Le quatrième mur est brisé dans Ibn Battûta, la nouvelle pièce de la Franco-Algérienne Elsa Hamnane, présentée mardi au Théâtre régional Azzedine Medjoubi de Annaba, à la faveur de la compétition du 4e Festival national du théâtre féminin. Adja (Sofiane Hadj Ali), Juzzay (Farid Cherchari), Mariamah (Aïcha Issad), Hed (Amine Bendadouche), Mister X (Sofiane Ayouz), Laboule (Mouloud Aoumer), Haïcha (Nassima Adnane) et Sheilek (Mounia Aït Meddour) sont des comédiens qui préparent un spectacle sur Ibn Battûta. Ils discutent entre eux, parlent avec le directeur du théâtre et avec l'auteur, font sortir les histoires du grand voyageur et essaient d'en tirer des leçons. «Toi tu es mort, tu as connu les miracles, les merveilles, les pays avant la guerre, tu as connu la paix entre les hommes, tu as connu le monde, l'absence des frontières qui se dressent comme des murs à chaque coin de pensée», s'adresse Juzzay à Ibn Battûta. Juzzay renvoie à Ibn Juzzay, celui qui avait eu la géniale idée de collecter les écrits de voyage de Ibn Battûta dans le célèbre dans Tuhfatou al noudhar fi ajaïb al amsar ou gharaïb al asfar. Abou Abdallah Mohammed Ibn Battûta, le grand explorateur maghrébin, né à Tanger, au Maroc, avait parcouru l'Afrique du Nord, l'Europe de l'Est et l'Asie pendant 25 ans à partir de 1325. Ibn Battûta est probablement le premier citoyen du monde, le plus illustre des géographes et le plus avancé des anthropologues. Dans le spectacle d'Elsa Hamnane, cette idée est mise en valeur : «Je ne viens d'aucun pays, d'aucune cité, d'aucune tribu. Je suis fils de la route, ma patrie est caravane, et ma vie la plus inattendue des traversées.» Comme le spectacle se déroule dans un théâtre, la metteur en scène a ouvert tous les espaces. Le plateau est nu. Les comédiens y accèdent à partir de la salle. Ils ont la liberté de se déplacer parmi le public présent, montent et remontent sur scène, s'échangent les répliques dans les allées, interpellent les présents, courent, crient, chantent... La scénographie est mobile. Tous les éléments du décor sont en déplacement par les comédiens pour appuyer le propos ou suggérer des idées. La chorégraphie et la musique sont convoquées pour évoquer les voyages d'Ibn Battûta, comme ce séjour en Inde. Une danse indienne inspirée d'un film de Bollywood est exécutée par les huit personnages. Les lumières appuient à chaque fois le jeu des comédiens et intensifient l'expression. Traduit en arabe par Najet Tabouri, le texte, surchargé parfois, est enrichi par des phrases reprises d'œuvres connues de Federico Fellini, Mahmoud Darwich, Amin Maâlouf, Anton Tchekhov, Albert Camus, George Orwell, Wajdi Mouawad... une liste où ne figure aucun auteur algérien. Ibn Battûta est sûrement un spectacle de théâtre gorgé de fraîcheur. Les rubans colorés, la musique, le mouvement des comédiens, les danses, les répliques vivaces, les masques ont donné à l'expression scénique une force certaine. Mais la forme semble avoir pris le dessus parfois sur le contenu. Et le texte se perd par moments dans la démarche visuelle intense voulue par la metteur en scène. Le voyage dans le voyage, qui est une forme de mise en abyme, a visiblement été choisie pour éviter de sombrer dans la réécriture historique de l'itinéraire fabuleux d'Ibn Battûta. Chose assez rare dans le théâtre algérien : les comédiens d'Ibn Battûta ont réussi à communiquer au public un certaine joie de jouer. Et la scène du roi-pantin (un souverain tyrannique en Inde rencontré par Ibn Battûta) est une totale réussite, autant pour la metteur en scène que pour les comédiens. Ibn Battûta est une production du théâtre régional Abdelmalek Bouguermouh de Béjaïa, avec le soutien de la compagnie française AthénAthéâtre.