La mission des services de sécurité aux frontières est ardue en raison de l'ampleur du phénomène de la contrebande. Une virée à la frontière algéro-marocaine, allant de Maghnia à Marsa Ben M'hidi en passant par Sidi Boudjenane, Bab El Assa, renseigne sur l'ampleur de ce fléau. A peine la route de wilaya franchie, la signalisation routière prend de la couleur. Oujda, deux kilomètres. Les douaniers sont sur le qui-vive aux côtés des escadrons de la Gendarmerie nationale. Ils dressent des postes de contrôle et des barrages mixtes appuyant les groupements des gardes frontières (GGF).Maghnia est située à 25 km de Tlemcen. La ville frontalière semble sombrer dans un décor morose. Et si les « Maghnaouis » gardent cette chaleur hospitalière, les contrebandiers et autres trafiquants, eux, scrutent chaque « étranger » qui met les pieds sur leurs plates-bandes. D'un côté les « hallaba », les trafiquants de carburant, de l'autre les narcotrafiquants qui ont reçu des coups durs ces derniers mois. A la limite de cette agglomération surplombée par les monts de Nedroma, des jerricans sont proposés à la vente à même le trottoir. Selon des estimations des services de sécurité, plus de 40% de la population est directement impliquée dans la contrebande. A voir les villas construites dans l'ensemble des hameaux proches de la frontière algéro-marocaine et les véhicules de luxe on finit par croire que le trafic du carburant n'est pas une source de survie pour les habitants. Il s'agirait plutôt d'un commerce juteux d'autant qu'il n'existe aucune usine ou entreprise dans cette ville. Le taux de chômage est élevé aussi. La RN 91 reliant la ville de Maghnia à Beni Boussaïd (Zouïa). Quelques véhicules des GGF patrouillent dans la région. Des voitures de marque R21, R25 et Mercedes sont stationnées devant les habitations. Ces véhicules sont très convoités par les contrebandiers vu les grandes capacités de leurs réservoirs en carburant. Il y a lieu de noter qu'un jerrican de 30 litres de carburant, acheté dans les stations-service, dont pullulent Maghnia, est vendu sur la bande frontalière le double de son prix, c'est-à-dire à 850 DA. Le carburant est convoyé dans ces voitures dont les réservoirs sont modifiés pour contenir le plus de carburant possible. « Une Renault 21 peut ainsi contenir jusqu'à 100 litres, et une Mercedes, 150 litres. Ce qui permet à un contrebandier de gagner jusqu'à 40.000DA en un seul voyage », confie un gendarme. DES TUYAUX D'IRRIGATION REMPLIS DE CARBURANT C'est pour cette raison que des habitants des hameaux et villages frontaliers ont construit des bâches à eau qui servent de dépôt de carburant. Celui-ci sera acheminé, la nuit tombée, vers le Maroc à travers des tuyaux en destinés à l'irrigation des champs. « Ce trafic connaît une hausse pendant la saison estivale et le mois de ramadan d'autant que les prix ont augmenté au Maroc », explique le lieutenant-colonel Boukhebiza. A partir de ces réservoirs, les « hallaba » usent d'un autre moyen de transport : les ânes. Des dizaines de baudets sont « parqués » des deux côtés de la frontière. La plupart des localités sillonnées avec les GGF comme les villages Mohamed Salah et Sbaâ, dans la région de Béni Boussaïd (Zouia), regorgent de ces bêtes de somme. En 2011, plus de 350 ânes « chargés » de kif et carburant ont été interceptés par les éléments des GGF. Ce qui est étonnant, c'est cette « intelligence » des ânes qui connaissent le chemin et ne « dérivent » jamais. « Les narcotrafiquants et les hallaba conditionnent les bêtes en les gavant de nourriture au point de départ tout en leur réservant de l'eau à l'arrivée. Une fois l'animal repu, il se dirige instinctivement vers le point d'eau où les contrebandiers l'attendent. D'autres contrebandiers « équipent » la bête d'un kit-man qui lui souffle continuellement à l'oreille le fameux « Err ». « EL HADAYA », LES YEUX DES CONTREBANDIERS ET NARCOTRAFIQUANTS Le trafic et la contrebande sont les principales ressources des habitants de Maghnia, ce qui explique que les contrebandiers recrutent des jeunes qui leur servent d'éclaireurs. Ils guettent le moindre mouvement des services de sécurité. Une technique traditionnelle mais toujours utilisée et qui rapporte beaucoup. Les éclaireurs sont « équipés » de téléphones cellulaires et une puce avec une carte de recharge de 500 DA la journée. Leur mission : informer les contrebandiers sur le dispositif sécuritaire en contrepartie de 500 DA la journée, voire 2 000 DA dans les grandes opérations à l'instar du trafic du cuivre. Le filon est porteur : depuis le début de l'année, les gendarmeries ont saisi une quantité de 100 tonnes. Selon les enquêtes de la gendarmerie, le cuivre volé est utilisé par les Marocains dans l'artisanat et la fabrication des boutons de fermeture des pantalons jeans « Les contrebandiers volent les câbles de haute tension pour les revendre au Maroc », explique le lieutenant-colonel Boukhebiza. En outre, les batteries usagées sont recyclées au Maroc pour en extraire le cuivre. Cette saisie record reflète l'efficacité du dispositif mis en place : patrouilles, postes d'observation (PO), postes avancés (PA) et GGF. En sus, le dispositif de contrôle a été renforcé à Bab El Assa, Khendak, Maghnia, Sidi M'barek, des lieux qu'utilisent les trafiquants pour faire passer des tonnes de drogue. Les GGF ont installé des tentes entre les postes avancés afin de parer à d'éventuelles infiltrations de trafiquants marocains. Le but étant de faire barrière aux véhicules « bourrés » de drogue qui tentent de franchir la frontière algérienne. DOUANIERS ET POLICIERS DETERMINES La sécurisation des frontières est une priorité aussi pour les services des douanes. Le dispositif mis sur place a été renforcé et les résultats sont probants. Selon les informations recueillies auprès de cette institution, les hommes en « gris » de Maghnia ont saisi 86 moyens de transport dont 14 véhicules avec des réservoirs aménagés, deux bus, 4,3 tonnes de kif traité et près de 13 tonnes de cuivre. Idem pour les services de police qui ont intercepté 6,2 tonnes de kif traité en 5 mois. Malgré une chaleur de plomb dans cette région semi-aride, les hommes en vert, gris ou bleu veillent jour et nuit à la sécurité du territoire algérien. Face à eux, des hommes prêts à tout pour gagner de l'argent.