Si vous voulez vraiment comprendre la société algérienne, et même l'Algérie toute entière, vous devez indispensablement vous pencher sur son école. Et si vous voulez comprendre celle-ci, vous avez tout intérêt à lire Dimensions du champ éducatif algérien ; Analyses et évaluations*, de Mustapha Haddab. Un ouvrage de référence qui profitera aux chercheurs en sciences sociales, comme à toute personne intéressée par cette immense et sensible question. Il faut croire que l'excellence va souvent de pair avec la discrétion, car l'auteur est surtout connu pour cette dernière qualité. Pourtant, Mustapha Haddab est un des rares spécialistes dont nous disposons en matière de système éducatif. Après des études de sociologie, il a enseigné cette matière à l'université d'Alger, avant de se consacrer à la recherche avec une focalisation sur l'école, mais également des domaines connexes, tels que le statut des cadres et des élites ou la dimension sociologique des langues. En dehors de ses recherches, il est conseiller à l'Inesg (Institut national des études stratégiques globales) où il est chargé du département éducation, culture et communication. On lui doit de nombreuses publications et contributions sur son centre d'intérêt, ainsi que des publications sur des personnalités, telles que Ibn Khaldoun, Jean El Mouhoub Amrouche ou Frantz Fanon. Voilà pour lui. Quant à son livre, il s'agit d'un recueil de contributions publiées dans des revues spécialisées. Ce genre éditorial est hasardeux, donnant parfois l'impression de patchworks. Ici, au contraire, les 14 textes aux fortes complémentarités, forment un ensemble harmonieux qui dessine l'évolution de l'école algérienne. L'ouvrage se distingue également par une vision à la fois précise et large du système éducatif. Précise, car son contenu s'appuie sur des enquêtes de terrain et des données de première main. Large, car la focalisation sur l'école s'accompagne de ses interactions avec l'environnement social, culturel, économique... Le recueil permet de découvrir l'intra et l'extra-muros éducatifs et la porosité entre les deux. Ainsi, peut-on lire dans l'avant-propos de l'auteur : «L'évolution du système éducatif, tel qu'il s'est progressivement constitué depuis l'indépendance, s'est accompagnée d'une variation significative de ses rapports objectifs aux différentes catégories sociales qui composent la société et qui, elles-mêmes, ont connu d'importants changements dans leurs effectifs et dans leurs positions dans les hiérarchies sociales.» C'est dire l'amplitude du propos qui parcourt l'ouvrage et présente une diversité de thèmes qui, au final, se rejoignent tous. Impossible ici de rendre compte de la richesse de ces textes. Mais citons les titres de quelques-uns : Arabisation de l'enseignement des sciences et mutations dans le champ sociolinguistique, Mécanismes de domination culturelle : formes de la production et de la répartition inégale du capital culturel et scolaire, Transformations dans le monde du travail en Algérie et évolution du système d'éducation et de formation, L'ordinateur et le bachelier : le baccalauréat, instance de sélection sociale et instrument de régulation des flux», «La déperdition scolaire, thème idéologique ou objet d'évaluation quantitative, etc. Le premier texte porte sur les moniteurs de l'enseignement primaire en Algérie et date de 1979, ce qui, de prime abord, peut laisser penser qu'il est bien dépassé. Mais aux origines du système éducatif national, Mustapha Haddab nous dévoile sa genèse, ses caractéristiques et ses tendances. Il nous ramène à 1962 et cette première rentrée scolaire qui s'annonçait chaotique après le départ de la majorité des enseignants français. Il fallait prendre des mesures d'urgence. Aussi, a-t-on recruté à tour de bras pour relever le défi. Et comme les postulants n'étaient pas formés pour l'enseignement, on a créé le statut de «moniteur de l'éducation», peut-être unique au monde. Qu'on se figure ; en une seule année scolaire (62-63), près de 11 000 sont recrutés, soit plus de 50% des effectifs du primaire. l'auteur se livre à une analyse sociologique remarquable de ce corps, montrant les répercussions pédagogiques de l'insuffisante préparation des moniteurs comme l'effet des idéologies qui les traversaient, charriant des prénotions, telles que le mythe du don. Cette croyance en des dispositions innées des élèves est compréhensible, car elle leur permettait de justifier, même inconsciemment, une faiblesse professionnelle. Le statut de moniteur disparaîtra, mais ses anciens titulaires, promus par stages et promotions, demeureront en place. Haddab y voit les premières «manifestations des processus par lesquels se transforment les bases socioculturelles de l'Algérie d'aujourd'hui». Outre cette grande capacité d'observation des tendances, l'auteur se distingue aussi par son absence de préjugés. Il se base d'abord sur ses enquêtes, ce qui l'amène par exemple à affirmer : «… la pratique de la prière peut coexister avec une curiosité culturelle plus grande que celle que l'on peut observer chez des personnes qui ne font pas la prière ou ne la font que très irrégulièrement…» C'est que ses recherches et analyses englobent tous les aspects de l'école dans ses rapports aux langues, aux statuts sociaux, à la religion, au rural et à l'urbain, à la culture et aux arts, etc. Le livre, par ailleurs d'une qualité graphique impeccable, vient nous rappeler combien l'école est à la fois un laboratoire et un cobaye de la société. A lire vraiment. * Mustapha Haddab, «Dimensions du champ éducatif algérien ; Analyses et évaluations». Ed. Arak, Alger, 2014. 262 p.