En dépit du creusement de tranchées par les autorités algériennes et l'érection d'un grillage par le gouvernement marocain, tout le long du tracé frontalier (70 km environ), les contrebandiers des deux côtés de la barrière continuent leur « import-export » d'une manière illégalement légale. Et pour y parvenir, tous les moyens sont bons. A commencer par mettre à contribution… les baudets. Cet animal docile dont les besaces sont remplies de jerricans de carburant et… aussi de drogue, a appris à emprunter des itinéraires précis pour livrer à destination la marchandise. Une mission où il se fait rarement «arrêter» tant ses maîtres, loin d'être idiots, le télécommandent quasiment à distance. Ce n'est point de la science-fiction, mais l'âne est dirigé par des écouteurs collés à ses oreilles. Des écouteurs reliés à un walkman attaché quelque part sur son corps. Pour beaucoup, pour ne pas incommoder ou «surcharger» son «moyen de locomotion» lui a fait subir tout un test pavlovien avant de lui confier la mission. L'âne devient ainsi un automate qui exécute les ordres sans faille. Fidèle à sa programmation, il fonce cahin caha vers sa destination prédestinée. «Il n'y a plus d'ânes dans la région, et pour en trouver un il faut débourser jusqu'à 50 000 DA. Oui, oui, ne vous étonnez pas, un baudet est plus rentable chez un trafiquant que chez un agriculteur», explique sérieusement un éleveur de la commune frontalière de Bab El Assa. «Et même quand le pauvre baudet est intercepté, le contrebandier n'est jamais démasqué ou identifié, puisque l'animal ne porte pas d'immatriculation», renchérit notre interlocuteur avec sarcasme. Le travail de ces mammifères quadrupèdes commence au crépuscule. A partir des bourgades frontalières, les «processions» (entre dix et quinze baudets) acheminent des jerricans de gasoil ou d'essence vers le sol chérifien. Au retour, ils sont chargés de produits illicites (alcool, drogue…). Le jour, il n'y a pas l'ombre d'un équidé. Parce que, aussi paradoxal que cela puisse paraître, aux yeux des autorités algériennes, là où il y a un âne, se cache forcément un trafiquant. C'est d'autant vrai que, pour réduire les échanges commerciaux illicites entre les trafiquants des deux côtés, des militaires ont cru intelligent, il y a quelques mois, d'abattre ce type d'animaux interceptés sur la bande frontalière ouest. Un crime qu'aucun n'a pu dénoncer par crainte d'être accusé d'être un trafiquant ou de complicité. «J'aime l'âne si doux/ marchant le long des houx…»