Le jeudi 5 mars 2015, le docteur EI Hachemi Larabi a donné une conférence consacrée à la vie et l'œuvre de l'érudit cheikh Abderrahmane El Djillali. homme de lettres, polyglotte et économiste, le docteur El Hachemi Larabi eut au cours de sa vie une expérience très riche, qui lui a permis de connaître des personnages marquants de notre histoire contemporaine et de vivre des moments importants de notre Histoire (Islah, Mouvement national, lutte de Libération nationale). Le docteur Larabi a publié plusieurs ouvrages, entre autres un livre portant un regard lucide sur l'économie algérienne en 1970, rédigé au temps de la «pensée unique», intitulé Aperçus sur l'économie algérienne, un autre livre sur la vie du chahid Debbih Chérif, et un ouvrage autobiographique intitulé Chroniques d'un Algérien heureux. «Cet Algérien heureux» a eu la grande chance d'avoir rencontré cheikh Abderrahmane El Djillali, affirmera d'entrée M. Larabi. Cheikh Abderrahmane El Djillali est né en 1908. M. Larabi fait remonter sa généalogie au Khalifa Othmane Ibn Affane. Citant Ibn Khaldoun, le conférencier affirmera en souriant qu'après trois générations, on perd la trace de ses ancêtres. Cheikh El Djillali habitait à Bologhine (ex-St Eugène) dans un milieu aisé et cultivé. Son père était commerçant et leur voisin était le professeur Bencheneb, grand érudit, polyglotte et professeur à la médersa d'Alger. Ben Cheneb, Médéen d'origine turque, était un citadin très raffiné et un musulman conservateur. Dans ce milieu, l'intelligence du jeune Abderrahmane EI Djillali s'éveillait de manière exceptionnelle. A 12 ans, il connaissait le Coran par cœur. Il ne fréquenta pas l'école française, car son père, commerçant à la rue de Chartres, s'y refusa. La langue française était alors perçue comme une «menace» par certains milieux. Pratiquement à 14 ans, A. El Djillali était un jeune homme sérieux, d'une certaine gravité, et qui n'a donc pas connu les jeux et joies des adolescents de son âge ; presque un «cheikh», précisera le conférencier. Son père décède quand il a 16 ans, et ainsi il assume la responsabilité de chef de famille. Constatant les dons exceptionnels de mémoire et d'intelligence de A. El Djillali, le cheikh Abdelhalim Ben Smaya, Algérois d'origine turque, un des prestigieux notables et érudits d'Alger, écrit en 1920 au président de la cultuelle, Si Ben Siam, pour recommander A. El Djillali en qualité de «hazab». Depuis cette date, si A. El Djillali vit pratiquement entre Djamaâ El Kebir et Djamaâ où officient des érudits religieux tels que cheikh Arezki Ben Nacer de Aït Meguelet et cheikh Aboukacem El Hafnaoui, alem de Bou Saâda Ce qui donne à A. El Djillali un cadre et un climat favorable à son épanouissement intellectuel. Le professeur Ben Cheneb décède en 1929 et El Djillali publiera en 1933 un ouvrage sur ce lettré, où il exaltera le savoir qui doit avoir le pas «sur la politique». Cheikh El Djillali adoptera comme régle de vie le testament (ou l'engagement) de Miskawayh(1) (érudit et humaniste musulman perse du Xe siècle). Ce testament, rédigé en arabe, a été distribué par le conférencier ainsi que sa traduction en français. A ce propos, le docteur Larabi fera un parallèle entre les vies de Miskawayhet et A. El Djillali. Tous les deux, dira-t-il, ont vécu centenaires, ont atteint un niveau d'érudition élevé, ont eu un comportement modeste et bénéficent de l'estime de leurs compatriotes ; en somme des humanistes. Le conférencier avait comme ami Mourad Didouche (fils de Clos Salembier), qui a aussi fréquenté la médersa de la Redoute (alors sous l'égide du PPA) et lui fait connaître Si A. El Djillali qui y enseignait. Grâce aux efforts de Si A. El Djillali, Si Larabi sera envoyé à la Zitouna, à Tunis par le PPA pour compléter sa formation. Il y rencontrera Bechichi. Quand le cheikh El Hafnaoui est tombé malade, c'est cheikh El Djillali qui prendra sa relève à Djamaâ El Kebir. Il a alors 23 ans. Le conférencier décrit alors les conditions et cadres sociaux dans lesquels germaient et s'élaboraient les formes de connaissances ; cheikh El Djillali y occupait une place prépondérante. En 1927, des bienfaiteurs, épris d'instruction, créent au sein de La Casbah d'Alger la médersa Echabiba ouverte aux garçons et aux filles. Cheikh El Aïd Khalifa, le «poète de l'Algérie», sera son directeur et cheikh El Djillali y enseignera. Echabiba a formé, entre autres, Tahar Bouchouchi, Lacheraf, Abderrahmane Ali, A. Lakehal, Bouguetaya, Mme Abane Ramdane, Mme Amirat, et aussi pratiquement tout le personnel de Radio Alger en langue arabe. En 1930, l'Islah entre en force avec l'arrivée du cheikh Taïeb El Okbi, «le plus grand orateur du siècle», précisera le conférencier. Cheikh El Okbi officiera au Cercle du progrès (Naddi Ettaraki) et fera une véritable révolution à Alger. Il sera assisté par Toufik EI Madani, ancien membre du Destour tunisien, expulsé de Tunisie à cause de sa qualité d'Algérien. Le cheikh Hamza Bekoucha est arrivé à Alger en 1930. Dans ses mémoires, il décrira l'accueil de Si El Djillali qui lui facilitera son insertion dans le milieu algérois. Il enseignera à Djamaâ El Kebir pendant les soirées du Ramadhan 1930, avant de diriger la médersa de Dellys ouverte en 1933. Le conférencier décrira alors toute cette fermentation des esprits et une liste d'ouvrages significatifs. En 1927, El Haddi Senoussi publie une ontologie des poètes et hommes de lettres algériens en 2 tomes. 1928 : cheikh Ezzahiri est à Laghouat érigé par C. Ben Badis 1929 : Cheikh El Mili remplace C. Ezzahiri à Laghouat et publiera en 1928 un livre sur l'histoire de l'Algérie. A partir de 1925, une liste de journaux en langue arabe (Echihab, El Mountakid, El lslah, Esounna, El Oumma, etc.) paraît. Dès 1935, cheikh El Djillali rédigera ou corrigera des textes de pièces de théâtre. Il est alors très proche de Mahieddine Bachtarzi, ténor algérien et un des pères du théâtre algérien. Continuant sur l'énumération des personnages marquants, l'orateur fera l'éloge d'un grand «grand ami», Didouche Mourad, qui a fréquenté la médersa d'El Mouradia. Mourad Didouche se retirera ensuite, car il était plus intéressé par l'action politique. Le conférencier mettra en exergue les grandes qualités de Didouche et son rôle central dans le déclenchement de la Révolution. A l'appui, il citera un avis très élogieux du président Ben Bella. Le cheikh El Djillali a donné durant 50 ans des cours d'exégèse à Radio Alger. Il est fait docteur Honoris Causa. A cette occasion, le président Bouteflika annoncera : «Au maquis, nous écoutions Saout EI Arab de radio le Caire et les cours de cheikh Abderrahmane de Radio Alger.» Tout un hommage à ce grand érudit, historien, exégète, homme ouvert sur le théâtre qui mena une vie modeste parmi son peuple et qui a laissé d'imposants ouvrages d'histoire(2). Le docteur Larabi a pour projet la rédaction à titre de témoignage de 2 ouvrages : La vie et l'œuvre de cheikh Abderrahmane El Djillali ; La vie et l'œuvre de cheikh Ezzahiri. Un débat intéressant a suivi cette conférence qui a pour une grande part décrit le milieu dans lequel «baignait» Si Abderrahmane El Djillalli. Les principales questions posées étaient les suivantes : - Pourquoi cheikh El Djillali, au cours de sa longue vie, n'a pas appris une langue étrangère, ce qui lui aurait ouvert d'autres horizons ? - Pourquoi est-il resté «apolitique malgré sa proximité avec les leaders islahistes, et surtout ceux du Mouvement national ? - Pourquoi a-t-il été sous-médiatisé (sa personne et ses ouvrages historiques) ? En conclusion, le docteur Larabi nous a servi une excellente conférence avec sa verve et sa franchise habituelles, mais le temps d'une conférence est insuffisant au vu de la dimension du personnage qu'était cheikh Abderrahmane El Djillali . Notes 1)- Miskawayh : philosophe, historien et bibliothécaire. Né en 932 à Ray, mort en 1030. Iranien d'expression arabe, humaniste, il a fréquenté d'autres grands érudits et humanistes tels que AI Sijistani, AI Tawhidi. Il a inspiré le grand érudit et universitaire algérien, le regretté Mohamed Arkoun. 2)- Cheikh El Djillali a publié Histoire générale de l'Algérie (en 4 tomes), des livres consacrés aux villes d'Alger, Médéa et Miliana, un livre sur le pèlerinage à la Mecque et rédigé ou corrigé des textes de pièces de théâtre.