« Si vous ne mettez pas les pieds à Boujelloud, vous aurez la baraka tout le long de votre séjour à Fès ». Que Dieu pardonne à Mouffok, le vendeur des plantes aromatiques : en guise de baraka, nous avons dû consommer la viande de chèvre à la place de celle de l'agneau. Qu'importe, le Maroc frère mérite bien une crise diarrhéique comme sacrifice. Gare ferroviaire de Marrakech. 14 août. 11 h. Température clémente. Wagon 1. Le train en partance pour Fès s'ébranle cahin-caha. Et va pour huit heures de trajet. Nous partageons la cabine 3 avec un couple et un enfant américains. L'atmosphère est aspergée de suspicion, malgré les apparences. La guerre au Liban oblige. Je tousse, histoire d'enclencher la discussion. Peine perdue, une Katioucha n'aurait pas fait trembler mes voisins du compartiment. Il a fallu l'arrivée du bar ambulant dans les couloirs bondés pour marquer le point. « Prenez quelque chose », invitai-je. « Thank you, sir ». Et va pour cinquante dirhams. En déclinant notre identité algérienne, les Américains se montrent étonnés : « Des Algériens au Maroc ? Vous n'êtes pas en guerre ? » Drôle de culture générale de l'oncle Sam. Ahmed Bentalha a dû puiser dans son faible lexique anglais pour tout leur expliquer. Casa Oasis, Rabat, Salé, Sidi Slimane, Kenitra... Les villes défilent telles des images d'une bande dessinée. A Meknès, nos amis des States nous quittent. Un sourire aux coins des lèvres. Petit à petit, Fès s'élève des monticules. Des masures accrochées sur des collines. Pas l'ombre d'un fil électrique. 19 h. Gare de Fès. Les chauffeurs de taxi s'acharnent sur nous. Chacun nous propose un hôtel « Ya khouya, nous voulons que vous nous emmeniez à l'hôtel Ibis, khallina min fadlak ». Une fois les bagages posés et en dépit de la fatigue, nous prenons un petit taxi en direction du centre. « Vous devriez mettre les pieds à Boujelloud, sinon, c'est comme si vous n'avez rien fait. C'est de la baraka », entonne le vendeur des plantes aromatiques. Qu'importe, tentons le coup... La Médina, des touristes à perte de vue. Nous dévalons les ruelles serpentées. Nous marquons une escale chez un tisserand, une main sur le métier et l'autre tirant sur une chicha (narguilé). « Fès est une ville bénie, en plus, l'épouse du Roi est de chez nous », déjà conservateurs, les Fassis tirent une grande fierté de « leur » lien avec Sa Majesté. Des sons de raï se mêlent au chaâbi local. « Vous êtes Oriental ? » « Que non, un peu plus loin, derrière les barrières » Grand éclat de rires accompagné d'embrassades : « Ah, Algériens, marhaba, sidi. kassaman billah, vous allez prendre un thé royal. » Nous descendons de plus en plus en bas. Les restaurateurs, avec leur bluff, tentent de nous dire : « H'rira, tadjine, bastila, venez goûter, sidi. » Des mendiants nous collent à la peau. Les autochtones les chassent sans ménagement. « Laissez-les, on veut bien gagner une hassana. » « Ouakha, sidi, mais, il ne faut pas trop leur prêter attention, ils sont cassants. » La nuit est étouffante. « La ville est posée dans une cuvette », nous explique-t-on, comme pour s'excuser de cette canicule nocturne. Sur la placette, c'est le son du gallal (tambourin) qui fait bouger tout le monde. « 20 dirhams fi khatar l'Algérie, le Maghreb et Hezbollah », s'écrie Ahmed, le pantacourt attaché avec les lacets de ses chaussures. Attablé à la terrasse d'un café populaire, nous évoquons subtilement les événements de l'été 1994, où les Algériens étaient maltraités avant d'être expulsés manu militari par la police chérifienne « Oublions cet triste épisode, sidi. C'était la faute à Basri, que le diable l'emporte. » Les absents et les opposants ont bon dos... « Et n'oubliez pas d'aller à Moulay Yakoub, un hammam où l'eau contient du soufre, ça guérit tout », nous conseille un frère marocain. En attendant de se « désencrasser » au hammam, partons goûter une tanjia authentique. Une tangéroise à Fès, c'est cela l'authenticité... Qu'importe, il paraît que la tanjia a des vertus aphrodisiaques... pardon ! C'est juste une information... Minuit 45. Retour à l'hôtel Ibis. Suite discrète par pudeur...