégorie la plus fragile des salariés. Le gouvernement pourrait ainsi identifier les bénéficiaires qui auront droit à une subvention décidée par le gouvernement pour couvrir les produits essentiels de première nécessité. Pour ceux qui ne travaillent pas, le gouvernement pourrait recourir à un système de revenus en fixant un montant – 9000 DA, par exemple – à octroyer aux bénéficiaires pour les aider à acheter les produits de première nécessité.