La rentrée des enfants scolarisables pas encore entamée, que la course à la dérogation d'âge bat son plein. Des parents – par ignorance bien souvent – se démènent pour inscrire leur enfant en première année du primaire alors qu'il n'a pas l'âge. Ils ne se rendent pas compte des risques encourus par une scolarisation précoce. Ils vous rétorquent avec aplomb « mais mon fils (ou ma fille) sait compter jusqu'à vingt. Il déchiffre et transcrit l'alphabet ». Comme si la mémorisation visuelle ou auditive pouvait servir d'apprentissages solides et conscients. De tels concepts (les lettres, les nombres) sont simples pour l'adulte mais difficiles d'accès pour un enfant de cet âge. Parmi les préliminaires de l'apprentissage de la lecture – la reine des disciplines au primaire – il y en a une qui doit nous inciter à la retenue en matière de dérogation : c'est le niveau d'âge mental atteint par l'enfant. A moins de six ans, tous les préliminaires indispensables ne sont pas encore en place. L'enfant – et c'est une règle sage à respecter, à moins d'un bilan d'évaluation prédictive – n'est pas mûr pour affronter les apprentissages de base que sont l'écriture, la lecture et le calcul. Dans certains pays, l'âge d'entrée à l'école est retardé à sept ans. Entre-temps, c'est l'éducation préscolaire avec sa pédagogie spécifique qui assure la préparation de l'enfant au « grand choc ». A la source de la lecture se trouve la capacité de parler. Pestalozzi, grand pédagogue devant l'éternel, disait : « Il faut apprendre à parler avant de lire ». D'abord, familiariser l'enfant avec le symbolisme au premier degré qui fait associer le signe sonore avec l'idée véhiculée. Sans rentrer dans le détail technique des différentes étapes qui amènent progressivement à la lecture, il est bon de citer les préliminaires importants qui fondent l'acte de lecture. —L'audition et la vue doivent être normaux pour entendre et visualiser. — L'organisation du temps et de l'espace qui le feront se repérer par rapport aux objets et maîtriser son schéma corporel. — Une maîtrise neuromotrice nécessaire à la mobilisation d'un seuil minimal d'attention et de concentration. Nous savons que les enfants d'âge préscolaire remuent et bougent beaucoup : ce qui nuit à la pratique de la lecture qui exige une fixation de l'attention. — Une maîtrise du geste qui lie l'apprentissage de la lecture à celui de l'écriture. D'autres conditions et pas des moindres sont requises. De celles qui épousent et évoluent avec l'âge mental. Il s'agit du développement des fonctions intellectuelles, telles que l'aptitude à l'analyse (tant visuelle qu'auditive et fonctionnelle), l'aptitude à la synthèse (capacité à associer phonèmes et syllabes) et par-dessus tout, l'acquisition de la fonction symbolique. A voir ce véritable « cahier des charges » auquel tout enfant doit répondre avant de rentrer à l'école, on ne peut que sourire et parfois se mettre en colère devant l'acharnement de certains parents à déroger aux règles élémentaires de la nature enfantine. D'ailleurs, toutes les études menées depuis des décennies ont montré que dans les échecs scolaires la majorité se recrute parmi les élèves qui ont été poussés par leurs parents vers le portail d'entrée de l'école à un âge précoce. A bon entendeur salut !