Passé le 15 août, dernière ligne droite des congés et les vacanciers ne sont pas au rendez-vous cette année. Du moins dans les proportions qu'attendaient ceux qui mettent à profit cette période de l'année pour se faire de l'argent. C'est-à-dire les commerçants ou ceux qui, le temps d'un été, se transforment en marchand de sommeil sans scrupule et puis il y a aussi tous les petits métiers de saison qui aident à préparer la rentrée scolaire. Avec l'eau qui a un mauvais goût, les vacanciers qui manquent à l'appel sont les préoccupations et le sujet de conversation les plus répandus. Que l'on s'en plaigne ou que l'on s'en réjouisse, cela existe, le verdict est le même : « Ils ne sont pas venus cette année à cause de la cherté et de la saleté. » La cherté c'est d'abord celle des produits de consommation, même les fruits et légumes du terroir. Le marché hebdomadaire encombré s'aligne, lui aussi, sur les prix pratiqués. Les fruits et légumes, la viande bovine et la volaille s'envolent. Le poisson, lui, disparaît. Ensuite la cherté des services comme la restauration et l'hébergement, où on cherchera en vain un rapport qualité-prix. A une ou deux exceptions près, les hôtels sont dans un état lamentable, surtout en ce qui concerne l'hygiène, et pratiquent des prix sans commune mesure avec ce qui se pratique de l'autre côté de la frontière toute proche. C'est pour cette raison que les vacanciers ne font qu'une halte pour le carburant à El Kala et continuent vers la Tunisie, où pour le même budget, on peut avoir mille fois mieux. L'hébergement chez l'habitant, formule avantageuse autant pour l'hôte que pour l'estivant s'il y avait un minimum de morale et de scrupule, aurait pu emprunter une voie plus professionnelle et éviter les nombreux désagréments qui ont conduit à son recours systématique. Là encore, il faut souligner le manque d'hygiène. Certains logements sont tout bonnement infects. Et les prix pratiqués, jusqu'à 50 000 DA/mois pour un deux-pièces dans un HLM, ont découragé les estivants, qui ont compris qu'ils étaient les dindons de la farce. Car avec la même somme, l'hôte, lui, se paye des vacances de rêve à Hammamet ou à Sousse. « A El Kala, la saleté est partout », nous dit le pharmacien d'un quartier populaire, « il faut regarder le ciel pour éviter de la voir ». Les lieux publics ne sont jamais nettoyés à grande eau. Au fil des jours, s'accumulent alors des tonnes de crasse que même les pluies hivernales ont du mal à récurer. Elle ne disparaît qu'avec le renouvellement, à grands frais et plus fréquent, des trottoirs et des placettes. Beaucoup de cette saleté provient de l'activité et du lavage et des commerces pour lesquels les lieux publics font office de décharge publique et d'égouts. Ailleurs, les ordures ménagères sont partout, éparpillées par le vent, en tas dans les recoins, ou dans l'attente de leur enlèvement là où cela se fait plus ou moins régulièrement. A Grand-plage, un quartier où vivent 500 familles, durant vingt jours, on a attendu le tracteur de la voirie. Les détritus, il y en a aussi tout le long des routes, sur les plages et dans les aires de détente très fréquentées. Contrairement à ce que l'on tente de faire croire, les sachets en plastique n'ont pas disparu, ils ont seulement changé de couleur. Du blanc, du bleu, du vert, du jaune et du rose au lieu de ce noir qui irrite tant le ministre de l'Environnement. Maintenant, il faut y ajouter les bouteilles en plastique et les canettes de bière. Il y en a partout, partout, partout. « Bienvenue à nos hôtes de l'été » disent des banderoles d'un genre nouveau jetées en travers des rues principales. Elles ont dû coûter autant qu'une bonne cinquantaine de poubelles collectives. C'est comme ces lampadaires à la lumière blafarde, qui sont venus remplacés ceux aussi installés tout neufs l'année dernière. Les habitants d'El Kala accusent l'APC d'en faire plus pour les estivants, à grands frais et le plus souvent pour des bricoles inutiles que pour la collectivité. La population locale croupit toujours dans les cloaques des cités, sans rues, sans éclairage et entre les tas d'immondices. Pourquoi se ruiner en mobilier urbain à l'apparence luxueuse et qu'on ne peut pas entretenir ensuite faute de budget ? S'il n'y a pas anguille sous roche, c'est un manque caractérisé de bon sens ! Il a fait anormalement chaud et humide tout le mois de juillet et la mer était démontée pendant plus d'une semaine au début du mois, c'est ce qui a poussé les vacanciers à se rendre ailleurs, expliquent ceux pour qui la cherté et la saleté ne seraient pas les seules raisons de la désaffection de cette année. Car, ajoutent-ils, c'est partout la même chose. Mais ne dit-on pas qu'à toute chose malheur est bon. En effet, des familles en pique-nique au bord du lac Tonga nous ont avoué avoir découvert les paysages et les bienfaits de la nature autour de la ville grâce, précisément, au gros temps en mer qui a duré et à la saleté des lieux publics. Il n'y a pas de toilettes publiques dignes de ce nom. Souhaitons que ces découvertes récentes restent le plus longtemps possible dans l'état où elles ont été trouvées. Le temps que les grands et les petits, adultes et enfants, décideurs, responsables et simples citoyens apprennent et réapprennent les bonnes manières.