Samedi 1er juin, après-midi, retour à la salle Casbah pour revisiter la médersa Ethaâlybia et rendre hommage à l'un de ses éminents et fidèles serviteurs, Abdelhalim Bensmaïa (1866-1933), à l'occasion d'une conférence donnée par l'historien Djillali Sari. Du beau monde pour écouter le conférencier, mais aussi pour débattre des actions de Bensmaïa, professeur, humaniste, musicien, réformiste qui finira happé par le mysticisme. Que retiendra-t-on de ce savant précurseur du réformisme ? Un irréductible anti-assimilationniste, enfourchant fièrement son cheval ? Un homme proche du petit peuple ? Un puits de savoir et de connaissances ? En fait, Abdelhalim renferme plusieurs personnages en un seul. «Il a personnifié à merveille le modèle de aâlem en accomplissant brillamment sa mission au sein de Thaâlybia de concert avec d'autres maîtres de renom au cours des trois décennies du XXe siècle.» Mais il était plus que cela, renchérit Réda Bestandji, ancien professeur, doyen des SMA et parent de Bensmaïa. «Loin de se limiter à sa charge professorale, Abdelhalim s'est constamment préoccupé du sort de ses semblables en vivant profondément leur désarroi, notamment lors de la période de la conscription en prévision de la Première Guerre mondiale.» Bensmaïa était plus un révolté qu'un révolutionnaire, ce qui explique sa proximité avec l'émir Khaled et surtout ses positions affichées lors de la commémoration provocatrice du centenaire de la colonisation en 1930. Il faut dire qu'Abdelhalim tient beaucoup de son père, Ali, qui officiait à Djemaâ Djedid après des études au Caire. Abdelhalim sera aussi influencé par le cheikh Mohamed Abdou, le célèbre réformiste égyptien, qu'il recevra à Alger au début du siècle, aux côtés du non moins célèbre cheikh Belkacem El Hafnaoui grand érudit, mufti d'Alger et qui eut comme disciples Abderrahmane Djilali, Bencheneb et bien d'autres. La médersa livra par la suite d'autres noms, comme Saâdedine M'hmasadji, Mostefa Lacheraf et Réda Bestandji, etc. Les intervenants lors des débats dont des membres de la famille Bensmaïa porteront à la connaissance de l'assistance des faits imputés à notre professeur, transmis de père en fils, au sein de sa famille. «L'oralité est éphémère, l'écriture est pérenne» dit le vieil adage. Et c'est sans doute pourquoi, peu d'écrits ont été consacrés à cette période. Bensmaïa lui-même n'a pas laissé d'ouvrages, ce qui est un grand dommage causé à notre riche patrimoine immatériel. Et ce qui est plus dommageable, c'est lorsqu'on a appris de la bouche du conférencier que l'université algérienne, qui disposait à l'indépendance d'un trésor d'archives que lui envieraient les plus grands campus européens, est aujourd'hui dépourvue de références… Sans commentaires. Cheikh Abdelhalim Bensmaïa, natif de La Casbah d'Alger en 1866 a eu un parcours intellectuel très riche et une influence remarquable sur ses disciples. Ce n'est donc pas un hasard si ce professeur émérite à la médersa d'Alger eut un itinéraire à la mesure de ses prodigieuses qualités, avait noté en guise d'introduction notre ami Lounès Aït Aoudia, président de l'association des Amis de la Rampe Louni Arezki, organisatrice de ce rassemblement. Un parcours que l'assistance dense et attentive a pu mieux connaître à travers les interventions parfois très pertinentes des présents comme Kadour M'hamsadji, écrivain, chantre de La Casbah qui a décrit avec une adresse d'orfèvre les us et coutumes de cette imprenable citadelle. On aura aussi remarqué l'attitude interloquée de certains présents, agréablement surpris par le parcours fabuleux de Bensmaïa qu'ils ne connaissaient que peu ou prou. C'est justement dans le souci de «dépoussiérer» l'histoire, de rendre leurs titres aux méritants du passé, d'être en phase avec notre temps, en n'insultant pas l'avenir, que les organisateurs de cette sympathique causerie tendent. En n'omettant pas qu'un long travail de mémoire reste à faire comme l'ont souligné Salih Benkobbi, médersien, ancien diplomate, Annie Steiner, moudjahida, et d'autres illustres personnalités présentes samedi au palais El Minzah. Un palais qui fait face justement à la médersa Ethaâlybia, temple du savoir, qui s'est révélée, le temps d'une visite aux curieux, avant de refermer hermétiquement ses portes. Et pour cause, elle a changé de vocation pour devenir… un centre de cours par correspondance ! Plus rien à ajouter… P.S. : on raconte que l'administration coloniale, dans le souci d'amadouer Bensmaïa, lui décerna la Légion d'honneur. Et qu'en fit-il ? Il l'accola à la queue de son cheval et s'offrit une balade à travers la ville faisant à travers ce geste un beau pied de nez à la soldatesque française qu'il n'a cessé de fustiger…