Officiellement, l'Italie serait prête à envoyer des soldats en Libye «pour combattre l'avancée des terroristes de l'ISIS». Il s'agirait d'une intervention terrestre, que les responsables italiens voudraient «coordonner avec les alliés européens et les pays voisins de la Libye». C'est le ministre des Affaires étrangères, Paolo Gentiloni, qui a affirmé le premier, lors d'un entretien télévisé, que son pays ne pouvait rester passif face à l'avancée des hommes armés de l'ISIS. «L'Italie soutient la médiation de l'ONU, mais si on ne réussit pas, il faudra se poser le problème et, avec l'ONU, faire quelque chose de plus.» Plus explicite, le chef de la diplomatie italienne a ajouté : «L'Italie est prête, dans le cadre de la légalité internationale, à combattre (...). Nous ne pouvons pas accepter qu'à quelques heures de navigation de nous, il puisse y avoir un terrorisme actif.» L'argument de la «proximité» du terrain belliqueux est faible en soi. Faut-il rappeler que les terroristes armés, en Algérie, étaient actifs pendant dix ans, à quelques kilomètres des côtes italiennes, mais Rome n'avait jamais semblé préoccupée outre mesure. Cette déclaration inattendue a valu à l'Italie une menace directe proférée par l'ISIS qui, sur sa radio de propagande Al Bayan, qui émet à partir de Mossul, a taxé la péninsule de «pays des croisés». Et c'est la ministre de la Défense, Roberta Pinotti, qui a renchéri, hier, sur les pages du quotidien romain Il Messaggero, en confirmant l'intention de son gouvernement : «L'Italie est prête à guider en Libye une coalition des pays de la région, européens et d'Afrique du Nord, pour arrêter l'avancée du califat qui est parvenu à 350 km de nos côtes. Si en Afghanistan nous avons envoyé jusqu'à 5000 soldats, dans un pays comme la Libye, qui nous concerne de beaucoup plus près et où le risque de détérioration est beaucoup plus important pour l'Italie, notre mission peut être significative et consistante, y compris en effectifs (...). Cela fait des mois que nous en parlons, à présent cette intervention est devenue urgente.» Le feu vert de Washington Dans un tweet diffusé hier à midi, Mme Pinotti laissait de nouveau entendre que l'Italie était prête «à faire sa part dans le cadre d'une mission de l'ONU. Pour l'instant, on soutient l'effort diplomatique». Ces déclarations officielles ont jeté le trouble, y compris parmi la classe politique italienne ; les partis de l'opposition ont demandé au ministre des Affaires étrangères de se présenter devant le Parlement pour s'expliquer sur cette question cruciale, ce qu'il fera jeudi prochain Il est vrai que l'Italie craint un déferlement de réfugiés sur ses côtes, surtout qu'elle vient de mettre terme au plan Mare Nostrum par souci d'épargne (hier, on signalait 12 embarcations au large de la Libye en voyage vers l'Europe). Et il est avéré qu'elle a des intérêts économiques très importants en Libye (le groupe énergétique ENI y a consenti de gros investissements) et il lui arrivait de produire, dans cette situation instable, jusqu'à 180 000 barils d'hydrocarbures par jour, une production acheminée vers la Sicile via le gazoduc Green stream). Mais l'Italie n'a tout de même pas le poids diplomatique d'une puissance européenne qui déciderait, unilatéralement, d'envoyer des milliers de soldats dans un pays en proie au chaos, qui plus est son ancienne colonie. Gouvernée par des hommes politiques ouvertement pro-américains et pro-israéliens, la péninsule ne prendra jamais l'initiative de participer à une guerre terrestre en Libye si elle n'a pas eu au préalable carte blanche de la Maison-Blanche et des pays voisins. Est-ce pour cela que Gentiloni s'est rendu précipitamment à Alger, il y a deux semaines, alors qu'il n'y avait aucun enjeu diplomatique ou économique en vue ? Que lui ont dit les responsables algériens ? Ont-ils donné leur bénédiction à une intervention armée terrestre délicate, à quelques encablures de la frontière est de l'Algérie ?