Abdelkader Bensalah est devenu indésirable dans la maison RND. L'homme - numéro deux de l'Etat, président du Conseil de la nation, Chambre haute du Parlement - ne fait visiblement plus «l'affaire» au sein du Rassemblement. Le parti, qui porte toujours les traces jaunes du préfabriqué, veut changer de «tête». C'est du moins ce qui se chuchote dans les salons d'Alger. La question est : pourquoi ? Qu'a donc fait Abdelkader Bensalah pour être débarqué de cette manière presque humiliante ? Bensalah, qui représente le président Bouteflika dans pratiquement toutes les activités diplomatiques à l'étranger, n'est-il donc plus «l'homme de la situation» au sein du RND ? L'actuel secrétaire général de ce parti n'a pas caché son étonnement : «Vu ce qui se passe, je dirais, premièrement, que le RND vit une situation anormale. Les événements se succèdent très vite et les informations viennent de toutes parts. Personnellement, je n'ai reçu rien d'officiel affirmant ou infirmant telle ou telle orientation.» Pourtant, le RND vit figé dans la normalité et la passivité depuis sa création en 1997. C'est un parti qui ne propose rien, n'a aucune vision, pas de projet à défendre, pas de programme de gouvernance. Le seul discours accepté ou toléré dans ce parti est la critique systématique de l'action de l'opposition. Comme le FLN, le RND évoque «le complot étranger», «les menaces contre la stabilité» et «le danger de recourir à la rue». Donc, sur ce plan, Bensalah est plutôt «un bon élève» dans l'apprentissage de la dictée. Pas un mot de plus. Rien. Alors pourquoi devra-t-il partir ? A-t-il des «ambitions présidentielles» qui apparaissent sous sa tenue officielle ? Il se dit qu'Ahmed Ouyahia veut reprendre les commandes du RND. Là aussi une question : pourquoi reprend-il la direction du parti après l'avoir quittée ? Les membres du Conseil national auraient, paraît-il, signé un document «revendiquant» le retour d'Ahmed Ouyahia. Un document que personne n'a encore vu. Les nouveaux «soutiens» de l'actuel directeur de cabinet de la Présidence n'ont pas expliqué cette démarche supposée politique. «Je suis au courant de ces informations, mais je n'ai pas reçu les données confirmant ceci ou cela. Je vais me donner un peu de temps pour répondre à cette demande et pour prendre position», a confié Abdelkader Bensalah. L'actuel patron du RND donne cette impression d'être assis sur un fauteuil rouge au milieu d'une tempête blanche sans sentir l'accélération du vent et le mouvement des nuages. Il est «au courant», mais n'a «reçu aucune donnée». Le sort du RND se décide toujours ailleurs. Maintenu vivant sous les fenêtres à moitié closes du FLN, ce parti doit accepter, sans résister, l'orientation qu'on lui donne et qu'on lui impose. Obéissance Bensalah est convaincu que l'Algérie a besoin d'un RND «fort et stable». «La stabilité du RND conforte celle de l'Algérie. Il faut qu'on trouve toutes les formules pour maintenir l'unité du parti», a-t-il soutenu, appelant tout le monde au calme. Les mêmes termes, ou presque, ont été utilisés par Ahmed Ouyahia dans sa lettre de démission en janvier 2013. A l'époque, Ouyahia avait été forcé au départ après un mouvement de contestation au sein du RND. L'histoire est donc un éternel recommencement pour ce parti, meuble visible et poussiéreux dans la «maison» de l'obéissance. Ahmed Ouyahia, plusieurs fois chef de gouvernement sous Bouteflika, garde le silence depuis la fin des «consultations» sur le projet de révision de la Constitution. Il veille dans la discrétion au fonctionnement de la présidence de la République, mais semble pris par l'immense désir de revenir au devant de la scène. Ses partisans parlent à sa place, lui, il garde le silence, observe. Il se préserve probablement pour les prochaines échéances électorales. Comme personne ne parle, du moins pour l'instant, d'un cinquième mandat pour Bouteflika, Ahmed Ouyahia pense que le moment est venu de se mettre en piste avant qu'elle ne soit encombrée. Mais, cette lecture peut paraître trop facile. Ouyahia, «candidat idéal» du pouvoir pour succéder à Bouteflika est un scénario déjà évoqué, presque consommé. Immobilisme Et puis, le RND n'a pas le socle assez solide pour servir de rampe de lancement à un candidat à la magistrature suprême, du moins, dans l'état actuel des choses et des confusions. Depuis sa création, le RND est resté entre les mains de Abdelkader Bensalah et de Ahmed Ouyahia. Un jeu de ping-pong qui a fini par vider le parti de toute substance démocratique et de toute possibilité sereine de changement. Le conseil national n'a pas fait appel à un autre cadre du parti pour prendre la destinée du RND, comme si Ahmed Ouyahia aurait reçu cette formation en héritage familial. Cela peut s'expliquer par le fait que le RND refuse de sortir de la djellaba du régime et se transformer en une formation politique autonome. Le FLN, autre parti enchaîné, traverse, lui aussi, une crise. Abderrahmane Belayat mène une bataille à petites épées contre Amar Saadani, secrétaire général du parti, autour du 10e congrès, prévu à la fin de ce mois. Ce congrès tardif doit consacrer «la méthode» Saadani dans la gestion de l'ex-parti unique. Autrement dit, soutien total au programme de Bouteflika et demande officielle pour diriger le gouvernement au nom de «la majorité parlementaire». Saadani, arrivé à la tête du parti dans des conditions contestables, garde le cap sans se soucier des attaques du groupe de Belayat, étant assuré de garder les codes d'accès au Palais et les clés du jardin. L'administration n'a pas tenu compte de la contestation interne et a autorisé la tenue du congrès. Le RND et le FLN, habitués aux crises permanentes, s'adaptent et continuent d'avancer dans les vapeurs du non-sens, comme si de rien n'était. Tout compte fait, cette agitation autour des deux partis du pouvoir sert, quelque part, à meubler les vides d'Alger. Il n'y a presque plus de débat politique sérieux en Algérie. Les partis et les personnalités de l'opposition tentent péniblement de proposer des idées à débattre surtout sur l'avenir d'un pays menacé par l'immobilisme des institutions, par l'effondrement des cours pétroliers, par l'absence de perspectives économiques, par la crise du chômage, par la corruption et le gaspillage des deniers publics, par l'instabilité politico-sécuritaire dans la région sahélienne… Le report ou l'annulation du projet de révision constitutionnelle attribué au président Bouteflika a accentué l'ampleur de la vacuité nationale. Donc, il faut meubler par les fausses polémiques ou par les fausses crises. Jusqu'à quand ? Toute comédie a une fin. Mais, la fin d'une comédie est moins grave, plus supportable, que le début d'une tragédie…