Quelles sont les conséquences économiques et sociales de la croissance démographique en Algérie ? Qu'en est-il de l'équilibre entre le développement et l'évolution de la population ? Des questions qui reviennent régulièrement dans les débats et s'invitent de nouveau après le dernier bilan de l'Office national des statistiques (ONS). Un bilan qui fait ressortir une forte hausse des naissances. Et ce, avec un seuil d'un million pour la première fois. Avec 39, 5 millions d'habitants au 1er janvier 2015 et une prévision d'une population de plus de 40 millions d'habitants dans moins d'une année, l'évolution de la démographie est loin d'être en homogénéité avec l'économie nationale avec le déséquilibre constaté entre population et développement. De même qu'elle dépasse les prévisions déjà annoncées. Il y a quelques années, les spécialistes parlaient de 40 millions d'habitants en 2040 se basant sur croisssance démographique de 1,4% contre 4% au lendemain de l'indépendance. Et voilà que ce pic est attendu pour 2016, avec une modification de la structure par âge de la population. Cette modification sera sans nul doute accompagnée, comme ce fut le cas par le passé, par l'augmentation des besoins par catégorie de la population. Entre la prise en charge sanitaire, l'épineux problème du logement, l'éducation, l'emploi et les besoins alimentaires, les attentes sont importantes. Au final, l'Algérie n'a profité ni de la ressource humaine, ni de la rente des hydrocarbures pour asseoir les bases d'une économie solide et performante. Les politiques n'ont pourtant pas cessé à chaque fois que l'occasion leur était donnée (notamment lors des campagnes électorales) d'évoquer l'atout jeunesse, sans pour autant utiliser efficacement cette richesse. Idem pour les hydrocarbures dont les recettes ont majoritairement servi à financier les importations et à arracher la paix sociale via les subventions. En effet, parallèlement à la croissance démographique, peu d'avancées ont été enregistrés sur les plans social et économique en dépit de l'importance des dépenses engagées tout au long de ces plus de cinquante ans d'indépendance. Et dire que le recensement de la population effectué tous les dix ans vise essentiellement à adapter les politiques sociales et économiques avec les taux de croissance démographique, selon les explications de l'ONS. Il y a certes eu des tentatives de maîtrise de la croissance démographique (au début des années 80') de manière à assurer un meilleur équilibre entre la population et le développement. Cependant, l'objectif n'a pas été atteint faute de planification. Si la population a évolué de 10 millions en 1962 à près de 40 millions actuellement, au niveau économique la croissance n'a pas suivi. Ni le dirigisme tous azimuts et le système de centralisation, ni la libéralisation et ni les tentatives de redressement n'ont réussi à assurer l'équilibre tant attendu. Dans ce cadre, l'agriculture censée garantir la sécurité alimentaire du pays en est un exemple édifiant. Les différentes études menées à ce sujet ont montré que dès la fin des années 70', l'agriculture n'a pas atteint les objectifs fixés. Et pour cause, la production agricole a faiblement augmenté au cours de cette période, alors que les besoins sous l'effet de la croissance démographique ont suivi la tendance inverse. Aujourd'hui encore, même si cette production s'est améliorée dans certaines filières, elle reste faible dans les filières stratégiques. Ce qui fait que l'Algérie importe une bonne partie des besoins de la population en lait et en céréales. Mais, globalement, c'est toute l'économie productive qui a subi une régression parallèlement à la croissance démographique. L'industrie a vu au fil des ans sa production fortement chuter. Idem pour le pouvoir d'achat des algériens qui s'est dégradé en dépit des augmentations de salaires opérées dans la fonction publique et le secteur économique. Cela pour dire que l'économie est loin d'évoluer au même rythme que la population, mais surtout que cette population n'a pas bénéficié de la rente du pétrole faute de planification. Chômage, le problème majeur Cette tendance risque justement d'avoir de lourdes conséquences, notamment sur l'emploi. Déjà en hausse en septembre dernier par rapport à avril 2014, selon l'ONS, ce problème pourrait s'accentuer de l'avis des experts avec l'arrivée de nouvelles générations sur le marché du travail. Cette année, les moins de 29 ans représentent 55,2% des demandeurs d'emploi, et les 30/49 ans près de 30%, selon l'ONS. Si les nouveaux demandeurs d'emploi en 2015 sont nés antérieurement à l'année 2000, la hausse de la natalité aujourd'hui aura beaucoup plus un impact sur le taux de dépendance «mais son impact sur le marché du travail ne se fera ressentir qu'à partir des années 2030», estime à ce sujet Nacerredine Hammouda, chercheur au Centre de recherches en économie appliquée au développement (CREAD). Autrement dit, autant se préparer pour faire face à une demande croissante en emplois. Or, l'économie nationale n'est pas encore en mesure de relever ce défi en l'absence d'une économie productive. Relevant que la nouvelle dynamique démographique que connaît l'Algérie depuis le début des années deux milles remet à l'ordre du jour toute la problématique population-développement,M.Benhamouda plaide pour des stratégies tenant compte de cette nouvelle donne. «Les stratégies à mettre en œuvre pour la création d'emplois qui seraient générés par la croissance économique doivent tenir compte de cette nouvelle donne», dira-t-il à ce sujet. D'autres experts évoquent la problématique du financement de la caisse des retraites en raison du vieillissement de la population. «Des changements fondamentaux s'imposent dans ces domaines et un taux de croissance économique fort élevé (8 à 10%) est nécessaire pour remédier à l'évolution de cette situation», écrivait en 2004 le professeur Haffad Tahar, de l'université de Sétif dans une étude sur les conséquences économiques de la croissance démographique en Algérie. A rappeler que les projections faites dans ce cadre montrent que la proportion des vieux pourrait passer à 9,2% en 2020, pour atteindre 22% en 2050. Avec tout ce que cela nécessite comme moyens de prise en charge en dehors des pensions de retraite. Les experts n'ont cessé de le rappeler et de tirer la sonnette d'alarme : «Avec le rythme de croissance démographique que connaît la population, les besoins alimentaires sont de plus en plus importants. Ils le seront davantage». D'où la nécessité d'agir sur les rendements de la production agricole en ciblant les produits stratégiques : blé tendre, pomme de terre, produits maraîchers, lait, fruits, viandes rouges et viandes blanches. Or, toutes ces filières dépendent essentiellement de l'importation et subissent régulièrement des crises. Il y a eu des progrès ces dernières années, mais les rendements restent aléatoires. D'où le recours aux importations massives. «En moyenne annuelle, sur la période quinquennale 2007-2011 l'Algérie importait 82% des calories consommées par sa population. Sur la période 1963-1967, la moyenne annuelle était de 32%», nous rappellera dans ce sillage Slimane Bédrani, expert agricole et chercheur au Cread, avant de poursuivre : «Ces chiffres calculés sur les données de l'Organisation mondiale de l'agriculture (FAO) montrent à quel point la dépendance alimentaire du pays s'est aggravée depuis le début de l'indépendance, obérant ainsi notre sécurité alimentaire.» Pour M. Bédrani, cette situation s'explique par le fait que la population a plus que triplé entre les deux dates et par le fait que la consommation moyenne par tête s'est très nettement améliorée à la fois quantitativement et qualitativement. «Tout cela permis par la rente pétrolière et gazière. Mais qu'en sera-t-il quand ces deux sources tariront ?» s'interrogera-t-il en conclusion. Avenir énergétique incertain Une étude de la Commission de régulation de l'électricité et du gaz (Creg) sur la planification énergétique en Algérie à l'horizon 2030 prévoit une augmentation à 30 millions de tonnes pour les carburants (contre 16 millions en 2013) et de 60 milliards de m3 pour le gaz naturel (contre 32 millions en 2013). Pour l'électricité, les prévisions tablent entre 2020-2030 sur un niveau de consommation de consommation de 80 TWH (térawatt/ heure) en 2020 et 150 TWH en 2030. Face à cette demande croissante, le déclin inexorable des ressources fossiles, le débat houleux sur le gaz de schiste, les prix internationaux en baisse et l'absence d'efficacité et de l'économie d'énergie viennent accentuer cette incertitude. «Il est incontestable que les premiers défis auxquels devra faire face l'Algérie sont la satisfaction des besoins alimentaires — et par conséquent le développement hydraulique — et la sortie de la dépendance pétrolière de notre économie pour passer de la distribution de la rente pétrolière à sa transformation en véritable économie diversifiée, créatrice de nouvelles richesses et surtout d'emplois durables. Mais sans ressources énergétiques, et par conséquent sans indépendance énergétique à garantir pour le long terme, rien de tout cela ne sera possible», a estimé à ce sujet dans l'une de ses récentes sorties médiatiques Abdelmadjid Attar, expert en énergie et ancien PDG de Sonatrach.