En ratifiant cette convention, l'Algérie s'engage à mettre en place des politiques culturelles favorisant la création, la production et la distribution des produits culturels. «La ratification par l'Algérie de la convention sur la protection de la diversité des expressions culturelles, dix ans après son adoption par l'Unesco, peut être un acquis important pour le secteur culturel algérien.» Samy Abdelguerfi, blogueur membre du GTPCA, en est certain. Le jeune activiste culturel vient d'intégrer le programme Houna eShabab de l'Union européenne et Med Culture. «Cette convention a été mise en place pour mettre en avant toutes les expressions culturelles, donner l'occasion à des minorités ethniques d'avoir une place dans un monde plus globalisé que celui dans lequel nous vivons. A mon avis, le point fort de cette convention est d'avoir l'ambition de créer un environnement propice pour le respect des identités de chaque société.» En effet, l'Algérie a rattrapé un retard de dix années en ratifiant, le 26 février dernier, la Convention de l'Unesco, sur la protection et la promotion des expressions de la diversité culturelle. L'Algérie compte parmi les derniers pays au monde à avoir refusé cette ratification, ce qui a laissé le pays en dehors du débat et des enjeux internationaux relatifs à la gouvernance de la diversité culturelle. «Cette Convention, l'Algérie en avait grandement besoin, notamment pour se prémunir contre des conflits culturels complexes comme celui de Ghardaïa. Officiellement, les objectifs de l'Etat, en matière de culture en Algérie, ont été conçus pour protéger et promouvoir la grande variété des particularismes culturels», explique Ammar Kessab, expert en management culturel. Cette procédure implique une «intégration dans la législation algérienne» des dispositions des conventions dans un «délai de trois mois» à compter du dépôt, explique Rachida Zadem, responsable au ministère de la Culture. Statu Quo «Nous avons toujours été invités, institutionnellement, à se reconnaître dans une identité unique, figée dans le premier texte fondateur de l'Etat algérien, à savoir l'Appel du 1er Novembre 1954, lequel appel a façonné, profondément, l'idéologie dominante, poursuit Ammar Kessab. Cette idéologie, qui définit l'algérianité par deux seules composantes identitaires, à savoir l'arabité et l'islamité, s'accommode mal de la diversité des expressions culturelles, pourtant si chère aux discours officiels. Ce paradoxe ne peut être entretenu qu'en occultant certains aspects de la mémoire algérienne et en vidant les identités régionales de leur substance», poursuit-il. Alors pourquoi cette convention fait-elle peur au gouvernement ? On peut trouver des explications dans le fait que le contenu de la Convention de 2005 met à mal une situation de statu quo culturel entretenue par le gouvernement depuis l'indépendance, dans la mesure où le texte de la convention appelle explicitement à la création d'un environnement encourageant les individus et les groupes sociaux pour qu'ils puissent créer, diffuser et distribuer leurs propres expressions culturelles et à y avoir accès. Aziz Hamdi, militant culturel, estime que «l'Algérie a été obligée de s'aligner». «La convention de l'Unesco ouvre les portes pour les producteurs en industrie créative, elle va permettre à l'Algérien de choisir son identité culturelle. Signer c'est bien, mais cela ne sera jamais utile si on ne trace pas une véritable politique culturelle qui va servir de mode d'emploi pour cette convention. Mais l'opacité dans laquelle la ratification s'est faite nous pousse à poser des questions.» Mondialisation «L'histoire a donné raison au concepteur de cette convention. Alors que le “printemps arabe'' était censé offrir des jours meilleurs aux peuples opprimés, il s'est transformé en cauchemar en Syrie, en Libye ou encore au Yémen, des pays qui se sont attachés, jusqu'à l'explosion, à l'approche archaïque de gouvernance de la diversité culturelle, en refusant toute reconnaissance de leur diversité culturelle, rappelle Ammar Kessab. Sur le plan pratique, cette convention a marqué un bond historique dans le traitement juridique des biens et des services artistiques et culturels qui, menacés dans la diversité culturelle qu'ils portent, par une mondialisation accrue, sont désormais reconnus comme étant des produits spécifiques.» Pour Samy Abdelguerfi, «la difficulté de cette convention serait de tomber dans un multiculturalisme de premier degré, c'est-à-dire où chacun défend sa minorité sans vouloir qu'il y ait d'interconnexion avec d'autres cultures. Ce cas de figure s'est déjà produit et se produit encore de nos jours. Or, l'idée d'une diversité culturelle réside surtout dans l'interculturalisme, par le dialogue interculturel, la “confrontation'' artistique et l'envie de connaître l'autre. Il est encore très tôt pour se réjouir ou pas de cette ratification. Attendons de voir son application, en espérant qu'on est arrivé à un niveau de conscience tel qu'il n'est plus envisageable, pour nos responsables, de voir des pans de notre culture plurielle marginalisés et folklorisés.»