«Nos forces armées ont mené lundi des frappes aériennes ciblées contre des camps et des lieux de rassemblement ou des dépôts d'armes de Daech en Libye», a indiqué l'armée égyptienne dans un communiqué repris par les médias. Les télévisions ont montré le décollage d'avions de combat en pleine nuit, assurant qu'ils partaient pour la Libye voisine. «La frappe a atteint ses objectifs avec précision», et les pilotes sont rentrés sains et saufs, ajoutera le communiqué. Dès la diffusion de la vidéo de l'EI, le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, avait convoqué d'urgence, dimanche soir dernier, le Conseil national de défense et juré de punir les «assassins» de la manière «adéquate». M. Sissi a affirmé que l'Egypte se réservait le droit de répondre par tous les moyens qu'elle jugerait nécessaires à l'exécution des 21 Coptes. L'Eglise copte a déclaré au Caire qu'elle était «confiante» que le gouvernement ne laisserait pas s'échapper les auteurs de «ce crime abominable». Djamaâ Al-Azhar a également réagi et qualifié ces exécutions de «barbares». Fort du soutien des deux représentants du christianisme et de l'islam, le Président égyptien avait dès lors toute latitude pour passer à l'action. Mais pour ne pas enfreindre le droit international en se rendant coupable d'une violation du territoire libyen, le raid de l'aviation égyptienne, qui a visé des camps, des sites d'entraînement et des arsenaux de l'organisation terroriste, a été mené conjointement avec les forces aériennes fidèles au gouvernement officiel libyen. Le commandant de l'aviation libyenne, Saker al Djorouchi, a d'ailleurs confirmé dans un entretien téléphonique accordé à la chaîne de télévision Al Arabiya, leur participation à cette attaque qui, précisera-t-il, a visé Derna, ville considérée comme le fief des groupes extrémistes située dans l'est du pays, entre Benghazi et les frontières égypto-libyennes. «D'autres frappes aériennes seront menées aujourd'hui et demain (lundi et mardi, Ndlr) en coordination avec l'Egypte», a affirmé Al Djorouchi qui a affirmé dans un autre entretien à la télévision d'Etat égyptienne, que les frappes de forces aériennes libyennes avaient tué 40 à 50 combattants islamistes, détruit des réserves de munitions et des centres de communication. Parallèlement aux opérations militaires, le Caire mène une action diplomatique pour s'assurer un soutien international. Un ministre égyptien a appelé le monde à une «intervention ferme» en Libye. Et des résultats positifs se profilent. Les Emirats arabes unis ont déjà annoncé qu'ils «mettraient toutes leurs capacités au service des efforts de l'Egypte pour éradiquer le terrorisme et la violence». Si Washington s'est contenté de condamner un «meurtre abject», estimant que «la barbarie de l'EI n'a pas de limites», la France se déclare, elle, officiellement aux côtés de l'Egypte. Après un entretien téléphonique, le président français, François Hollande, et son homologue égyptien ont demandé, hier, dans une déclaration commune, une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies et «de nouvelles mesures» contre l'EI. L'Egypte doit en même temps «assurer la sécurité du canal de Suez» et combattre l'EI sur son territoire «dans le Sinaï», et «il y a dans le chaos libyen des risques de jonction entre ce qu'est Daech au Levant et Daech en Libye [...]. Aujourd'hui preuve est faite qu'il y a des centres d'entraînement et des actions spécifiques de Daech en Libye. La Libye, c'est de l'autre côté de la Méditerranée, c'est très proche de nous, d'où la nécessité d'être très vigilant et d'être allié avec les pays de la coalition, comme l'est l'Egypte», a affirmé, hier, le ministre français de la Défense, Jean-Yves le Drian, avant de s'envoler pour le Caire. Rappelons que la prise de position de Paris est intervenue le jour de la signature, au Caire, d'un accord bilatéral sur la fourniture par la France d'avions Rafale à l'Egypte. Le contrat s'élève à 5,2 milliards d'euros pour la vente de 24 avions Rafale, une frégate Fremm et des missiles. Mais le Caire entend élargir l'alliance contre Daech. «L'Egypte renouvelle son appel en direction de la coalition formée contre l'organisation terroriste Daech afin qu'elle prenne les dispositions nécessaires pour combattre l'organisation Daech et les organisations terroristes similaires sur le territoire libyen», a déclaré le ministre égyptien des Affaires étrangères. L'autre soutien, qui n'est pas des moindres, vient de l'Italie, que 200 kilomètres de mer seulement séparent des côtes libyennes. Comme le Caire, Rome multiplie les contacts et les appels pour la formation d'une coalition contre Daech. L'Italie, qui alerte sur la nécessité d'«arrêter la progression du califat, qui est parvenu à 350 km des côtes» italiennes, donc de l'Europe, se dit même disposée à mobiliser jusqu'à 5 000 militaires et à prendre la tête d'une coalition internationale contre l'EI en Libye, qui comprendrait «sûrement la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne». La ministre italienne de la Défense, Roberta Pinotti, a clairement défini la position de son pays dans un entretien publié dimanche dernier dans le quotidien Il Messagero. «Si en Afghanistan nous avons envoyé jusqu'à 5 000 hommes, dans un pays comme la Libye qui nous concerne de bien plus près et où le risque de dégradation est bien plus préoccupant pour l'Italie, notre mission peut être significative et consistante, aussi en ce qui concerne les effectifs [...]. Nous en discutons depuis des mois, mais c'est devenu urgent [...]. Le risque est imminent, on ne peut attendre au-delà. L'Italie a des exigences de défense nationale : ne pas voir un califat qui gouverne sur la côte d'en face. Mais nous voulons nous coordonner avec d'autres dans un système de légalité internationale», a-t-elle déclaré, sans préciser quel type d'intervention serait décidé. De son côté, le président du Conseil, Matteo Renzi, a affirmé que «l'Italie était prête, dans le cadre d'une mission ONU, à remplir son rôle pour défendre une idée de la liberté». Les ministres de la Défense, et des Affaires étrangères adoptent la même position et soutiennent que l'Italie est prête à combattre et à guider en Libye une coalition de pays pour arrêter la progression de Daech. «L'Italie est en première ligne et prend conscience qu'elle ne peut pas être seule face à la menace et cherche ainsi à réveiller ses voisins pour orchestrer une réponse internationale», résume Dominique Moïsi, géo-politologue et conseiller spécial à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Mais, au-delà de la lutte antiterroriste, il y a aussi et surtout ! les enjeux géostratégiques et économiques qui font bouger Rome, comme Paris et les autres capitales occidentales du reste. L'Italie a un pré-carré et des intérêts économiques importants en Libye qu'elle veut défendre. La compagnie pétrolière italienne ENI est la plus importante en Lybie, pays pétrolier le plus important en Afrique et 9e du monde, et les extractions pétrolières sont à l'arrêt dans certaines zones alors que 28% du pétrole libyen est exporté vers l'Italie. Selon les analystes, c'est dans le partage de ces ressources pétrolières qu'il faut chercher les difficultés pour la communauté internationale de trouver une réaction commune au problème libyen. Mais la menace terroriste qui se profile à 200 km des côtes européennes pourrait faire l'effet d'un catalyseur qui précipitera cette réaction commune. Toutefois, quand bien même ils trouveraient le point de convergence pour intervenir contre l'EI en Libye, les pays occidentaux voudraient éviter de reproduire les erreurs du passé qui ont transformé les pays où ils sont intervenus en véritables terreaux pour les organisations terroristes qui ont joué sur l'image de ces coalitions de «Croisés» portant la guerre en terre d'islam pour appeler au djihad (guerre sainte) et recruter. Ainsi, l'option d'une intervention militaire au sol, comme le souhaite Rome, est peu envisageable à ce stade, selon M. Moïsi qui estime qu'il serait «moins dangereux» d'encourager des pays comme l'Egypte pour qu'ils envoient des troupes sur le terrain, appuyés par des forces aériennes européennes. «En termes d'image, ce serait préférable [...]. Il y aurait moins cette idée d'intervention directe des pays occidentaux sur le sol libyen», dira-t-il. Autrement dit, de «Croisés» dans un pays musulman. H. G./Agences