Il est 13h40 en ce mardi maussade et grisâtre, lorsque le Toyota Coaster assurant la liaison Béjaïa-Kherrata aborde les derniers virages avant le tunnel d'Aokas. A son bord, une vingtaine de voyageurs, étudiants et travailleurs en majorité, rentrant chez eux. Settar Hocine, 21 ans, est assis au milieu, côté fenêtre donnant sur la mer. Bouchergui Azzedine, 36 ans, policier, a pris place juste derrière le chauffeur. L 'ambiance à bord du bus qui était calme et sereine, vire tout à coup au drame. Quand Azzedine aperçoit les premières pierres qui dévalent de la montagne qui commence à gronder comme un volcan en éruption, il se lève en hurlant et demande au chauffeur de ralentir, de s'arrêter. N'ayant cure des cris et des hurlements qui fusent, le chauffeur continue de rouler, espérant sans doute prendre de vitesse l'avalanche de roches. Mais rien n'arrête les pierres qui déboulent à toute vitesse. Un rocher d'une quinzaine de tonnes sectionne le bus en deux en pleine course. Hocine et Azzedine auront la vie sauve. Ils s'en tirent l'un avec une fracture du fémur, l'autre avec un traumatisme crânien. D'autres voyageurs, comme ce père de famille assis en face de Hocine, n'auront pas cette chance. Outre le bus plié en deux sous la violence du choc, d'autres véhicules sont pris au piège de ce chaos infernal. Lorsque la poussière retombe, que le grondement de l'éboulement s'atténue, une véritable scène d'apocalypse s'offre aux yeux des premiers automobilistes qui arrivent sur les lieux. Sur les deux voies de cette route nationale très fréquentée, des véhicules sont écrasés sous d'énormes blocs de roche. Des blessés gémissent, agonisant, d'autres sont morts sur le coup. Certains ont eu plus de chance. Sous le choc, ils ne réalisent pas encore qu'ils viennent d'échapper miraculeusement à la mort. C'est le cas de ce couple originaire de Tizi Ouzou qui s'est offert une halte sur un parking face à la mer. Ils veulent se reposer, prendre l'air et donner le biberon à leur bébé de deux mois. Des miraculés Lorsque la montagne éructe et vomit une cascade de terre, de pierres et de rochers, ils regardent, impuissants, et croient leur dernière heure arrivée. D'énormes rochers atterrissent sur la Dacia Logan où ils se trouvaient quelques minutes auparavant ; elle est réduite en bouillie par un rocher. Juste à côté de la Dacia, c'est la vieille 206 de Abderrahmane Benali, 38 ans, qui est stationnée face à la mer. Spectateur de son propre cauchemar, il raconte : «Je me rendais d'Aokas à Tala Khaled chez le mécanicien pour réparer ma voiture. Je me suis arrêté sur le parking pour vérifier le niveau d'eau dans le radiateur qui a une fuite. Le temps d'ouvrir le capot, de vérifier et de le refermer, j'entends un bruit aussi énorme qu'horrible. Je lève les yeux et je vois un immense éboulement de terre et de roches qui nous arrive dessus. Tout devient noir. Je cherche à fuir, mais je ne vois aucune issue», dit-il. Abderrahmane pense alors à plonger dans la mer démontée. Il saute par dessus le parapet en béton vers la mer. Dans la panique, il chute et se brise net la jambe. Malgré la peur et la douleur, il puisera au fond de lui-même la force de rentrer dans sa voiture, de faire demi-tour et d'avertir les policiers à l'entrée du tunnel : «Il y a des morts et des blessés, allez-y !» Péniblement, il conduit jusqu'à l'entrée de l'hôpital d'Aokas avant de s'écrouler, inconscient. Le capitaine Hamoum est chef de l'unité de la Protection civile d'Aokas, dont la caserne est située à quelques centaines de mètres du lieu du drame. Il est l'un des premiers à arriver sur les lieux. Averti par des automobilistes d'un «glissement de terrain» à la sortie du tunnel, il ordonne aussitôt un départ général. Les premiers pompiers, qui arrivent sur le site à bord d'un camion et de deux ambulances, se rendent compte que c'est une tragédie de grande ampleur. Le capitaine réclame aussitôt des secours auprès des unités de Tichy et Souk El Tenine. «Sur les lieux, raconte-il, je constate qu'un bus de marque Toyota est touché par un grand rocher. A son bord, deux incarcérés vivants et conscients. On les prend en charge. Une voiture légère de marque Peugeot 207 a également été touchée de plein fouet. Le conducteur est mort sur le coup. Des véhicules stationnés de l'autre côté sont également touchés. Il y a des morts et des blessés.» Pour les morts, il n'y a plus rien à faire, «priorité est donc donnée à l'évacuation des blessés». Tandis que les pompiers s'affairent à désincarcérer les blessés et à les évacuer vers les hôpitaux les plus proches, les pierres et les roches continuent de tomber. Les renforts arrivent de partout, y compris de l'unité principale de la Protection civile basée au chef-lieu de la wilaya. En une demi-heure, tous les blessés sont évacués. On dénombre six morts et 17 blessés. Arrivés sur les lieux en fin de soirée, nous constatons un immense bouchon qui s'est formé sur la RN9 en direction d'Aokas. Il nous a fallu près de 4 heures pour parcourir 4 petits kilomètres. Le lendemain matin (hier), des brise-roches s'affairent à réduire en morceaux les immenses blocs de pierre qui se sont détachés de la falaise afin de libérer la chaussée à la circulation. Il n'y a pas de périmètre de sécurité si bien qu'une foule de curieux occupe les lieux, au mépris de toutes les règles de bon sens et de sécurité. A tout moment, d'autres rochers peuvent se détacher et commettre un autre carnage. Le drame était pourtant prévisible. Un éboulement de même nature avait déjà eu lieu en 2005. Visiblement, les leçons n'ont pas été retenues.