La capitale a été une nouvelle fois fermée à toute expression pacifique de l'opposition. Le rassemblement, auquel ont appelé de nombreux partis politiques, a été empêché selon des procédés pernicieux qui renseignent sur la sophistication des méthodes de répression. Des rassemblements et des marches ont été, par ailleurs organisés dans plusieurs villes du pays, où des manifestants ont tenu à exprimer leur soutien à la population d'In Salah qui rejette le projet du gaz de schiste. Alger, une citadelle assiégée. Des murailles infranchissables des forces antiémeute ont été dressées pour empêcher le rassemblement contre l'exploitation du gaz de schiste auquel a appelé l'Instance de suivi et de coordination (ICSO) qui regroupe une dizaine de partis politiques de l'opposition. L'esplanade de la Grande-Poste, où devait se tenir le sit-in était tout simplement inaccessible. Le pouvoir a fait dans l'envahissement du terrain. Pour l'occuper, les autorités locales d'Alger ont organisé des festivités pour célébrer, dans le folklore, la journée du 24 Février – une nouvelle méthode de répression –, pendant que des contingents des forces de répression étaient déployés de la Grande-Poste jusqu'à la rue Didouche Mourad. Pendant que les troupes folkloriques amusaient la scène à coup de «zorna» et de «baroud», déchirant les tympans, les forces de police brandissaient la matraque contre les opposants à l'exploitation du gaz non conventionnel. La DGSN n'a pas fait dans la demi-mesure. Le général Hamel a sorti la grande artillerie pour réprimer les manifestants. Une véritable chasse à l'homme est déclenchée dès que les premiers opposants tentèrent d'atteindre la Grande-Poste. A peine ont-ils brandi des pancartes : «Non à l'exploitation du gaz de schiste», «Nous sommes tous des In Salah», ils se sont fait embarqués manu militari. Des leaders de partis de l'opposition ont été vraiment bousculés, malmenés et roulés par terre. C'est le cas de Mohamed Dhouibi d'Ennahda. L'ancien candidat à la présidentielle, Ali Benflis et son bras droit, Ahmed Attaf, ancien chef de la diplomatie durant les années 1990, ont été cernés par la police les empêchant de se rendre à la Grande-Poste. Ils ont été forcés de faire le chemin inverse pour rejoindre leurs camarades des autres formations politiques au siège du RCD, rue Didouche Mourad. Quant à Mohamed Arezki Ferrad, une des figures de la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique, il a failli perdre le souffle face à des policiers qui l'encerclaient. Djilali Soufiane et Djahid Younsi ont improvisé des points de presse sur le boulevard, mais les sirènes des fourgons de police assourdissantes empêchaient d'entendre quoi que ce soit. Noureddine Bahbouh, ancien ministre du RND, actuellement chef de l'Union des forces démocratiques et sociales, a aussi été maltraité et ils l'ont fait carrément tomber. Place Maurice Audin, du nom du militant communiste français indépendantiste, Karim Tabbou, chef de l'Union démocratique et sociale en attente d'agrément, crie sa colère : «Aujourd'hui, nous avons révélé les deux facettes du régime, sa dimension policière faite de répression et d'intimidation, l'autre le folklore et le karkabo. Ce sont là des signes du déclin du système.» Le dénonciateur des magistrats faussaires, Benyoucef Mellouk, a été cueilli à sa descente du train à la gare Agha. Le président du RCD, Mohcine Belabbas, était serein et imperturbable, mais à peine arrivé à la Grande-Poste en compagnie de Mohamed Dhouibi, il a été vite repoussé et forcé à rebrousser chemin vers la rue Didouche. Le chef du MSP, Abderrazak Makri, a tenté à plusieurs reprises de forcer le passage, en vain. «Notre action est un succès, nous avons réussi à briser le silence», lâche-t-il. Ainsi, Alger a été interdite à l'opposition lors de cette journée du 24 février, une date à forte charge historique. «Nous devons nous battre pour nous réapproprier notre histoire. Aujourd'hui, le pouvoir use de méthodes de type colonial pour rendre impossible tout changement démocratique», fulmine Haider Bendrihem. Le sociologue engagé Nacer Djabi s'est dit «choqué par la brutalité policière, signe d'affolement du pouvoir». Après ce corps-à-corps qui a duré toute la matinée, les leaders de l'opposition se sont retrouvés au bureau régional du RCD, pour un point de presse. Mohcine Belabbas a exigé la libération des manifestants arrêtés à Alger et à Boumerdès. Ali Benflis, lui, a fortement dénoncé «un régime pharaonique, autoritaire et personnel». «Le peuple exige son droit à l'autodétermination, à désigner ses gouvernants à travers des élections transparentes», a-t-il revendiqué, avant que les chefs des partis quittent les lieux avec le sentiment d'avoir marqué et célébré le 24 Février dans la lutte.