Décès de l'ancien journaliste de l'APS, Mohamed Bakir : le ministre de la Communication présente ses condoléances    29e édition du Prix du 1er Novembre 1954 : le ministère des Moudjahidine distingue les lauréats    Le ministre de la Santé se réunit avec le SNMGSP    Commission intergouvernementale mixte algéro-russe: signature de 9 accords et mémorandums d'entente dans plusieurs domaines    Tébessa: Le rôle des jeunes dans le développement des régions frontalières souligné    Championnat arabe de la course d'orientation: Alger abrite la 1e édition du 1er au 5 février    Football: Ahmed Kharchi seul candidat à la présidence de la LNFA    Foot/Ligue 1 Mobilis: Djezzy signe une convention de sponsoring avec l'US Biskra    Algérie/Mauritanie: Sonatrach signe un mémorandum d'entente avec la SMH pour le renforcement de la coopération énergétique    ONPO: le coût du Hadj fixé cette année à 840.000,00 DA    Constantine: Plus de 400 tonnes d'aides humanitaires collectées pour le peuple palestinien à Ghaza    Agrément à la nomination de la nouvelle ambassadeure d'Algérie à Oslo    La coopération bilatérale au centre des entretiens de Arkab avec le vice-ministre russe de l'Energie    Le Maroc empêche la visite de parlementaires basques au Sahara occidental    Les employés de l'UNRWA quittent leurs bureaux à El-Qods occupée en vertu d'une loi sioniste    Pluies orageuses attendues sur des wilayas de l'Ouest à partir de jeudi soir    « L'appel à l'expulsion des Ghazaouis est une tentative désespérée et injuste »    «Le recensement vise à atteindre plusieurs objectifs politiques stratégiques»    Les moyens de renforcer l'efficacité énergétique examinés    Signature d'un protocole de coopération en matière de formation policière    Fédération tunisienne de football : Moez Nasri élu nouveau président    Le sélectionneur algérien plus objectif dans ses analyses    Débâcle des Verts au Mondial de hand : Les pouvoirs publics interviennent    Le Général d'Armée Saïd Chanegriha reçoit le SG adjoint délégué pour les affaires politiques et la politique sécuritaire de l'Otan    «Nous sommes maîtres chez nous !»    Poutine était prêt à rencontrer Zelenski au printemps 2022    Saisie de 1.700 kg de kif traité et 441 comprimés de Prégabaline 300 mg    A Monsieur le président de la République    A Monsieur le président de la République    Des milliers de déplacés au Darfour-nord en raison d'une escalade des attaques des FSR    Sansal, le Cercle algérianiste et le plan de partition de l'Algérie    Une commune en plein chantier    Arrivée à Skikda, la troisième halte    Tizi-Ouzou: la caravane Jeunesse et Mémoire nationale sur les traces des "novembristes"    Développement et modernisation de la capitale: une séance de travail consacrée au Plan blanc    Elaborer une stratégie nationale aux contours clairs        L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Un apache freudien
Hommage au professeur Abdelkader Hagani
Publié dans El Watan le 07 - 09 - 2006

Un faire-part dans le Quotidien d'Oran du lundi 4 septembre. Quelques lignes annonçant le décès du professeur Abdelkader Hagani. Flash de douleur inouïe.
Et pas même la pauvre illusion qu'il puisse s'agir d'un homonyme puisque sa photo est là. Ce visage où brille l'intelligence, ce visage qui a vieilli sans perdre un pouce de son adolescence, ce visage où la fragilité le dispute à une terrible force, ce visage où percent des yeux profonds évoquant ceux d'Anthony Perkins, des yeux perçants sans jamais agresser, qui lisaient avec profondeur mais pudeur dans l'âme des autres, lumières de cet homme lumineux, instruments aussi, utiles à son métier de psychiatre. Puis, le temps de se reprendre, de téléphoner à Oran, d'apprendre qu'il y était venu en vacances. Vacances ? Mot déplacé pour dire encore une fois qu'il était revenu sur les traces de sa vie, de sa ville, où son cœur et son esprit continuaient à battre, même après qu'il se soit installé à Perpignan, physiquement et professionnellement. Apprendre qu'il s'était rendu au marché Michelet, juste au bas de l'immeuble Antinéa qu'il avait si longtemps habité, quelques courses parmi ces marchands qui le connaissaient tous. Une glissade, le choc à la tête, le coma et voilà… Abdelkader n'est plus, et il mérite bien plus qu'un faire-part. Au milieu des années 1980, alors que je réalisais pour Algérie-Actualités une enquête sur la naissance du raï, il m'avait proposé de l'accompagner à ses gardes nocturnes à l'hôpital d'Oran, au fameux pavillon « 35 » que d'aucuns confondaient avec le médicament au nom presque identique. « Tu devrais voir ce que c'est, m'avait-il dit, en tant que journaliste et en tant que personne. » Et j'avais passé ainsi avec lui et ses collègues quelques nuits au milieu de la détresse humaine qu'on appelle folie. Des nuits gravées dans ma mémoire, la découverte des confins de la raison et de leur au-delà. Le journaliste en était sorti édifié, l'homme bouleversé. Kader avait pour lui une connaissance approfondie de la psychiatrie. Il avait tout lu sur la question ou presque. Mais il avait lu aussi tout ce qui compte des autres disciplines : la philosophie, la sociologie, la biologie, la critique d'art, l'histoire, la littérature… Son érudition, toujours discrète, souvent servie avec humour, me fascinait. Il était capable de passer de Freud à Ibn Arabi, de Hegel à Gramsci, d'El Farabi à Shakespeare, de Braudel à Djallal Edinne Rumi avec une incroyable aisance, citant des passages précis, toujours exact dans ses références. Sans compter ce qu'il maîtrisait en dehors des savoirs livresques, imprégné qu'il était de notre culture orale : proverbes, qacidate, poésies de geste, chants mystiques, etc. De ce point de vue, mon admiration était acquise. Mais à le voir au milieu de ses patients, décryptant patiemment leurs douloureux délires, les amenant doucement à « se dire », cherchant l'abcès de leur mental, diagnostiquant enfin avant de prendre le temps d'expliquer ses conclusions aux étudiants comme aux infirmiers, tout cela m'avait convaincu de sa capacité à mettre en œuvre un savoir à la fois précis et étendu. Pour « soigner », il mettait à profit l'ensemble de ses connaissances. Je lui avais parlé de l'éternel conflit entre psys : psychiatres contre psychologues, psychanalystes contre ces deux premiers, etc. Qu'en pensait-il ? Je ne me souviens pas dans le détail de sa réponse, longue et argumentée. Mais j'en avais retenu qu'il fallait surtout distinguer les querelles de corporation des débats de fond. Pour lui, aucune de ces trois pratiques ne pouvait à elle seule prétendre traiter la souffrance et les troubles de l'esprit humain. Elles n'étaient que les brouillons d'une discipline à venir qui prendra en charge de manière plus complète le mental humain à la faveur de leur éventuel rapprochement et des futures découvertes de la neurobiologie. De fait, l'ayant vu à l'œuvre, j'avais constaté, pour autant que mon ignorance en la matière m'autorisait à le faire, qu'il utilisait les ressources de ces trois voies, combinant selon chaque cas, l'écoute, la pharmacothérapie et, dans les limites d'une relation en milieu hospitalier, l'interprétation psychanalytique ou du moins ses repères. C'était un praticien, et il aimait son métier. Et, si l'on peut regretter aujourd'hui que sa passion, son attachement aux malades mais aussi son humilité ne l'aient pas amené à publier, je ne peux m'empêcher de penser que le soulagement qu'il a su, momentanément ou durablement, apporter à ses patients, est aussi une œuvre, humaine avant tout, éphémère donc, mais une œuvre quand même, infiniment respectable. Dans le couple extraordinaire qu'il formait avec Zoubida Hagani qui nous a quittée il y a quelques années, il jouait un rôle aussi important que celui de cette femme qui fut et reste une grande âme d'Oran. Ils étaient imprégnés de nos meilleures traditions d'hospitalité, et il n'est pas, je pense, une maison en Algérie qui ait accueilli, comme la leur, autant de grands noms de la pensée et de l'art. Aujourd'hui encore, je me demande comment leur salon de l'Antinéa pouvait accueillir, en dépit de son étroitesse, cette incroyable quantité de personnes de qualité : écrivains, musiciens, universitaires, peintres, médecins, étudiants, poètes, chercheurs… Quand j'entends le proverbe algérien qui stipule que « l'exiguïté est d'abord dans les cœurs », c'est d'abord à cet endroit que je pense. Il fut un haut lieu de spiritualité et de savoir ainsi que le réceptacle d'une convivialité entendue comme un art de vivre. Dans cette pièce où trônaient une vieille amphore et une horloge à pendule, chaque soir ou presque se jouaient le combat de l'éternité et du temps, l'affrontement joyeux des idées, la connaissance acharnée du monde, les palpitations d'une Algérie assoiffée de vérité et de bonheur, riche de ses racines insoupçonnées. Kader, à l'inverse de Zoubida — rayonnante, expansive, chaleureuse —, se tenait toujours en retrait, fidèle à son personnage sinon distant. Elle était une pasionaria. Il était un sage. Il n'en disait pas beaucoup mais quand il le disait, ses propos avaient le poids de sentences. On ne pouvait plus continuer à discuter avant qu'il n'ait parlé. Il était une sorte d'apache freudien doté d'une culture universelle, réfléchissant à grande vitesse, économe de ses mots mais efficace par ses flèches qui pénétraient au-delà des mots. Dans ce salon qui avait incarné le dynamisme intellectuel et artistique d'Oran dans les années 1980, Kader et Zoubida se complétaient comme ils le firent dans leur vie privée, notamment auprès de Ghislaine et Sarah, leurs deux filles. La perte d'un ami est toujours dure. Celle d'un ami que l'on a n'a pas vu depuis longtemps est un drame où se mêlent regrets et, quoiqu'on fasse, culpabilité. Comment qualifier alors celle d'un ami qui, de plus, n'a pas eu la reconnaissance qu'il méritait comme un des esprits les plus cultivés de ce pays, comme un médecin attentionné et compétent des âmes, comme enfin un homme de bien et de cœur ? Serait-ce l'incontournable destin d'une génération qui a glissé sur le temps comme glisse un homme de bien et de cœur sur des épluchures de légumes, dans la terrible dérision d'un pays qui n'a pas su, pas pu ou pas voulu en tirer le meilleur ? Kader était revenu à ses racines. Ses racines l'ont emporté. Notre mémoire le gardera.

Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.