Saïd Babouche est l'un des premiers martyrs de la guillotine pendant la guerre de Libération nationale, exécuté le 8 avril 1957, à l'âge de 37 ans, après avoir accompli d'irréprochables exploits pour son pays. Retour sur les origines de ce révolutionnaire oublié par l'Histoire officielle. Saïd, c'est l'histoire d'un révolutionnaire de la première heure, le belliqueux Si Tahar qui fait partie du club très restreint d'une cinquantaine de responsables PPA-MTLD. Le vaillant gamin, issu d'une famille très pauvre, s'intéressa à la vie politique dès l'âge de 14 ans, au point de s'attirer les foudres du bachagha Aït Ali, un caïd qualifié de «tyran» de la Kabylie maritime. Lorsqu'un jour il gifla le jeune Saïd, celui-ci répliqua, selon Ahmed Boukherroub, ancien combattant de l'ALN et du FFS-1963 : «Tu m'as giflé, certes. Mais souviens-toi, moi, un jour, je vais t'arracher de tes racines.» Ayant rejoint Alger à la fin des années trente, il adhère au PPA puis au Manifeste pour la liberté et au Manifeste pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) en plus de son travail au supermarché Monoprix, ex-rue d'Isly (Larbi Ben M'hidi). «En 1946, un jour d'été, alors qu'il était en train de faire la mise en rayons, il tombe nez-à-nez avec Aït Ali qui l'interpelle : ‘‘ayouday'' (truand ndlr) ! C'est ici que tu te caches ?», raconte le moudjahid Salem Ramdane. Il rentre alors dans la clandestinité dans la très secrète Organisation spéciale. La crise dite berbériste En 1949, en pleine crise dite berbériste, le natif des Ath Ouaguenoun réapparaît aux réunions publiques. Le moudjahid Dris Ammar Akli évoque : «On se réunissait chaque samedi dans le café d'un certain Rabah Ougana, rue Randon.» Il s'agit du café Mondial, qui abritait tous les hommes adonnés au combat politique nationaliste. Au paroxysme de la crise, une AG est convoquée par les responsables de la section MTLD d'Alger-Centre à laquelle participe Saïd Babouche. La direction du parti lui a fourni, comme à tous les chefs de groupe, les photos des personnes «à punir» pour «trahison et complot» contre le parti. C'est grâce à Sid Ali Halit, ancien chef du district PPA de la Grande Kabylie, que Saïd Babouche et ses subordonnés connaîtront la vérité. «Il n'y a pas de complot berbériste, mais un complot organisé par Messali et le Comité central contre les responsables du parti en Kabylie et contre l'OS», leur aurait assuré Halit. En effet, une purge a eu lieu. Hocine Aït Ahmed est écarté de la direction de l'OS et implicitement exclu du Bureau politique et du Comité central du MTLD. La plupart des dirigeants de la Kabylie, comme Ouali Bennaï, ont été arrêtés par la police coloniale. Les autres ont été remplacés. Dans ce contexte, Saïd Babouche rentre à Tizi Ouzou et s'installe dans la Haute ville. Suite à la crise de 1949, Krim Belkacem est désigné par la direction du MTLD comme nouveau patron de la Kabylie. Il prend contact de nouveau avec Saïd Babouche. Ce dernier est nommé chef de zone, fin 1949 début 1950. Il assuma la responsabilité sur un large territoire qui englobe Sidi Naâmane, Redjouna, Tizi Ouzou, Naciria et les Issers. Quelques mois plus tard, il sera envoyé en Belgique, passant par la France, où il a organisé l'acquisition et l'acheminement d'une cargaison d'armes vers le pays. Sa mission s'est achevée avec succès en 15 mois. Aussitôt rentré, il a entamé la préparation de la lutte armée dans sa zone, en tissant un réseau d'acheminement et de stockage des armes. Sa propre maison est devenue une illustre cache d'armes et de produits chimiques qui servent à la fabrication de bombes artisanales. Son domicile a été aussi la cachette préférée de Krim Belkacem qui y tenait toutes les réunions importantes avec les cadres de la Kabylie. Saïd Babouche était très discret et faisait profil bas. Ses voisins le connaissaient comme simple commerçant, un journalier qui se débrouille pour assurer son gagne-pain. Il lui est arrivé même de travailler comme balayeur à la mairie de Tizi Ouzou et ouvrier à Oued Aïssi. Le chef du Colonel Amirouche En 1953, suite au congrès d'avril, le MTLD renoue avec la crise interne. Cette fois-ci la lutte intestine est déclenchée entre Messalistes et Centralistes. En Kabylie, c'était plutôt entre Messalistes et Krimistes (les pro-Krim Belkacem). Le chef kabyle s'est montré déterminé à déclencher la lutte armée et convoqua une AG, tenue à Azghar près des Ouadhias, avec l'accord de Saïd Babouche et de tous les chefs régionaux. «Krim nous a alors informés officiellement de l'existence de cette crise et que nous sommes prêts pour le déclenchement de la lutte armée», écrit Ali Zamoum dans ses mémoires (Tamurt Imazighen : mémoires d'un survivant 1940-1962). Cette option a été retenue au niveau national à partir d'août 1954 par le Groupe des six. Le pays est partagé en cinq zones, dotées chacune d'un état-major. La zone III (Kabylie) possédait le plus grand nombre de combattants, 450 en tout, il y avait 350 dans les Aurès, 50 dans le Nord-Constantinois, 50 dans l'Algérois et 60 en Oranie (in Mémoria, supplément n° 07, novembre 2012). L'état-major de la Zone III était constitué de Krim, Amar Ouamrane, Saïd Babouche, Ali Mellah, les frères Zamoum (Ali et Mohamed), Moh Touil, Mohamed Yazourène et Ahmad Ghemraoui. Krim et Ouamrane se sont partagé les responsabilités dans la future Wilaya III historique. Quant à Saïd Babouche, il est désigné comme chef de la région, qui s'étendait d'Aïn El Hammam et Larbaâ Nath Irathen jusqu'à la Soummam. Il choisit le nom de guerre Si Tahar. En plein maquis, il fera connaissance avec le futur colonel Amirouche. «Au commencement de la guerre, Amirouche dépendait formellement de Saïd Babouche, un responsable aguerri et déterminé», selon Saïd Sadi (Amirouche, une vie deux morts, un testament). A quelques jours avant le jour J, Si Tahar prend part à la dernière réunion préparatoire du déclenchement de la Révolution, tenue à Bétrouna. Il a, par ailleurs, pris le risque de participer lui-même à la distribution des armes aux moudjahidine. C'était le cas notamment pendant la soirée du 29 octobre 1954. La même nuit, à Ouaguenoun, recevant les armes nécessaires, Ali Mellah tient une réunion préparatoire des attentats prévus contre le commissariat de police, la brigade de gendarmerie et la mairie de Tigzirt. Le 3 novembre 1954, la police coloniale procède, en vain, à la perquisition de la maison de Babouche. L'ultime bataille Le 9 janvier 1955, Si Tahar participe à la célèbre bataille de Tizi El Djamaâ. Les combattants de l'ALN ont ciblé pour la première fois une caserne de l'armée française. Selon le témoignage du moudjahid Mohand Ouidir Aït Si Ahmed, conservé au Musée régional de Tizi Ouzou, «nous nous sommes répartis en trois groupes. Le premier, sous la direction d'Amirouche, encercle les baraques situées à proximité du campement militaire. Nous autres, les natifs de la région, nous avons coupé la route Tizi El Djamaâ - Aïn El Hammam. Babouche, Ali Mellah et Amar Ath Chikh, formant le troisième groupe, se sont dirigés vers la caserne en rasant le mur d'enceinte. Arrivé à proximité du portail, Babouche abat de deux coups de feu la sentinelle qui venait de le remarquer et récupère son mousqueton. Une autre sentinelle tente de réagir, elle est abattue par Amar Ath Chikh». C'est le début d'un accrochage musclé de plusieurs minutes, où l'ennemi a subi des pertes sérieuses : 7 morts et 14 blessés et deux armes récupérées. Au mois de février 1955, Saïd Babouche est encerclé et blessé à Aïn El Hammam. Il a réussi néanmoins à s'échapper et à rejoindre la ville de Tizi Ouzou. Dénoncé par des indicateurs, il pansait ses plaies quand la police vient le chercher dans sa cachette. Pendant près de vingt jours, il subira toutes sortes de tortures au campement militaire de Tigzirt. Sans résultat. Si Tahar n'a pas fléchi. Ses tortionnaires le placent à la prison de Tizi Ouzou. Malgré les efforts de ses avocats, il sera condamné à mort et transféré vers la prison de Barberousse. Lors du dernier procès, il a su rester digne, courageux et lucide. «Si le parti ne t'a pas payé tes honoraires, dis le moi. Mon beau-frère le fera», dit-il à Me Amar Bentoumi, l'avocat du FLN. Au quartier des CAM, chez Zabana ! Enfermé au quartier des CAM, il est, chronologiquement parlant, le deuxième responsable novembriste, condamné à mort après Ahmed Zabana. Toujours déterminé, le désespoir n'atteindra jamais le cœur de Si Tahar. Avec ses codétenus lettrés, il a mis en place une petite classe d'alphabétisation, en faveur de ses camarades illettrés. En plus, il écrivait des lettres à l'administration pénitentiaire et à son avocat pour réclamer l'amélioration des conditions de détention des prisonniers politiques, notamment des CAM. Cette persévérance ne fera qu'accélérer sa mise à mort. Aomar El Djouzy, un de ses deux compagnons de cellule, a rédigé un long témoignage (in El Watan, du 23 juin 2012) où il nous décrit les derniers moments de notre martyr. Le 8 avril 1957, vers 2h du matin, Si Tahar but un café. Peu de temps avant l'aube, il fit une prière. Vers 4h30 du matin, les bourreaux viennent le chercher. «Ne me touchez pas, je sais marcher tout seul», leur dira Si Tahar, conduit à l'échafaud. La tête de Saïd Babouche, qui a refusé de bander ses yeux, tomba à 4h45, sous une hardiesse clameur de ses camarades. Depuis le 5 juillet 2011, sa mémoire est réhabilitée parmi la mémoire collective de sa région. L'APC de Boudjima, à sa tête Smaïl Boukherroub, lui a érigé une majestueuse stèle. En attendant une démarche plus symbolique des autorités locales de la wilaya de Tizi Ouzou et du ministère des Moudjahidine, la prochaine étape, selon la volonté de beaucoup de jeunes de cette commune, serait de rebaptiser le lycée de Boudjima au nom de leur héros.