Un livre qui coïncidera avec la tenue de l'élection présidentielle en Tunisie, lors de laquelle le président Zine El Abidine Ben Ali tentera de briguer un quatrième mandat. Dans cet entretien, Mme Bensedrine livre son analyse sur ce rendez-vous électoral. « Une élection sans enjeux, dont l'issue ne fait aucun doute », estime-t-elle. Faut-il entretenir une lueur d'espoir quant à la transparence de la prochaine élection présidentielle, ou bien la question a-t-elle été déjà tranchée lors du dernier référendum sur l'amendement de la Constitution tunisienne qui a permis au président sortant Zine El Abidine Ben Ali de postuler pour un quatrième mandat ? Comme vous le dites si bien, nous assistons à une élection sans enjeux, dont l'issue ne fait aucun doute pour personne, aussi bien en Tunisie que dans le monde. On se demande parfois pourquoi cette élection, tant elle ne motive personne. Nous sommes à un mois de l'élection, mais le peuple tunisien est dans un état de démotivation quasi total par rapport à cette compétition électorale. On a du mal à voir ce qui peut faire bouger les choses. Vous avez parlé de l'amendement de la Constitution qui a eu lieu en 2002, ce qu'il y a de changé par rapport aux élections précédentes est que cette fois-ci on a affaire à une double usurpation : une usurpation par rapport à la question de l'alternance, c'est-à-dire quand bien même Ben Ali serait le meilleur des candidats, il pose sa candidature pour le problème de l'alternance. La seconde est que, comme toujours dans notre pays depuis l'indépendance, le peuple tunisien n'a pas eu droit une seule fois à des élections sincères où sa volonté a été respectée. Puisque la situation est telle que vous la décrivez, pourquoi, selon vous, trois candidats, notamment M. Halouani du parti Ettajdid, qui jouit d'une certaine crédibilité, se présentent-ils comme adversaires de Zine El Abidine Ben Ali ? Concernant les deux autres candidats, c'est peut-être inutile d'en parler, tant il est vrai que ce sont des candidats alibis, désignés par le pouvoir. Je parle notamment de Bouchiha qui a été décoré le 25 juillet dernier de l'insigne de la République par M. Ben Ali. On a affaire à de faux candidats, qui sont là juste pour justifier un pluralisme aux yeux du monde extérieur. Pour la candidature de Halouani, elle est moins alibi, je suis d'accord. Cependant, on a du mal à partager l'analyse sur sa présence dans cette compétition. Quand l'idée d'une initiative démocratique regroupant tous les partis d'opposition, reconnus ou non reconnus, pour tenter une action commune et mettre en évidence le verrouillage du système, une idée à laquelle nous avons tous applaudi, aussi bien les partis d'opposition que les ONG de droits humains, Ettajdid, un parti qui a passé le plus clair de son temps à soutenir la dictature de Ben Ali, a posé problème. Il a rompu cette démarche commune, devenue par la suite une démarche perfide, élargie à quelques indépendants. La raison pour laquelle la démarche a capoté est qu'Ettajdid refuse de dire à Ben Ali : « Tu es un candidat illégitime et illégal. » Ce qui fait qu'on ne peut pas marcher avec lui. Il est cependant vrai que M. Halouani n'est pas un candidat comparable à Mohamed Bouchiha ou à Mounir Béji, il se laisse toutefois prendre dans le filet du verrouillage et qu'en fin de compte il ne peut que servir à crédibiliser quelque chose qui s'appelle une compétition électorale. Les limites et les tabous posés par Ettajdid se résument-ils uniquement au fait de ne pas reconnaître l'illégitimité du président tunisien, ou bien est-ce que l'initiative commune de l'opposition a de fait été noyautée par le pouvoir tunisien ? Je ne dirai pas que le pouvoir a noyauté notre initiative. Je dis simplement qu'Ettajdid est prisonnier de ses propres léthargies qui ont fait de lui un parti alibi, un parti de l'opposition de décor des années noires de la dictature. Cette démarche, telle qu'elle se présente aujourd'hui, en rupture avec une démarche unitaire de l'opposition, qui ne franchit pas les tabous, refuse de contester l'illégalité et l'illégitimité de Ben Ali. En réalité, le problème réside dans tout le système. En plus de la confusion entre le parti et l'Etat, on a affaire à une compétition où le candidat sortant désigne ses adversaires, définit la règle du jeu et nomme l'arbitre. D'abord, d'après la loi, il n'y a que l'opposition nommée au Parlement qui a le droit de se présenter à l'élection présidentielle. Sachant que les élections parlementaires obéissent aux mêmes règles, au même système fermé, il est clair que ne peuvent participer à la présidentielle que ceux qui ont déjà fait allégeance. Quant à la définition de la règle du jeu, c'est M. Ben Ali qui a procédé à l'amendement de la Constitution, c'est lui qui a dit combien de fois il a le droit de se représenter, comment le scrutin va être contrôlé. Pour revenir enfin à l'arbitre nommé, de fait, il y en a deux. Le premier est le Conseil constitutionnel. Il est nommé par le président de la République, ce qui revient à dire que ce candidat désigne ceux qui vont le contrôler. Cette institution a en plus un rôle strictement consultatif et ne rend compte qu'au président de la République, le seul aussi à avoir le droit de la saisir. Quant au second arbitre, Ben Ali a nommé au mois de septembre tous les membres de l'observatoire chargé soi-disant de contrôler la régularité du scrutin. Son président n'est autre que Abdelwaheb El Béhi. C'est l'ancien bâtonnier qui, de 1992 à 1998, a plongé le barreau dans une allégeance jamais connue auparavant. Il a soutenu la présidentielle de 1994, quand il y a eu des procès politiques comme celui d'Ennahda devant un tribunal militaire, il a appelé cela un procès civilisé, il bafoue l'éthique, il a pris la défense du frère de Ben Ali dans une affaire de trafic de stupéfiants. C'est un homme complètement soumis. Quelle est donc la meilleure attitude à adopter face à la prochaine élection présidentielle ? On avait espéré qu'une démarche unitaire autour d'un candidat sur la base d'une plateforme de dissidence, de remise en cause du système actuel, aurait été une bonne solution. Cette solution n'est pas possible aujourd'hui, car nous n'avons pas réussi à nous entendre. A mon avis, dans la situation actuelle, il n'y a pas d'autre solution que le boycott, parce que la règle de l'alternance a été bafouée. C'est une mascarade électorale, qui va simplement servir à donner une couverture de légalité à une opération de hold-up du pouvoir. Est-il possible aujourd'hui de tenir de tels propos en Tunisie ? La situation des droits de l'homme a-t-elle évolué dans le sens de moins de répression ? Quand la campagne électorale va s'ouvrir, les partis qui sont engagés dans l'élection auront le droit d'organiser des réunions. Il reste à vérifier si on va leur laisser la possibilité de débattre réellement. Dans l'état actuel des choses, les espaces de débat n'existent pas, il n'y a pas de journaux libres en Tunisie, il existe en tout et pour tout deux journaux d'opposition qui apparaissent par intermittence, mais aucun journal indépendant libre, aucune télévision ni radio libres. La réunion publique est pratiquement inexistante. Malheureusement, les événements du 11 septembre 2001 ont été un tournant, ils ont été instrumentalisés par notre dictature pour revenir sur les maigres acquis réalisés durant les années précédentes et avoir l'aval des démocraties occidentales qui, pour assurer la sécurité sur leur territoire, sont en train de cautionner nos dictatures pour soi-disant lutter contre le terrorisme. Le terrorisme est en train d'être fabriqué par des régimes de ce genre, qui ferment tous les espaces de protestation pacifique et ne laissent ouverte que l'éventualité de la violence pour les jeunes qui veulent affirmer une idée autre. Certains analystes estiment que le départ des dirigeants arabes, c'est les islamistes au pouvoir... C'est un chantage dans lequel je ne marche plus du tout. Justement, c'est eux qui fabriquent le terrorisme, l'extrémisme, par leur politique d'exclusion, leur politique injuste, leur politique immorale de corruption. Ils prennent argument des résultats catastrophiques de leur politique pour dire : sans nous, c'est la catastrophe. Mais la catastrophe, c'est eux. L'unique solution est de laisser le libre jeu démocratique qui va lui-même faire émerger une nouvelle classe politique capable de diriger correctement nos pays. Le pouvoir tunisien continue-t-il de jouer la carte de ce qui est convenu d'appeler l'embellie économique tunisienne pour se maintenir ? Tout d'abord, je conteste le bilan euphorique avancé pour dire que tout va bien sur le plan économique en Tunisie. C'est une vitrine qui ne résiste pas à l'analyse. Actuellement, le FMI lance des signaux concernant le système bancaire qui est près de la banqueroute en Tunisie. Il y a beaucoup de propagande dans cette image idyllique d'une économie réussie.