La région des Ziban est un îlot de verdure gagné à la sueur du front de l'homme sur le Sahara, un désert autrefois hostile mais dont les charmes ont, depuis la nuit des temps, été célébrés par une pléiade de bédouins, troubadours dans des poèmes épiques où les exploits chevaleresques le disputent âprement à la passion amoureuse qui glorifie les sagas des beautés locales — Hizya et bien d'autres — élevées au rang du mythe. En cette période de l'été oasien nommée Essamma, les Ziban sont habités d'un bout à l'autre, a un soleil tyrannique qui, du haut de son immuable firmament, désespérément azur, flamboie de toute sa splendeur et attise, jusqu'à ce que les premières dattes mûrissent, une canicule à ne pas mettre un dromadaire dehors. Ses habitants, « Sisyphe d'hier et d'aujourd'hui, n'ont jamais renoncé, comme dirait le poète, à apprivoiser le désert », explique Ami Salah qui ajoute qu'à l'instar de leurs aïeux, ils ont avec la patience de job, peint par touches successives sur l'immensité fauve « la fraîcheur émeraude d'un chapelet d'oasis ». Nos concitoyens y ont développé à travers les siècles tout un art de vivre et celui d'y survivre, introuvables ailleurs et partagent des valeurs que la société actuelle plus encline à singer l'autre, boude ou rejette carrément « parce qu'elles exigent un peu de don de soi, beaucoup de persévérance et une autodiscipline de tous les instants et en tout lieu », conclut philosophiquement Ami Salah. Quand vient l'été, pour se préserver des dangers avérés d'un soleil implacable, « nous, les véritables habitants des Ziban, explique Hadj Sadok, avons de tout temps, pris l'habitude, et ce, dès l'enfance, de nous habiller de blanc de la tête aux pieds ». En effet et contrairement aux hommes bleus, les Oasiens ont jeté leur dévolu sur la couleur de la pureté et de l'innocence pour leur ample gandoura « de bien de chez nous, pas le kamis importé d'Arabie que d'aucuns arborent le vendredi ou les jours de fête, en signe de dévotion » ; une gandoura à large encolure échancrée qui sied bien, surtout sur un séroual chergui assorti, bouffant et plissé, sans oublier le chèche (fin turban en lin immaculé) sur lequel l'habitant des oasis ajustera la mdhalla, un chapeau de paille à large rebord, semblable à un sombrero que seuls les pasteurs nomades du Hodna savent encore tresser et peindre de couleurs chatoyantes ; enfin il enfile les naïls, mules ou babouches en véritable cuir, naguère badigeonnés au blanc d'Espagne qu'il va traîner nonchalamment aux pieds. C'est dans ce costume de saison et avec les indispensables accessoires que sont l'éventail des Ziban à manche de bois de laurier rose et la canne au pommeau ciselé que l'Oasien vous reçoit dans sa demeure traditionnelle qui, vu de loin, avec ses murs aveugles, climat oblige, ne paie pas de mine. Mais une fois à l'intérieur, confortablement installé dans le patio, c'est un éden pour la famille, où la vigne en treille avec ses grappes de muscat et le jasmin en fleurs enlacent d'autres arbustes à l'ombre desquels des carrés verdoyants fleurent bon la menthe et le basilic. Le maître des lieux, qu'il soit fellah ou gentleman farmer, vous offrira le succulent mnaggar — datte molle primeur — des Ziban à consommer sans modération. Cette datte à demi mûre et croquante à souhait, certains l'agrémentent de quartiers de pastèques noires de Doucen à l'incomparable saveur de fraise ou de melon jaune de Lioua ; d'autres, c'est une question de goût, préfèrent accompagner chaque mnaggar d'une rasade de... lait frais ou légèrement raïb. Quoi qu'il en soit, le mnaggar, très apprécié localement, n'est connu du reste du pays que sous forme de datte molle arrivée à maturité complète et qui, en changeant d'aspect, troque son nom de mnaggar contre celui de ghars plus répandu à travers tout le territoire. Le ghars se vend ces dernières années sous forme de pâte de dattes de teinte moutarde, en paquet d'une livre sous cellophane, prête à l'emploi. Les ménagères du nord du pays l'apprécient beaucoup et l'utilisent, à défaut de pâte d'amande — hors de prix pour le commun des ménages — comme farce pour divers gâteaux traditionnels, à l'occasion des grandes comme des petites fêtes. Jadis, le ghars mûri à point et sommairement déshydraté il était stocké à l'abri de l'air et du soleil dans des btana (peau de chèvre débarrassée des poils et traitée à cet effet), l'opération très délicate s'appelle toujours le hachoou, le bourrage en quelque sorte des dattes dans ces peaux que l'on bouche hermétiquement. Ainsi préparé, le ghars se conserve des années sans altération aucune. « Avec sa forte teneur en hydrates de carbone, le ghars est après le miel, l'aliment naturel le plus tonifiant et le plus nourrissant », précise un nutritionniste, à telle enseigne que jadis, les gens de Wadi Souf, en vue d'un long voyage en caravane, le consommaient sous forme de minces et longs boudins de pâte appelé localement aboud qu'ils avalaient sans les mâcher avec de petites gorgées d'eau pour faciliter le transit jusqu'à l'estomac. L'appareil digestif ainsi bourré, notre voyageur pouvait rester plusieurs jours sans rien manger. Dans les Ziban, comme ailleurs, si le ghars tient le haut du pavé de la route des dattes molles primeurs, dans la région de Sidi Okba, il s'incline courtoisement dès qu'apparaît litima (l'orpheline), tout de miel vêtue, appelée guettera dans le Zab el Gharbi et cède le pas au célébrissime Zog El moggar, le must des dattes molles dont les quelques palmiers qui le produisent encore sont sur le point de disparaître à jamais, un grand dam des fins connaisseurs en matière de phœniciculture.