Les génocides et les crimes coloniaux sont condamnables en toute circonstance et méritent une appréciation standardisée. Tel est la quintessence du message qu'ont tenté de faire passer des historiens et anthropologues lors de la première journée d'un colloque international de trois jours consacré aux massacres coloniaux, qui s'est ouvert hier à l'université des sciences islamiques Emir Abdelkader de Constantine. A ce titre, des intervenants ont mis en exergue la nécessaire reconnaissance des massacres du 8 mai 1945 commis par l'armée française en Algérie comme étant un génocide, voire un crime contre l'humanité. «Les massacres du 8 Mai 1945 ne doivent pas être qualifiés de simples manifestations, il est impératif de leur accorder plus d'importance, parce que c'est un véritable génocide qui a été perpétré par l'armée française contre des civils algériens dont le seul tort a été de vouloir fêter la fin de la seconde guerre mondiale, d'autant qu'ils y ont participé», a martelé avec force et conviction l'universitaire Mabrouk Ghodbane, de l'université de Batna. Dans une communication à travers laquelle il a voulu faire le rapprochement entre crime contre l'humanité et génocide, il a appelé les Algériens à «continuer la lutte pour que les massacres du 8 Mai 1945 soient reconnus par la communauté internationale comme étant un génocide», citant en exemple le cas des juifs qui ont réussi à imposer au monde l'holocauste, ainsi que les Arméniens dont le poids du lobbying et le concours de certains pays, dont la France, ont conduit à la reconnaissance de leur «holocauste». Dans cette optique, ce conférencier a lancé un appel aux Nations unies pour reconnaître enfin que les massacres des civils algériens sont aussi un «génocide». «Après ses exactions d'hier, la France se présente aujourd'hui comme un pays civilisé. Or, un pays civilisé doit s'excuser pour ses crimes», a-t-il déclaré avec ardeur et dénonce le silence de la France qui refuse de reconnaître avoir commis un génocide en Algérie. C'est là justement l'un des principaux points autour desquels s'articule ce colloque de trois jours, notamment celui relatif au «recours à la violence et aux massacres collectifs des différentes entreprises coloniales qu'elles que soient leurs justifications commerciales, économiques ou géopolitiques», ainsi que la difficulté pour les Etats colonisateurs d'assumer les atrocités commises. Pour l'éditeur, scénariste et chercheur indépendant en histoire de la colonisation, Hosni Kitouni, il s'agit également de donner un sens et un nom aux souffrances des victimes des massacres, d'autant que «la narration officielle entreprend d'éliminer les détails qui singularisent ces brutalités et les déchargent de leur poids d'horreurs, tout en s'efforçant de faire disparaître du récit la victime et sa souffrance». Souffrance inquantifiable Or, de la souffrance, il y en a eu beaucoup en Algérie. Une souffrance inquantifiable qui ne se résume pas seulement aux massacres du 8 mai 1945. «Les Algériens ont connu la barbarie sanglante et extrême dès l'occupation des villes au tout début de la colonisation», dixit le conférencier, rappelant au passage que le tout premier massacre a ciblé la ville de Blida où, durant six heures, les troupes françaises ont commis un véritable carnage. Comme ceux commis en 1956 dans la région d'El Ancer (wilaya de Jijel), se souvient Abdenour Naji, un enseignant à la retraite. Il a voulu partager avec les participants au colloque le douloureux souvenir d'une série de six massacres inouïs ayant ciblé, entre mai et juin 1956, la population faisant entre 250 et 300 victimes. Il a évoqué plusieurs exécutions de civils, dont 11 victimes de plus de 60 ans en une seule journée, ainsi que l'extermination dans la mechta de Beni Meslem de 52 personnes parmi elles — comble de l'horreur — deux personnes avaient été enfermées et brûlées vives dans un vieux gourbi. Cela dit, bien que ce colloque s'inscrive dans le cadre de la commémoration du 70e anniversaire des massacres du 8 Mai 1945, les organisateurs ont voulu l'élargir à d'autres massacres commis en Afrique et en Asie et qui ont été «marqués par des faits similaires». Pour les deux prochaines journées, il est attendu la participation de plusieurs intervenants et historiens étrangers de renom, comme Benjamin Stora, Benjamin C. Brower et Todd Shepard, professeur d'histoire américain.