Pour comprendre cette facilité à accuser les penseurs et autres philosophes d'apostasie, il est essentiel de remonter aux années suivant la mort du Prophète, estime Saïd Djabelkhir, chercheur en sciences islamiques. «Le prophète n'avait pas un projet d'Etat, affirme-t-il, sa fonction consistait à transmettre le message de Dieu. Il n'avait pas de territoire, car il a été envoyé au monde et non pas à un peuple en particulier. Le Prophète n'avait pas un Etat temporel, mais un Etat spirituel», a-t-il expliqué lors d'une conférence dédiée à l'excommunication. Les mécanismes de transmission du pouvoir étant inexistants, les conflits surgirent après sa mort. La «dawla» fondée par les premiers grands califes (dont les quatre premiers ont été assassinés) vivait une grande instabilité politique. «Apparaît alors un nouveau discours religieux fondé sur un texte parallèle. Beaucoup de hadiths ont été créés de toutes pièces pour asseoir l'autorité», fait savoir Saïd Djabelkhir. L'Etat étant lié à la religion, les sujets se doivent d'obéir à l'émir, même si celui-ci se montre injuste. «L'idéologie officielle monopolise la vérité absolue. Une idée nouvelle apparaît selon laquelle les musulmans sont en guerre contre le monde entier. Le mécréant doit être combattu. Tous ceux qui veulent réfléchir et réviser la doctrine officielle sont considérés comme des apostats. Cela est clairement utilisé à des fins politiques», précise Djabelkhir. Et d'ajouter : «Jusqu'à aujourd'hui, l'enseignement de la philosophie est interdit dans certains pays, dont l'Arabie Saoudite. Ils ont fermé la porte de l'ijtihad. On subit l'histoire et on n'a pas le droit de la critiquer». Avicenne, Averroès, El Farabi et Ibn Mokafaâa ont essuyé les foudres des gouvernants de l'époque. Tous ont été excommuniés et accusés d'apostasie. L'excommunication (El takfir) aurait ainsi été utilisée comme une arme politique contre tous ceux qui émettent un avis contraire. Il y a eu, selon Djabelkhir, au temps du Prophète, des cas d'apostasie avérés et même des personnes qui ont prétendu être des prophètes, mais il n'a jamais ordonné leur mort. «C'est, dit-il, au moment du califat que ces doctrines érigées en lois sont apparues pour servir l'idéologie officielle».