Le président du Parti pirate tunisien (PPT), en exil à Paris depuis janvier 2014, a demandé officiellement l'asile politique en France. Si sa démarche aboutit, il sera le premier opposant politique tunisien dans cette situation depuis la révolution de 2011. «Le harcèlement policier et judicaire dont je suis victime depuis ma sortie de prison, au lendemain de la fuite de Ben Ali, m'ont obligé à faire ce choix très difficile pour moi», a-t-il déclaré à El Watan. Kchouk a été l'un des blogueurs et cyberactivistes les plus influents en Tunisie avant et durant le soulèvement populaire du 17 décembre 2010. Au lendemain du 14 janvier 2011, il a mené, avec d'autres militants politiques, une campagne médiatique et des happenings contre les intérêts du RCD, ancien parti au pouvoir, appelant à sa dissolution. Il a été arrêté et emprisonné à plusieurs reprises, notamment en 2012, pour apologie de violence sur internet. Ensuite, sa lutte est orientée contre le parti Ennahdha, au pouvoir à l'époque. «Dès l'assassinat de Chokri Belaïd, le 6 février 2013, j'ai participé à des manifestations et des rassemblements devant les locaux d'Ennahdha avec le Parti pirate et plusieurs associations de la société civile, afin de réclamer justice et revendiquer l'instauration d'une vraie démocratie, au lieu de prôner l'intégrisme», nous confie-t-il. Et de commenter : «Après cette énorme pression que nous avions exercée sur eux, les islamistes nous ont collé beaucoup d'affaires afin de nous intimider et de nous décrédibiliser. Des dizaines de jeunes militants ont été arrêtés.» Celui qui s'activait sous le pseudonyme de Loup, sous la dictature de Ben Ali, est convoqué au commissariat de police de Bizerte le 19 février. «Aucun motif n'était mentionné sur la convocation. Des amis avocats m'ont dit que c'était illégal et qu'il ne fallait pas que je m'y rende. J'ai quitté le territoire tunisien le 20 février. J'ai appris plus tard qu'un mandat d'arrêt avait été délivré le 23 février», explique-t-il. Le Loup de Takriz, le premier groupe de cyberactivistes anonymes en Tunisie, se réfugie à Paris plusieurs mois, «le temps que je réfléchisse et que les choses se calment du côté des autorités. Je rentre chez moi le 25 octobre 2013». A l'aéroport, des policiers lui signalent qu'il est sous mandat d'arrêt. Interpellation Ils le laissent néanmoins aller chez ses parents à Bizerte. Quelques jours plus tard, il est contraint de se rendre à la brigade antiterroriste d'El Aouina. «On m'a isolé de mes avocats et interrogé, m'accusant de participation à un attroupement armé. L'interrogatoire a duré toute une journée avant que je sois renvoyé au commissariat de Bizerte où j'ai été détenu provisoirement pendant trois jours», narre-t-il. Présenté au procureur de la République, Slaheddine Kchouk est confronté au contenu d'une quarantaine de captures d'écran de sa page facebook. «Je lui ai expliqué que j'exprimais juste des opinions. Il m'a libéré en me demandant de revenir le 10 décembre pour mon procès», reconnaît-t-il. Il bénéficie d'un non-lieu lors de son audience du 10 décembre 2013. Or, le président du tribunal de Bizerte lui indique qu'il doit rester à la disposition de la justice car d'autres faits graves lui sont reprochés : insultes, incitation à la violence, incitation à la haine… «Il y avait surtout ce dossier de participation à un attroupement armé. On ne m'a pas donné d'explication. J'ai demandé à ce que mes avocats consultent le dossier. Mais apparemment ce dossier n'a jamais existé, il est vide», souligne notre interlocuteur. Malgré l'insistance de la justice pour qu'il reste en Tunisie, il s'envolera pour Paris dès janvier 2014 où il est en exil depuis. «J'en avais marre de passer mes journées entre les commissariats et les tribunaux. Je pense que j'ai fait le bon choix. En mai 2014, deux autres convocations sont arrivées chez moi, à Bizerte, venant de la brigade antiterroriste de Gorjani. Mes avocats se sont déplacés pour savoir ce qu'on me reprochait, on leur a répondu que les enquêteurs ne peouvaient rien dire avant de m'entendre personnellement. Deux mois plus tard, le tribunal militaire a envoyé des agents pour m'interpeller chez moi. Ils ont signalé à ma famille qu'un mandat d'arrêt international serait lancé contre moi. C'est pour cela que j'ai décidé de demander l'asile politique», se justifie-t-il. Avec cette solution, le Loup veut mettre un peu d'ordre dans sa vie personnelle et professionnelle. Sur le plan politique, particulièrement dans la perspective des prochaines élections municipales en Tunisie, il compte présenter des listes communes pour les deux partis pirates tunisiens : le courant qu'il préside et celui de Slim Amamou, l'autre très médiatique cyberactiviste.