Une rencontre-débat avec l'écrivain Djoudi Attoumi et Si Ouali Aït Ahmed, deux compagnons d'armes et anciens officiers de l'ALN dans l'ex-wilaya III historique, a été organisée récemment par un collectif de militants du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) à la salle des fêtes «Aït Aïder» du vieux-Aghribs à l'occasion de la commémoration du 56e anniversaire de la mort, le 29 mars 1959, des deux colonels, Si Amirouche et Si L'Houes, au djebel Thameur, en présence d'éminentes personnalités comme l'ancien responsable du RCD, Saïd Sadi. Les témoignages se sont focalisés sur les circonstances de la mort des deux colonels respectifs des Wilayas III et VI, sur les péripéties des négociations pour l'indépendance du pays, depuis l'esquisse de pourparlers du commandant martyr Si Salah Zamoum, du début 1960 jusqu'au paraphe final de Krim Belkacem, le 19 mars 1962, au bas des documents des Accords d'Evian. Djoudi Attoumi a aussi évoqué «l'affaire Si Salah Zamoum», en indiquant : «Aujourd'hui, j'approuve vraiment le geste de Si Salah d'avoir tenté une discussion avec de Gaulle lors de sa fameuse "paix des braves''». «A son retour, avec l'hostilité de l'époque du GPRA, malgré la confiance que lui accordait toujours Mohand Oulhadj, Salah Zamoum, avec toute la bravoure qu'il avait, était devenu quasiment errant…». L'orateur narre ensuite longuement les circonstances de la mort, «les armes à la main, de Salah Zamoum, dans la région de Bouira. J'étais alors à Iwaqoren (Mechdala)», précise M. Attoumi. Concernant la mort du colonel Amirouche Aït Hamouda et Si El Haouès, de son vrai nom Ahmed Benabderrazak, M. Attoumi a annoncé d'emblée que son prochain et dernier tome sur le chef emblématique de la Wilaya III sera bientôt publié. «On y trouvera une décantation et des révélations qui permettent de voir plus clair sur le mystère de la mort du légendaire colonel». Les deux conférenciers ont parlé aussi du parcours du colonel Mohand Ameziane Yazourene dit Vrirouche, de ses deux neveux Hidouche et Rabah, de l'opération «Oiseau bleu» ou «Force K», dont les principaux exécutants étaient Hand Ouzaïd, Saïd Mahlal (Azazga), Omar Toumi (Makouda-Iflissen), ainsi que d'autres compagnons, et pensée par les chefs de guerre Krim, Yazouren, Mohammedi Saïd. L'opération, une véritable gifle pour la France, qui voulait en faire un contre-maquis face au FLN-ALN, avait procuré, en moins d'un an, plus de 1200 armes et d'énormes quantités d'argent au profit des moudjahidine de la Wilaya III qui en fera bénéficier toutes les autres wilayas. Dans le même ordre d'idées, M. Attoumi évoquera une célèbre bataille livrée en 1956 à Annaba par le neveu de Yazourene, Hidouche, avec ses 55 hommes. Cette bataille, on l'appelait dans la région «Maâraket Leqbayel», apprendra-t-il à l'assistance, suivant des témoignages qu'il détient de ses amis encore en vie dans cette région du pays. Ces derniers, ajoute M. Attoumi, se préparent actuellement à réaliser une stèle à la mémoire de Hidouche et ses hommes, et ils nous ont invités d'ores et déjà à prendre part, prochainement, à son inauguration. La bataille, rappelle-t-il, a eu lieu au moment où ce groupe a été quitté par l'agent de liaison dans les plaines de Annaba, aux portes de l'aéroport, où il y avait un avion dans lequel se trouvaient 35 diplomates étrangers venus «voir en direct l'extermination de la rébellion algérienne». Aux termes du combat engagé par des bataillons de soldats d'infanterie, soutenus par l'artillerie et l'aviation contre les 55 vaillants hommes commandés par Hidouche, il ne restera de ces derniers que six djounoud, gravement blessés et qui seront faits prisonniers. Les conférenciers ont abordé ensuite les conditions qui ont conduit à la préparation du Congrès de la Soummam, alors qu'ils étaient, avec d'autres compagnons, en plusieurs endroits des maquis de la Kabylie maritime, entre Aberane (Mizrana), Azrou, Mira…, des zones englobant les Aït Jennad, Iflissene et Ibehriene. Si Ouali Aït Ahmed indiquera que ceux qui qualifiaient la rencontre d'Ifri Ouzellaguene – à l'époque et plus tard – de «petite réunion» de chefs de maquis, pour diminuer de son importance et justifier ainsi leur absence, avaient en réalité peur pour leur propre personne. Il n'y avait que trois responsables (Ben Bella, Mahsas et Kafi) qui étaient contre le Congrès. Or, réussir un tel événement sans que les services de renseignement français n'en eussent eu vent, il faut être un génie dans la préparation, l'organisation et la discipline, qualités rares, mais que détenaient bien Amirouche et Krim, particulièrement. Le lieu de la rencontre était distant d'à peine 10 km du casernement français d'Ighzer Amokrane. D'ailleurs, Abane, le stratège, avec Krim et Ben M'hidi, de l'événement, avaient dit qu'«il faut être fou pour organiser un congrès dans cet endroit», rappelle Si Ouali. Les conférenciers ont évoqué le mérite de la population locale et surtout des femmes de la dizaine de villages environnants pour leur discipline, confinées dans les maisons, sans souffler mot, pendant toute la période de la rencontre, en s'occupant admirablement de la préparation de la nourriture, de la logistique, du ravitaillement et de liaison pour les congressistes. Amirouche et Krim étaient les deux chefs qui ont planifié la rencontre, après avoir été convaincus et assurés quant à la confiance acquise en la population. Le problème de sécurisation des lieux a été une grande tâche pour Amirouche, alors commandant, qui avait eu à diriger 3000 hommes chargés de la sécurité du Congrès à travers tous les villages. Amirouche chargeait ses unités d'organiser des actions de harcèlement des camps militaires français dans des zones éloignées, côté Bouira et Adekar notamment, et sur d'autres versants hors d'Ifri Ouzelaguene, afin de provoquer la diversion. Les orateurs ont rappelé le mérite de la Wilaya III qui eut, quasiment seule, à combattre les imposteurs, les traîtres, les groupes messalistes qui l'avaient envahie depuis le début 1955, notamment Guenzet, à Aït Yala, avant d'y être pourchassés. Toujours à propos du Congrès, Saïd Sadi a été prié par des présents à intervenir sans le vouloir. Il qualifiera la rencontre de la Soummam «d'événement majeur pour l'Algérie, avec tout ce qu'elle a apporté comme organisation, orientation idéologique, statuts, découpage territorial en Wilayas, humanisation des maquis, etc.». Le Dr Sadi invitera les moudjahidine, en s'adressant notamment Dda Mohand-Saïd Boudoukhane, un vieux maquisard de la première heure, rescapé de la bataille de Tachivount, à écrire ce qu'ils ont vécu durant la guerre d'indépendance. «Jusqu'à quand laissera-t-on le vide dans l'histoire, sachant qu'il y a risque qu'un jour d'autres viennent le combler de mensonges, mensonges qui pourraient ensuite bourgeonner et être amplifiés et crus ? Vous le voyez bien, nous avons osé apporter un peu de vérité, soudain des nuages tentent de nous tomber dessus, de nous envahir afin de tout voiler.» Il exhortera les innombrables jeunes, venus en masse à la rencontre, à ne pas oublier le travail qu'a réalisé Djoudi Attoumi avec ses témoignages et ses livres. «Si l'histoire de la Wilaya III se regreffe et bourgeonne, c'est grâce à ces acteurs comme Djoudi Attoumi et Si Ouali Aït Ahmed. Personnellement, c'est avec le travail de M. Attoumi que, moi, j'ai commencé à m'intéresser à l'histoire, à écrire et à collecter des témoignages sur la Wilaya III et d'autres régions.» A propos de la polémique lancée par Ali C. Deroua du Malg (Ministère de l'armement et des liaisons générales), au lendemain de la parution du livre de Saïd Sadi Amirouche, une vie, deux morts, un testament, l'auteur de Le colonel Amirouche : Entre légende et histoire : la longue marche du lion de la Soummam, dira que «le monsieur est mal placé pour nous parler de la Wilaya III. Parce que tout simplement il était en dehors du territoire national pendant la guerre de Libération», clame M. Attoumi. A l'ouverture de la rencontre, le maire d'Aghribs, Rabah Irmèche, dira : «Il est impératif pour nous tous de faire des recherches sur l'histoire de cette légendaire wilaya, comme, naturellement, c'est toujours celui qui a soif qui cherche à trouver l'eau. Notre initiative d'organiser cette rencontre en ce mois de mars est dans ce sens. Elle vise un double objectif : permettre à nos concitoyens de s'imprégner des péripéties ayant abouti à la signature des Accords d'Evian en mars 1962 et des circonstances de la mort de nos héros, notamment les colonels Si Amirouche et Si El Haouès, le même mois en 1959 à Bou Saâda, sachant qu'à ce jour tout le monde cherche à en connaître la vérité». Aux termes des débats, Meziane Djouzi, le président de l'Association de wilaya des Pupilles de la nation, originaire de Yakouren, a fortement ému l'assistance dans une salle pleine à craquer lorsqu'il dit : «Vous savez, je suis venu ici spécialement pour m'incliner devant vous tous, surtout devant les femmes et les hommes d'Aghribs, car à l'indépendance, c'est ici que j'ai reçu, tout enfant de 5-6 ans, vivant avec mes camarades au Centre des enfants de chouhada du village, toute l'affection parentale qui me manquait, avec les caresses et gestes de protection me venant de la part de chaque femme, de chaque homme… Inoubliables moments !» A rappeler qu'une vente-dédicace de trois ouvrages de M. Attoumi, Amirouche : entre légende et histoire, et les deux tomes Chroniques des années de guerre en Wilaya III (1956-1952), a eu lieu à la fin de la conférence, et a duré jusqu'à la tombée de la nuit.