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La baraka des eaux et celle du cheikh
El-Hammam N'Sidi Yahia
Publié dans Liberté le 28 - 08 - 2003

La plupart disent sentir un bien-être intense après un bain prolongé dans cette eau volcanique sur laquelle flotte une fine couche de ce qui ressemble à de la cendre. On la dit souveraine pour les rhumatismes, mais à entendre les habitués de l'endroit, elle guérit même les maux de l'âme.
Une belle rivière indolente qui coule, même en été, des collines boisées à perte de vue, des pitons rocheux pour ravir les plus exigeants amateurs de l'escalade, une puissante source d'eau chaude réputée pour ses vertus thérapeutiques miraculeuses et une légende, celle de Sidi Yahia qui offre son nom au lieudit et sa baraka aux visiteurs. Dans n'importe quel pays qui se respecte, on aurait fait avec ses ingrédients généreusement offerts par la nature un joyau touristique ultramoderne de tout premier ordre, mais voilà, le visiteur qui arrive à Hammam n'Sidi Yahia a plutôt l'impression de débarquer dans un endroit où la roue de l'Histoire s'est figée depuis une bonne poignée de siècles.
Quand on quitte Akbou, gros bourg industriel et besogneux, pour prendre la route de Tamokra, Mahfoudha, Bouhamza et autres villages du arch Nath Aïdel dans le massif des Babors, on perçoit, au bout de quelques kilomètres seulement, que rien n'a vraiment changé de ce côté-ci de la Kabylie. Hammam n'Sidi Yahia, il faut le chercher longtemps avant de le trouver, si vous ratez le petit panneau grossièrement écrit à la main, qui vous y indique le chemin. Au bout d'une longue descente vers la rivière et une étroite vallée, vous y trouverez un petit parking gardé pour y garer votre véhicule et ferez le reste du chemin à pied. Une fois arrivé, le dépaysement est garanti. Le petit village, niché au pied d'une falaise escarpée, et la rivière qui y coule en contrebas vous donnent l'étrange impression d'être arrivé, par mégarde, au Tibet. Un troupeau de chèvres traque une herbe raréfiée par de longs mois de soleil et l'on s'attend à tout moment à voir sortir des vieilles maisons aux toits recouverts de tuiles rouge brique des moines bouddhistes emmitouflés dans leurs robes safranes. En guise de moines, ce sont des touristes qui viennent de Béjaïa, de Tizi, de Bouira, de Bordj, de Sétif, d'Alger ou de Paris, comme l'indiquent les plaques minéralogiques des voitures stationnées dans le petit parking, que l'on croise sur l'étroit sentier qui descend en escalier vers les thermes.
Dans le petit foyer qui fait également office de café et de gargote, l'un des gardiens du lieu, Si Mohand Tayeb, 78 ans, bon pied bon œil, nous offre un café de bienvenue et se propose de répondre à nos questions indiscrètes.
Sidi Yahia, le mystique
Le hammam a été fondé par Sidi Yahia, un mystique, dont il porte d'ailleurs le nom, au IXe siècle de notre ère. Le cheikh, aujourd'hui vénéré et sanctifié, a vu le jour à Takorabt, un petit village des Ath Abbès, tout près d'Ighil Ali. À sa mort, il a été enterré à Tamokra où on lui a érigé une qobba. Il a passé au hammam quatorze ans d'ermitage, au fond d'une grotte qui existe toujours et qu'on appelle El-Kheloua n'Sidi Yahia. Pour y accéder, il faut suivre un sentier escarpé et finir par faire de l'escalade. La grotte est fraîche et ses parois sont noircies par la fumée des bougies qu'on y brûle. Elle se prolonge en étroit boyau pour aboutir dans un petit espace. Un homme y fait la sieste sur un tapis d'alfa. De là, elle part dans deux directions opposées, mais les passages sont tellement étroits que seuls les plus téméraires s'y aventurent. C'est ici donc que Sidi Yahia menait une vie d'ascèse et de méditation. Il descendait chaque matin à la rivière faire ses ablutions avec de l'eau froide. La légende raconte que Dieu l'ayant pris en pitié lui donna cette source d'eau chaude pour son confort. Au bout de sept ans d'une vie de troglodyte, il rencontra un beau matin un berger qui lui demanda si ses jours étaient finis. Le saint homme lui répondit qu'il allait solliciter auprès de Dieu sept autres années. Il revint au village et trouva sa mère malade qui ne le reconnut pas. En outre, il y eut au village une touiza et la pauvre vieille, oubliée des uns et des autres, n'eut pas droit à sa part de viande. Sidi Yahia alla se plaindre à tajmaâth et depuis lors à ce jour, à chaque touiza, il y a invariablement, à chaque partage d'un bœuf offert par un généreux donateur, les neuf parts des neufs grandes factions familiales et une dixième part pour la mère de Sidi yahia.
Le hammam, aujourd'hui, appartient à moitié à ses descendants qui habitent le village de Tamokra et qui le gèrent selon une vieille méthode ancestrale. Chaque année, la commission qui gère la zaouïa se réunit et désigne un représentant de chaque famille des neuf taârift (plusieurs familles de la même descendance) pour s'occuper du hammam, du foyer et du parc hôtelier de 32 chambres qui composent l'ensemble. Ils choisissent de préférence des gens de très modeste condition, car ils auront droit au bout d'une année de travail au partage des revenus, générés essentiellement par la vente des produits que propose le foyer et les dons des visiteurs. Ceux-ci, il faut le souligner, ne paient rien en dehors de leurs consommations. Le bain et les modestes chambres qu'on met à leur disposition sont entièrement gratuits quelle que soit la durée de leur séjour.
Pour boire, au bon vouloir
En général, en remettant les clés, ils glissent discrètement un billet ou une pièce dans la main d'un des préposés à l'accueil, ce qui en bon kabyle s'appelle “lemlah oufous”, mais c'est à leur bon vouloir. Cela fait dire à Mokrane, les yeux pétillants d'une vive intelligence, cette phrase succulente : “Aârav amouchedhlouh, moutmellahadh ara adhifouh.”
Dans la petite gargote, on peut y prendre un hors-d'œuvre, des frites, des sardines ou des œufs au plat pour une somme très modique, mais si vous ne pouvez pas payer, ce n'est pas pour autant qu'on vous laissera le ventre creux. La formation des talebs dans la zaouïa est également gratuite. C'est le hammam qui y pourvoit. Les apprenants, dont le nombre avoisine la centaine, ne paient qu'un droit d'entrée de 1 000 dinars et sont logés et nourris gratuitement pendant tout leur cycle de formation. Quatre à cinq cheikhs payés par le ministère des Affaires religieuses y enseignent awal Rebbi (la parole de Dieu).
Le hammam, qui reçoit en période estivale entre une vingtaine et une trentaine de familles par jour, remplit une double fonction. On y vient pour solliciter la baraka de Sidi Yahia et prendre un bain de cure thermale censée guérir tous les maux, y compris les plus tenaces. Quand, par exemple, une femme mariée reste désespérément stérile malgré les efforts soutenus de son mari, elle vient implorer le saint homme, patron du lieu. Un marabout, de préférence marié et père de famille, lui noue et lui dénoue un foulard autour de la taille en psalmodiant une sourat du Coran. Bien sûr, pour que le miracle ait lieu, il faut y croire fortement et avoir la niya (un mélange de foi et d'innocence). On peut aussi prier pour faire revenir au foyer un mari volage ou pour trouver preneur à une fille que les regards et les cœurs s'obstinent à ignorer. Le tout est d'avoir, bien entendu, de la niya, cette denrée si rare de nos jours.
L'eau qui sort des entrailles de la terre à travers un gros cratère rocheux à une température difficilement supportable est réputée pour ses vertus thérapeutiques. On la dit souveraine pour les rhumatismes, mais à entendre les habitués de l'endroit, elle guérit même les maux de l'âme. La plupart disent sentir un bien-être intense après un bain prolongé dans cette eau volcanique sur laquelle flotte une fine couche de ce qui ressemble à de la cendre. La fréquentation a beaucoup baissé ces dernières années à cause de la sécheresse et de la rareté de l'eau, mais avec le retour de la neige et des pluies abondantes, l'année écoulée, l'eau coule de nouveau à flots, au grand bonheur des habitués.
Le hammam lui-même ressemble à un bunker de la Seconde guerre mondiale et se confond avec sa dalle de béton avec le paysage ocre des roches qui l'entourent. De 7h à 12h, ce sont les femmes qui s'y baignent. De 12h à 14h, c'est le tour des hommes, puis, de nouveau, les femmes y reviennent, et ce, jusqu'à 16h30 pour laisser la place, pour la nuit, aux jeunes gens qui viennent souvent en groupes et font, quelquefois, la fête jusqu'au petit matin autour d'un bendir et d'un feu de joie.
La recette annuelle, essentiellement des dons des visiteurs, tourne autour de 70 millions de centimes. Une misère quand on songe à ce que le site peut rapporter si l'on consentait, avec l'aide de l'état, à y investir quelques sous vaillants pour moderniser les infrastructures existantes. Les chambres sont dans un état plus que lamentable et il n'y a pour tout ameublement qu'un ou deux vieux tapis d'alfa sur lesquels les visiteurs sont invités à s'allonger pour se reposer.
Sur le chemin du retour, vous pourrez vous arrêter pour acheter, en bord de route, des figues de barbarie ou celles du figuier. Ne vous en privez pas, elles sont succulentes ! Elles ont probablement profité, elles aussi, de la baraka de Sidi Yahia.
D. A.


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