Le quatrième mandat du successeur de Habib Bourguiba est assuré dans la mesure où son parti, le RCD, régente à sa guise la vie politique tunisienne. À 68 ans, Zine El Abidine Ben Ali, qui dirige la Tunisie d'une main de fer depuis qu'il a renversé son prédécesseur le 7 novembre 1987, se présente en toute quiétude à cette élection présidentielle. Non seulement il est certain d'être réélu, mais pourrait même battre son précédent record de voix, enregistré lors du précédent scrutin (99,44%). Deuxième président de la République tunisienne depuis que ce pays a recouvert son indépendance le 20 mars 1956, le général Zine El Abidine Ben Ali est bien parti pour un quatrième quinquennat. Tous les indicateurs lui sont favorables. Son parti, le Rassemblement constitutionnel destourien (RCD), contrôle tout ce qui se passe en Tunisie. Au Parlement, il dispose de 148 sièges sur un total de 182. L'opposition, qualifiée de “légale”, n'en a récolté que 34 lors des dernières législatives. Parcours d'un enfant du système Dès 1958, Zine El Abidine Ben Ali s'est incrusté dans les rouages du pouvoir à l'ombre du puissant Habib Bourguiba. Général de l'armée formé aux écoles militaires françaises interarmes de Saint-Cyr et artillerie de Châlons-sur-Marne, et aussi américaines, renseignement et sécurité et artillerie de campagne anti-aérienne, Ben Ali a été à la tête du renseignement militaire tunisien jusqu'en 1974. Trois années plus tard, il est promu directeur général de la Sûreté nationale. En octobre 1985, il entre au gouvernement au poste de secrétaire d'Etat à la Sûreté nationale avant d'être nommé six mois après comme ministre de l'Intérieur. Ben Ali réussit à gagner la confiance de Bourguiba qui le propulse Premier ministre en octobre 1987. Il ne lui a pas fallu plus d'un mois pour écarter du pouvoir son bienfaiteur. En effet, le 7 novembre 1987, Habib Bourguiba était destitué pour sénilité. Verrouillage du pouvoir L'opposition, dont il n'y avait aucune trace sous Bourguiba à cause de la nature du système politique qui ne le permettait pas, ne risquait pas de s'épanouir avec l'arrivée de Ben Ali au pouvoir. C'est le verrouillage total. La presse, qui n'avait que rarement l'occasion de se manifester, est muselée davantage. Tout journaliste bravant l'interdit se retrouvait interné. La justice frappe d'une main très lourde. Sihem Bensadrine et autres Taoufik Benbrik l'ont vérifié à leurs dépens. Et ce ne sont pas les critiques des organisations non gouvernementales ou de l'opposition clandestine qui y changent quelque chose. L'instauration d'une véritable oligarchie, avec l'entrée de la belle famille du président dans les rouages du pouvoir, a permis la centralisation de tous les centres de décision entre une partie restreinte de l'entourage du chef de l'Etat, dont particulièrement son épouse Leïla Ben Ali. Très influente et s'intéressant de près à toutes les activités de son époux, y compris politiques, Mme Ben Ali gère la Tunisie en toute propriété. Une démocratie de façade Devant la pression d'organisations de défense des droits de l'Homme, appuyées par certains pays occidentaux, particulièrement les Etats-Unis, Ben Ali a institué un semblant de démocratie. Légalisant quelques partis de l'opposition, qui ne risquent pas de remettre en cause la pérennité de son règne, le président tunisien ne laisse aucune place aux vrais opposants. Occupant le terrain politique grâce aux moyens de l'Etat, comme l'était le FLN en Algérie à ses plus beaux jours, le Rassemblement constitutionnel destourien écrase ses autres rivaux. Les autres mouvements politiques ont besoin de l'assistance du RCD pour montrer qu'ils existent sur le terrain. Bloqués par les dispositions constitutionnelles, les partis sont par exemple obligés de demander son aide… pour se présenter contre son candidat comme c'est le cas pour ce scrutin présidentiel. Ne disposant pas de suffisamment d'élus au Parlement, les postulants à la magistrature suprême au nom des partis de l'opposition “légale” sont dans l'obligation de solliciter les signatures des élus du RCD pour pouvoir présenter un dossier de candidature en bonne et due forme comme le stipule la Constitution tunisienne. On ne peut trouver meilleur exemple pour illustrer la “démocratie de façade” prévalant en Tunisie. Tous les blocages levés Pour donner un semblant de légitimité à son “coup d'Etat” en douceur, qui avait placé Habib Bourguiba en résidence surveillée, Zine El Abidine Ben Ali s'est empressé de modifier la Constitution. Il a fait voter des dispositions annonçant une “véritable” démocratie en Tunisie, telle la limitation des mandats présidentiels à deux seulement. Mais à l'approche de l'expiration de son règne, il a vite fait de remettre de l'ordre dans la maison dictatoriale en biffant de la Constitution tout ce qui pouvait remettre en cause sa présence au sommet du pouvoir. Muselée, l'opposition réelle est restée pieds et poings liés face aux agissements de Ben Ali, assisté, il est vrai, par la puissante machine que constitue le Rassemblement constitutionnel destourien. Pérennité assurée À moins d'un renversement de situation extraordinaire, Zine El Abidine Ben Ali n'a pas à s'inquiéter pour son avenir au palais de Carthage. La consultation électorale d'aujourd'hui n'est qu'une simple formalité. Ses adversaires ne croient pas en leurs chances. Deux sur trois affirment même qu'ils ne se présentent pas en concurrents de Ben Ali, mais pour conforter la démocratie qu'il a “offerte” au peuple tunisien. Le troisième, Mohamed Ali Halouani, dont le parti, le Conseil national attajdid, dispose de cinq sièges au Parlement affirme être un véritable adversaire de Ben Ali. Il a osé un discours critique à l'endroit du maître de Tunis. Ne se faisant aucune illusion sur l'issue de la consultation électorale, qui confortera à coup sûr la présence du RCD au Parlement et assurera un nouveau bail de cinq années au général Ben Ali au palais de Carthage, Halouani aurait pour objectif d'“ouvrir une brèche” dans le système politique verrouillé. Il n'est en fait aucun doute quant à la reconduction de Ben Ali pour un nouveau mandat et probablement d'autres par la suite. Les Tunisiens continuent à vivre des promesses d'ouverture d'un président apparemment guère disposé à passer la main. Et ce ne sont pas les promesses qui ont manqué au cours de la campagne électorale du candidat-président. K. A