Y a-t-il donc un gouvernement officiel dirigé par Ahmed Ouyahia et un autre officieux emmené par Abdelaziz Belkhadem ? Pour saugrenue qu'elle paraît, cette interrogation n'en est pas moins fondée, quand on observe les passes d'armes publiques et successives entre ces deux personnalités, défendant théoriquement le même programme, celui du président de la République. La réaction négative du secrétaire général du FLN à la déclaration de son chef du gouvernement et néanmoins partenaire au sein de l'alliance à propos de l'« illégitimité » des revendications salariales des travailleurs semble symptomatique de la tension caractérisant les rapports entre ces deux acteurs. Que de si lourdes différences d'appréciation sur des questions nationales soient aussi crûment projetées sur la place publique renseignent que les deux hommes sont peut-être unis pour le meilleur, mais pas pour le pire. Il a suffi que Ahmed Ouyahia commette une bourde, qui a peut-être dépassé sa pensée, pour que son « allié » monte sur ses grands chevaux pour le rappeler à l'ordre. La logique aurait voulu que Belkhadem tente de rattraper le coup en volant au secours de Ouyahia, au nom de la solidarité gouvernementale. Au contraire, le patron du FLN semble être à l'affût d'une incartade du chef du gouvernement pour tirer sur lui à bout portant quitte à sacrifier la sacro sainte discipline de groupe. L'objectif étant évidemment de montrer du doigt un Ouyahia impopulaire. Et cette recette aurait pu marcher si Belkhadem était responsable d'un parti d'opposition. Or, détenant plus de 16 ministres dans l'équipe de Ouyahia, le SG du FLN n'a aucune circonstance atténuante à faire valoir pour justifier ses mises au point sur l'action de l'Exécutif. Le propos ici n'est pas tant de dédouaner Ouyahia de ses responsabilités en tant chef du gouvernement, mais on ne peut pas jouer l'ubiquité politique qui consiste pour Belkhadem d'être à la fois au pouvoir et dans l'opposition. Il aurait pu reprocher l'inopportunité de sa déclaration à Ouyahia au sein de l'alliance. Mais en optant pour la manière forte, Belkhadem a un calcul politique dans sa tête. Ceci est d'autant plus vrai que les dossiers qui fâchent les deux hommes sont nombreux et même stratégiques. La révision constitutionnelle, le troisième mandat pour Bouteflika et l'augmentation des salaires de la Fonction publique sont autant de pierres d'achoppement qui freinent l'élan d'une alliance à bout de souffle. C'est ce qui explique que l'activité de ce groupe politique soit réduite à la passation de la présidence tournante chaque trois mois. Et la fameuse poignée de mains qu'ils affichent à cette occasion n'est que de la poudre aux yeux pour entretenir l'illusion d'un bloc politique soudé. En réalité, les trois partenaires, mais surtout le duo Ouyahia-Belkhadem, n'ont qu'une seule devise : chacun pour soi et Abdelaziz Bouteflika pour tous. C'est que Belkhadem garde ce souci de ne pas trop se mouiller dans les embardées de Ouyahia pour sauver la face de son parti. Sauf que la discipline gouvernementale, et l'essence même d'une alliance politique, c'est d'assumer toute action ou réaction de ce gouvernement, bonne ou mauvaise. Le partenaire mécontent doit ou quitter la « table » au nom de l'éthique politique ou proposer une alternative. Il est donc clair qu'un gouvernement à deux têtes, que nous donne à voir le tandem Ouyahia-Belkhadem, ne fait qu'installer la crise au sommet de l'Etat, déjà fragilisé par la maladie du Président. Bouteflika, qui arbitre ce duel, a probablement intérêt à trancher dans le vif.