Une imposante marche a eu lieu hier à Sétif. Une marche pour «la mémoire» qui a drainé beaucoup de monde. L'artère principale de la capitale des Hauts-Plateaux a été, hier matin, envahie par une marée humaine. Celle-ci est venue perpétuer la marche du 8 Mai 1945, qui a insufflé une nouvelle dynamique à la lutte du peuple algérien. En effet, ils étaient des milliers à avoir fait le déplacement pour non seulement emprunter le parcours d'une marche qui a changé le cours de l'histoire, mais aussi, réanimer la flamme de milliers d'indépendantistes morts pour que vive la nation algérienne libre et indépendante. C'est vers 9h45 que la marche s'est ébranlée depuis la mosquée Abadar El Ghifari, de la Cité de la gare où a été donné le coup de starter, un mardi 8 Mai 1945, pour s'acheminer vers le centre-ville. Plus précisément au lieu où est tombé Saâl Bouzid, le premier martyr d'un crime contre l'humanité. Celui-ci reste, 70 ans après, impuni et non reconnu, aussi bien en France qu'en Algérie, où les victimes de la boucherie sont injustement privées du statut de chahid. Accompagné par les autorités locales et des secrétaires généraux des Organisation des moudjahidine, des enfants de chouhada et d'une délégation de la Fédération de France, le ministre des Moudjahidine, Tayeb Zitouni, a déposé une gerbe de fleurs, puis s'est incliné à la mémoire des victimes de la tragédie qui fait encore date. Lu par le ministre, le message très attendu du président de la République a accouché d'une souris. Ayant occulté l'essentiel, le message de Bouteflika a non seulement déçu, mais aussi outré aussi bien le citoyen lambda que les parents et les proches des victimes : «Nous avons fait le déplacement pour rendre hommage aux victimes qui ont construit le printemps algérien en payant le prix fort. Nous sommes déçus par le message du chef de l'Etat qui s'apparente à un cours d'histoire, le Président a mis entre parenthèses tous les points essentiels. La commémoration du 70e anniversaire des massacres devait faire des suppliciés de Mai 1945 des chouhada reconnus par la République algérienne, et ce message est une offense aux sacrifices consentis. On ne pérennise pas la mémoire par le biais d'un déni qui perdure», déclarent, non sans amertume, des citoyens de Aïn El Kebira, Beni Aziz, Dehamcha et d'autres localités, venus par devoir de mémoire. Avant de ponctuer sa courte visite, le ministre des Moudjahidine se rend au stand de la philatélie puis à Aïn El Fouara pour écouter des chants de la chorale du secteur de l'éducation, il s'est déplacé au siège de l'Assemblée populaire de wilaya (APW) pour rendre hommage à des hommes (Ferhat Abbas, Belaïd Abdeslam, Messaoud Zeghar, Dr Mohamed Lamine Debaghine, Fodil El Ouartilani et d'autres personnalités) qui ont laissé leur empreinte à Sétif et ailleurs. Le ministre, qui avait déclaré en 2014 à Bouira que la question du statut des martyrs du 8 Mai 1945 était à l'étude, a éludé le sujet. Pour que les journalistes, ne caressant pas dans le sens du poil, n'importunent pas le ministre avec les questions qui fâchent, ses vigiles ont sévi une fois de plus. Ils ont, par ailleurs, tout fait pour que l'équipe de l'Unique puisse réaliser une bonne prise de vue. Mieux encore, le membre du gouvernement, pour qui les festivités officielles se résument à une activité protocolaire, a zappé la conférence organisée par la fondation du 8 Mai 1945. «Un fossé de la dimension d'un océan sépare les paroles et les actes de nos gouvernants, pour qui la mémoire n'est pas un sujet prioritaire ou stratégique. En faisant l'impasse sur la conférence du professeur Mohamed Korso (ex-président de la fondation du 8 Mai 1945), et sur le Colloque international sur les massacres coloniaux, le membre du gouvernement ne voulait pas, sans nul doute, être acculé par des membres de la société civile, s'expliquant mal les tergiversations de l'Etat algérien, qui refuse d'octroyer le statut de chahid aux victimes de ces massacres. En constatant la ferveur et l'engagement des associations, hommes politiques, historiens, intellectuels et écrivains français remuant ciel et terre pour amener l'Etat français à reconnaître les crimes commis en son nom, on a l'impression que les massacres du mardi noir sont mieux défendus à Paris qu'à Alger. Le constat est amer. Mais la réalité est palpable. Trouvez-vous normal que le 70e anniversaire d'un massacre soit confiné dans un petit programme de 48 heures ?» s'interrogent et tonnent de nombreux Sétifiens qui n'ont pas l'intention de lâcher prise…