Lancé en 2013, le passeport biométrique est devenu un vrai casse-tête chinois pour nos services consulaires depuis fin 2014, marquée par un afflux exceptionnel aux consulats. Le gouvernement avait expliqué qu'il n'y avait pas de défaillance de gestion, mais plutôt une affluence inhabituelle engendrée par la loi de finances 2015, qui a augmenté le prix du timbre fiscal de 20 à 60 euros. La situation globale dans les consulats s'est, en effet, un peu améliorée au lendemain de la rentrée en vigueur de cette décision, le 1er janvier. Or, à l'approche de la saison estivale, la situation se dégrade de nouveau et se complique davantage. «Dès qu'il y a un peu de monde, les agents du consulat sont complètement dépassés. Et en plus, ils s'énervent contre nous», déplore Amar, retraité, qui perd patience en salle d'attente du consulat de Nanterre. Farid, étudiant et employé de restaurant, préfère rebrousser chemin. «Je vais essayer de revenir une autre fois un peu plus tôt. Je ne peux pas attendre car je dois aller travailler. Je sacrifierai sûrement une journée de cours», dit-il en sortant du consulat. A Vitry-sur-Seine, on retrouve les mêmes visages crispés de nos compatriotes qui en ont ras-le-bol de «cette situation d'éternelle attente et d'étouffement». Cette représentation diplomatique est l'une des plus importantes en France. Elle couvre cinq départements, soit plus de 170 000 immatriculés. Certains de nos concitoyens y viennent du département de la Nièvre, situé en Bourgogne, à 250 km de Vitry. Paradoxalement, le siège de ce consulat est le plus étroit, vétuste et inadapté à la foule massive qui s'y rend quotidiennement, même avant le lancement du passeport biométrique. «Il faut que le gouvernement prenne des décisions plus radicales pour régler cette situation généralisée dans presque tous les consulats. Ni les ‘‘mesurettes'' prises par les consuls ni vos articles de presse, malheureusement, n'ont aidé à améliorer les choses. Quand je vois ce qui se passe ici, j'ai honte d'être Algérien», lance un quadragénaire, chef d'entreprise dans le bâtiment. A Vitry et dans l'ensemble des consulats franciliens, plusieurs familles, parfois habitant à plus de 100 km, patientent dans la rue, à la belle étoile, du début de la nuit jusqu'au matin. Les portes des consulats ne s'ouvrent qu'à 8h30, et exceptionnellement à 7h30 dans quelques chancelleries. La distance qu'ils parcourent, les heures d'attente et quelques obstacles bureaucratiques sont ainsi les ingrédients qui engendrent souvent bagarres et dérapages verbaux. «La nouvelle répartition territoriale n'a fait que déplacer le problème d'un consulat à un autre. L'exemple est significatif à Nanterre qui a récupéré les ressortissants des départements des Yvelines et de l'Eure-et-Loir. Nos concitoyens de Dreux, Chartres et Châteaudun font désormais la queue devant le consulat de Nanterre au lieu de celui de Paris», lit-on dans un rapport adressé au Premier ministre par Chafia Mentalecheta, députée de la communauté algérienne en France. Dans ce sens, les Algériens de Seine-et-Marne, immatriculés au consulat de Vitry, ont lancé une pétition pour réclamer la réouverture du consulat de Melun. On est mardi, premier jour de la semaine pour le consulat de Bobigny, sans doute le plus important en nombre d'immatriculés. Il couvre uniquement le département de la Seine-Saint-Denis, soit près de 200 000 personnes. Il est presque midi, quelques dizaines de personnes attendent encore dans la rue devant l'entrée principale. A l'intérieur, des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants sont entassés dans des salles d'attente asphyxiantes. Tout le monde est au bord de la crise de nerf. «C'est insupportable. J'ai pris un rendez-vous il y a plus de trois mois par mail pour déposer mon dossier sans faire la queue. Aujourd'hui, on me dit que je dois la faire quand-même pour récupérer ma carte consulaire avant de pouvoir revenir au guichet des dépôts», souligne Makhlouf, étudiant de 29 ans, qui regrette d'avoir transféré son dossier consulaire de Nantes à Bobigny. Il est vrai que les consulats provinciaux n'ont pas les mêmes difficultés que les franciliens. «Nous avons publié plusieurs communiqués explicatifs sur internet et collé des affiches partout ici au consulat. Il faut que nos concitoyens lisent bien la liste des documents à fournir et venir avec le dossier complet afin d'éviter ce genre de complications», se défend Mahmoud Massali, consul de Bobigny. Et d'ajouter : «Il faut aussi respecter l'heure du rendez-vous. En cas de retard, nos agents passent au rendez-vous suivant. On ne peut pas rester plus de 3 à 4 minutes sur chaque dossier, sinon on n'arrivera pas à satisfaire tout le monde vu cette grande affluence.» Dans ces cas précis (non-respect du rendez-vous ou fourniture d'un dossier incomplet), nos concitoyens partagent la responsabilité avec l'administration. Toutefois, la plupart du temps, ils sont plutôt victimes des lenteurs bureaucratiques. D'abord, il faut attendre la délivrance de l'acte de naissance S12, qui comporte souvent des erreurs qu'il faut corriger. Certaines rectifications, considérées comme sensibles, nécessitent même un jugement de la justice algérienne, avec tout ce que cela comporte comme délais et autres lourdeurs administratives. Ensuite, le suivi du traitement des différents dossiers d'état civil fait défaut. Débordés, les employés consulaires n'informent pas les demandeurs du S12, de la carte nationale d'identité ou du passeport sur l'état d'avancement de la délivrance de leurs documents. Cela provoque un flux supplémentaire de concitoyens qui viennent à la chasse d'informations directement aux consulats. Depuis le début du mois d'avril, les ministères de l'Intérieur et des Affaires étrangères tentent, tant bien que mal, d'accélérer l'opération de l'enrôlement et de la délivrance du passeport biométrique afin de respecter l'échéance du 24 novembre 2015, fixée par l'Organisation de l'aviation civile internationale. On annonce plusieurs recrutements temporaires au niveau des cellules de fabrication du document et aux consulats. La technologie est également mise à contribution pour faciliter certaines démarches, comme l'envoi numérique des photographies des enfants de moins de 12 ans. Le ministère de l'Intérieur a, par ailleurs, lancé un site web, qui permet à chacun de suivre les différentes étapes du traitement de son dossier. Les consulats, se contentant actuellement d'une prise de rendez-vous par mail, sont appelés à mettre en ligne des logiciels plus performants pour la gestion des rendez-vous.