Le pouvoir n'a plus comme cap, aujourd'hui, que la mise en place des instruments de succession à Bouteflika. Mais pressé par le temps, il agit de plus en plus de manière expéditive et brutale. Aussi a-t-il vite liquidé les trois dossiers les plus lourds de son règne, en souffrance au niveau de la justice, en les faisant défiler en des temps records, puis en les vidant de leur substance. Les vrais responsables des affaires de corruption sont passés entre les mailles du filet, laissant par la même entre les mains des juges des lampistes exposés à de lourdes peines. Des deals ont été tacitement conclus, les plus productifs avec Khalifa Moumen et Chakib Khelil, tandis que des ministres et de hauts dignitaires du régime ont été «préservés» de la barre des accusés. Qu'importent les atteintes aux procédures et aux droits des accusés, l'essentiel est que les affaires Khalifa, Sonatrach et autoroute Est-Ouest ne viennent plus polluer la transition vers la succession. En même temps, au plan politique, le pouvoir a tranché dans le vif. Sur intervention directe du président de la République, le FLN a été livré avec armes et bagages à Amar Saadani, personnage fantasque mais serviteur du régime parmi les plus zélés, rempart contre tout ennemi réel ou supposé (dans la société civile, la presse indépendante et l'opposition politique). Pour ne pas qu'il soit rattrapé par des dossiers scabreux (foncier de Djelfa, biens et avantages en France), Amar Saadani a eu besoin du parapluie de Bouteflika. Il aura également besoin du soutien de son successeur dont on ne connaîtra le nom qu'à la toute dernière minute, quand Bouteflika aura achevé les arrangements entre les différents pôles de décision. Pour l'heure, il met en confrontation deux personnalités, Ouyahia ou Sellal, le premier auquel a été «rendu» le RND pour qu'il puisse agir sur la scène politique, le second «introduit» au FLN afin qu'il bénéficie de son sponsoring le moment voulu. Ouyahia a une longueur d'avance du fait de son expérience politique et managériale, mais Sellal a l'avantage d'une fidélité à toute épreuve adossée à une certaine «fraîcheur politique» qui le rend consensuel. Reste la population. Dans une tradition bien ancrée depuis l'indépendance, elle n'aura qu'à plébisciter le choix opéré par Bouteflika et avalisé par les autres décideurs, notamment militaires. Le FLN s'y prépare, avec la nouvelle force de frappe issue de son dernier congrès : plus de 500 membres au comité central (à faire pâlir les Bolcheviks) et des structures disséminées dans tout le pays. Idem du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales qui, comme d'habitude, répondra présent pour «orienter» les chiffres. Reste une inconnue, un grain de sable qui pourrait détruire cet engrenage infernal : la crise économique. Elle ne semble, pour l'instant, inquiéter le pouvoir que sur quelques effets secondaires alors qu'elle est profondément structurelle : elle remet en cause l'ensemble du modèle économique en cours, basé sur la rente pétrolière, abondante et facile d'accès. La fameuse paix sociale a été gagnée depuis le début du siècle par une redistribution de la rente, laquelle est montée en cadence d'année en année pour atteindre des sommets à l'apparition du Printemps arabe. Des conséquences politiques majeures apparaîtront si cette paix sociale est sérieusement remise en cause et si les intrigues de palais continuent de prendre le pas sur les profondes aspirations populaires. Des régimes bien plus sophistiqués que le pouvoir algérien sont tombés comme des châteaux de cartes lorsque la population a crié sa colère et investi la rue. L'histoire est là, têtue, pour nous rappeler cette leçon. Octobre 1988 a joué ce rôle chez nous, un basculement de l'histoire que Bouteflika a ignoré et méprisé.