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La transsaharienne route de l'or et de la contrebande
Elle a été tracée pour consolider l'unité africaine
Publié dans El Watan le 23 - 04 - 2015

La route de l'Unité africaine, la mythique Transsaharienne, bute sur des frontières terrestres fermées. Cette infrastructure est aujourd'hui très dégradée et n'a pas encore atteint ses objectifs. A In Guezzam, le poste-frontière n'est ouvert que deux fois par mois et laisse filtrer contrebandiers et mafias.
l La route de l'Unité africaine, la mythique Transsaharienne, bute sur des frontières terrestres fermées. Cette infrastructure est aujourd'hui très dégradée et n'a pas encore atteint ses objectifs. A In Guezzam, le poste-frontière n'est ouvert que deux fois par mois et laisse filtrer contrebandiers et mafias.Poste-frontière d'In Guezzam. Lundi 30 mars. «Houna tantahi el hayat (c'est ici que la vie prend fin).» La devise chère aux GGF, les gardes-frontières, prend tout son sens. C'est également ici que s'arrête le bitume de la mythique Transsaharienne, la route de l'Unité africaine qui a bercé des générations de Panafricains.
Le vieux rêve d'asphalte enduit, 10 000 kilomètres de bitume reliant l'Algérie au Nigeria, Mali, Niger, Tchad et Tunisie, butte sur le tronçon nigérien, pays le plus «pauvre» de la planète (187e, dernier au classement PNUD de l'indice de développement humain), en proie à la famine (un tiers de la population soit 3, 5 millions de personnes) et à la guérilla à ses frontières libyenne et nigériane.
La section de route entre Assamaka et Arlit, longue de 220 km, vient tout juste d'être confiée en réalisation à deux entreprises algériennes, EVSM (ex -DNC) et ETPBH. Les premières du BTP à s'exporter. Quelques corbeaux mercenaires, flairant le bakchich et la charogne, tournoient en vol plané au dessus du poste-frontière situé à une dizaine de kilomètres au sud d'In Guezzam. Plus de 2500 km séparent cette bourgade sahélo-saharienne de la capitale, Alger, perdue, elle, au fin fond du Tell algérien.
Il est 9h passées et la frontière avec le Niger, fermée depuis janvier 2013, s'ouvre, comme tous les 15 et 30 du mois, au troc. Ou ce qui semble l'être. Osmane et sa bande de jeunes «Moussaâid essayara», convoyeurs et autres esclaves non déclarés à la sécu, rôtissent au soleil, sur les bas-côtés de la route, attendant depuis plusieurs jours leurs camions Renault CBH semi-remorque ou Berliet – transportant surtout du bétail (ovins et caprins) et aussi du thé, des tissus bazin et autres huiles et cosmétiques made in Nigeria – remontant depuis Tahoua à 600 km au sud, d'Agadez ou d'Assamaka, à 30 km de la frontière.
Originaire de Maradi (sud du Niger), Osmane, en loques, boucle sa quinzième année de forçat. Il est de ces rafiots humanoïdes échoués sur les rivages de ces contrées d'In Guezzam, anciens lacs et rivières desséchés, prospères en temps néolithiques et dont les gisements archéologiques ont fait la réputation de quelques explorateurs français. Non loin de là, en mai 2014, 13 cadavres de migrants – 33 disparus – avaient été découverts par l'armée. Morts de soif en tentant de rejoindre la patrie de la Révolution et espérer aller au delà. En mai 2013, 92 Nigériens mourraient déjà dans les mêmes circonstances sordides.
Nord-Niger : misère et opération clandestine de l'armée française
Plus de 150 camions immatriculés RN (République du Niger) piaffent de l'autre côté de la frontière. Des Toyota Station de l'armée, surmontées de mitrailleuses, verrouillent les abords du poste. Valse de camions GGF s'ébranlant dans un nuage de poussière vers leurs postes avancés. A cran. Tous comme les policiers de la PAF, excédés par la présence de journalistes. «Avec ou sans visa, on ne vous laissera pas franchir la frontière.
Elle est fermée. Il vous faudrait une autorisation exceptionnelle du ministère de l'Intérieur, autrement c'est par voie aérienne que vous devrez aller au Niger», dit le «pafiste» en chef. «Même ici, vous n'avez pas le droit d'y être : c'est une zone militaire», ajoute-t-il avec des velléités de s'en prendre à l'appareil photo pour en chasser les mauvais souvenirs et en effacer la mémoire. Confiscation de documents d'identité au menu et séance interminable de sauna bio sous le grand cagnard.
La zone est ratissée par l'armée, objecte cet officier des renseignements. La veille, à Assamaka, témoignent des contrebandiers de retour, des militaires français étaient sur site, en opération. «Habtou men tiara (ils sont descendus de leur hélicoptère). Frektou el quat'quat (fouillé notre véhicule) et nous ont relâchés après qu'ils n'aient rien trouvé», raconte le jeune Abdessadek qui revient avec son père d'Assamaka, ancien fort français, après avoir livré leur cargaison de farine, riz, ciment et carburants. «Aâskar Gouar (…) Français, je ne sais pas mais, c'étaient des militaires étrangers.
Ils avaient la peau rouge», enchaîne-t-il, encore choqué par le procédé commando. L'aérodrome d'In Guezzam, encore interdit aux dessertes civile, situé à quelques bornes du chef-lieu, affichait une activité intense. Les survols incessants de la zone, décollages et atterrissages d'avions et hélicoptères, avaient duré toute la nuit. Il est 10h. Les «troquistes», lassés d'attendre les vétérinaires qui arrivent tard pour inspecter les quelques remorques renfermant du bétail, s'en vont régler les ultimes formalités avant de prendre la route vers Tam.
Les crampes au ventre, la main au porte-monnaie. Temps de disette après les temps bénis mais révolus des frontières terrestres ouvertes. Ici-bas, la fermeture de la frontière terrestre est vécue comme une véritable catastrophe. «Avant, jusqu'à 450 camions transitaient par jour par ce poste-frontière» , indique, non sans humour, ce camionneur Touaj. «Aujourd'hui, c'est 99% de chômage, ajoute-t-il. Ceux qui étaient mariés à deux femmes ont divorcé (!) et les Dendakou, les porteurs, qui étaient plus de 150 à gagner un peu d'argent, ne portent plus rien. Les convoyeurs, pareil. Avant, ils se faisait 14 000 DA le trajet, aujourd'hui ils ne trouvent rien à manger.»
Les « Touaj », nomades en CBH, originaires de cette prétendue Terra Nullus qu'est le Sahara occidental, binationaux, ils se disent «d'ici et de là-bas» (Nesknou Hna, nesknou l'hih) sont, au même titre que les autres ethnies et communautés, les premières victimes de cette fermeture pour «raison de sécurité» de ces frontières terrestres dites «intangibles», «héritées de la colonisation».
De l'absurde en ces contrées où les échanges humains, commerce et troc, et les brassages et migrations de populations sont partie intégrante de l'identité locale. «Nous, nous n'avons rien croisé de suspect. En chemin, personne ne nous a arrêtés ni nous a menacé de quoi que ce soit… Et cette insécurité qu'ils prétendent… Ma aâlabalnach. Nous ne l'avons pas ressentie.»
Le Niger, pays tampon entre l'Afrique du Nord et Boko Haram, établi au nord-est du Nigeria, Daech (en Libye), AQMI et le Mujao (en Algérie et Mali), passe pour ces marchés à ciel ouvert d' armes en tous genres et pour un Etat défaillant à la merci des grandes puissances qui y mènent leurs opérations clandestines et des groupes terroristes et de crimes organisés qui y établissent leurs bases arrières.
Unité africaine vs frontière fermée
«Yesserhou aâlina, assidi. Qu'ils nous ouvrent ces frontières et qu'ils laissent les gens vivrent comme avant. Khelouna nesterzkou», enchaîne ce commerçant, maquignon originaire d'El Ménéa. De Biskra, Tolga, Ouled Djellal, le «troquiste» ramène des quintaux de dattes qu'il essaie d'écouler tant bien que mal, «souvent à crédit», précise-t-il, dans les marchés et échoppes nigériens.
Du Niger, il ramène du bétail. «Si on ouvrait comme avant, la viande redeviendrait moins cher… et en plus elle est meilleure, car sans cholestérol (…) On nous dit que c'est pour stopper les fraudeurs, mais de Tam à In Guezzam, les fraudeurs, personne ne les arrête : ils acheminent même des œufs.» In Guezzam. 29 mars. La commune, la seule en ce vaste territoire, catapultée daïra sans les attributs, In Guezzam avec Ses 47 000 km2, 46 fois Alger, est la plateforme par excellence d'exportation frauduleuse vers l'Afrique. Tous les produits subventionnés y passent.
L'agglomération de 17 000 habitants, dont la moitié est constituée de nomades, est promise au destin de wilaya déléguée. «Mais qu'est-ce qui changera pour In Guezzam qui est déjà daïra ?», fait mine de s'interroger un haut fonctionnaire. «Rien ! Et en plus, il n'y a rien de concret pour l'heure, rien d'officiel hormis l'effet d'annonce.» La «ville», garnison à ciel ouvert – avec concentration optimum de bidasses au mètre carré, faussant considérablement la démographie locale – est devenue celle des «chenaoua», étrange nom d'oiseau affublant les nombreux spécimens extradés du nord du pays.
14h. Sous le grand soleil, relativement amène en cette saison, 34° quand même, seuls les troupeaux de chèvres mastiquant tout sur leur passage osent braver l'élément. Sur les quelques chantiers de voirie ou de construction, ce sont quelques succubes, travailleurs subsahariens qui ferraillent, mettant le cœur à l'ouvrage. Une colonne de semi-remorques RN frappe aux portes de l'agglomération, ancien village socialiste créé – par décret – dans la foulée de la Thaoura Ziraâya (révolution agraire) des années Boumediène.
Les exploitations agricoles ont disparu, les maisons en toub alignées le long de la RN1 subsistent. Le socialisme, lui, n'avait jamais pris. Des Touareg du Hoggar, les Kel Ahnet, Arguanaten... avaient constitué le premier noyau de ce village. A l'embouchure du rond-point du Tamzak, la Rahla, selle du méhari, les deux stations d'essence font le plein de cuves. Les camions-citernes de Naftal sont gardés systématiquement, comme la pupille, par les gendarmes de l'escorte.
La contrebande de carburants est ici un art majeur et source (de survie) et d'enrichissement incommensurable pour petite et grosse mafia. Le fût de 300 litres est revendu de l'autre côté de la frontière à plus de 15 000 DA. La proximité charnelle, l'échange de bons procédés et le droit à l'indifférence, en vigueur entre agents de l'Etat et bandes de contrebandiers, relèvent des évidences. Face à la sûreté de daïra, de l'autre côté de la Nationale, les Toyota Stations du «tahrib» (contrebande) narguent les hommes en bleu.
Attablé à la terrasse d'un café, face au «bureau de main-d'œuvre» fermé pour cause de qaïloula (la sieste systémique), Hessan, un Imuhar (Targui) d'une trentaine d'années, chômeur endurci ne faisant pas exception en ce patelin où l'Etat est seul employeur, parle du quotidien impossible des populations nomades. Des restrictions imposées aux pasteurs, interdits de pâturage par-delà la frontière, de l'enclavement, de l'accès aux services de base...
Membre du collectif associatif In Akambou, localité entre In Guezzam et Tinzaouatine, il tente vainement de persuader les pouvoirs publics d'aménager des habitations «avec un minimum de services publics» sur les sites renfermant des points d'eau et fréquentés par les nomades. A In Akambou, Tin Amzi, Anesbarka, In Ghassen, Hadj Bouya… des milliers de pasteurs nomades survivent comme au temps de gravures rupestres, sans accès aucun aux bienfaits de la «civilisation».
In Guezzam, nomades dans une wilaya-déléguée
«L'Etat leur envoie de temps à autre des vivres, des aliments pour leur bétail, des tentes, mais il en faudrait davantage», explique Boukhami Algag, le vice-président de l'APC, qui rappelle que près de la moitié de population est nomade. La déscolarisation des enfants des Touareg nomades l'inquiète. «En fait, c'est tout In Guezzam qui souffre de sous-développement : 85% de chômage, sinon plus ; aucune entreprise pourvoyeuse d'emplois, des infrastructures de base insuffisantes tout le comme le budget de la commune, 8 milliards de centimes (18 selon une autre source, ndlr).» In Guezzam ne compte pas de lycée. Pour les filles, c'est un véritable crève-cœur. «Nous avons le choix entre les envoyer en internat à Tam ou interrompre leur scolarité. Beaucoup de parents choisissent cette dernière option.»
Clinique de l'agglomération. Bouabdallah Guerrag, jeune médecin généraliste de Chlef, «volontaire pour ce poste», précise-t-il, tout content de servir en ce «bled siba», très loin du makhzen central. Il ausculte jusqu'à 70 patients par jour. «Je ne vous dirais rien de ce qui nous manque, par contre je vous dirais tout ce qui fait défaut à la clinique.» Une clinique fonctionnant en régime EPH (établissement hospitalier) sans disposer ni des moyens et encore moins des personnels requis. «Heureusement que l'armée nous vient parfois en renfort.» Les médecins spécialistes et les paramédicaux, dit-il, font cruellement défaut. «Nous n'avons même pas de sage-femme», argue-t-il. Le médecin venait tout juste de réussir un accouchement gémellaire.
Un pari relevé nonobstant la culture et les us locaux parfois allergiques au médecin «homme». «In Guezzam n'a jamais connu de spécialiste», dixit le Dr Laâssab Salah, directeur de la clinique. Pas de chirurgien, pas de réanimateur, pas de pédiatre ni de cardiologue… «Même pas un manipulateur radio alors que nous avons un nombre élevé de polytraumatisés à cause des accidents de la route.» Le suivi thérapeutique se fait au loin, à Tam, à plus de 420 km.
Les cardiopathes, les asthmatiques, les hypertendus, les diabétiques, les victimes de piqûres scorpionniques…, les 35% de la population diagnostiqués se doivent de parcourir presque 1000 km en aller-retour pour se soigner. Birouten. Minuit. Le 4x4 de contrebandier rentre à tombeau ouvert à Tam, indifférent aux silhouettes de migrants subsahariens gravissant, pieds nus, les monts Hoggar et aux somptueux Birouten et ses mastodontes, des rochers de grès noir, posés presque avec délicatesse sur du sable fin, casse le rythme.
Garet Ennous (butte du milieu), la montagne majestueuse marque le mi-chemin. Les 200 km d'asphalte réalisés par l'EVSM Sidi Moussa prennent ici fin, laissant place à la section de route construite il y a trois ans par une entreprise portugaise, parsemée de cratères géants à faire gémir un tank russe. 210 km de slalom entre nids d'autruche, blocs de pierre plantés beau milieu de la route et dunettes de sable faisant faux barrage.
La Nationale 1, la Transsaharienne, 3 milliards de dollars de budget annoncé, est déjà presque en ruine avant son achèvement, rattrapée par les malfaçons, le défaut d'entretien, et dévore autant sinon davantage d'hommes qu'elle ne le fit au temps de la piste sommairement balisée. Sur les bas-côtés de la route, des carcasses de véhicules calcinés émergent au-dessus de monticules de sable. La route de la mort n'en finit pas de récolter sa moisson promise.
«Autant cette route est attendue et désirée par la population autant elle nous est mortelle», regrette Beggar Ouifi, élu à l'APC. «La semaine dernière nous avons eu six morts», rappelle-t-il. Découvertes par des automobilistes plusieurs heures après l'accident, les victimes n'ont pas pu joindre les secours à temps et leur évacuation à l'hôpital de Tam est intervenue très tard. En cause : l'absence de couverture réseau. Les trois relais GSM installés sur la route ne fonctionnent pas en raison du défaut de recrutement de personnel assurant le service.
Comité de liaison de la route Transsaharienne (CLRT).
Carrefour de Kouba. Mardi 24 mars. Dans son bureau ne payant pas de mine, casé au rez-de-chaussée de l'organisme de contrôle technique des travaux publics, en banlieue algéroise, Mohamed Ayadi, vingt ans à la tête du comité (qui réunit l'Algérie, Tunisie, Mali, Niger, Tchad, Niger) est tout fier des progrès réalisé par la RTS (route Transsaharienne). «Elle est l'aorte de la région sahélo-saharienne», qualifie cet ingénieur des ponts et chaussées.
La RTS, un projet né en 1958 à Addis-Abeba, lancé en 1965 à l'initiative de la Commission économique de l'ONU pour l'Afrique (CEA). «La route de l'Unité africaine, rappelle Ayadi, ce n'est pas Boumediène comme le prétend le roman national, c'est d'abord la commission onusienne, la CEA.» Depuis 1971, l'Algérie en a réalisé, selon lui, quelque 1400 km. D'El Goléa à In Guezzam. Et officiellement, la partie algérienne de la RTS s'étend aujourd'hui sur plus de 3400 km revêtus dans ses deux branches nigérienne et malienne. Il reste encore huit kilomètres à réaliser jusqu'à la borne frontière.


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