Le cinéma jordanien revient à grands pas. Un cinéma novateur, frais, contemporain et décomplexé. Theeb (Le chacal), la nouvelle fiction de Naji Abu Nowar, confirme cette tendance. En compétition au 8e Festival international du film arabe d'Oran (Fiofa), le long métrage a été projeté vendredi après-midi à la salle Maghreb, en présence d'Ibrahim Abdelaziz, représentant de la société égyptienne qui diffuse le film dans les pays arabes. Le réalisateur n'a pas pu faire le déplacement car pris par d'autres engagements. Naji Abu Nowar est allé dans la région désertique de Wadi Rom, au sud de la Jordanie, pour tourner une histoire humaine et dense liée à des faits historiques. En 1916, à l'époque ottomane et en pleine guerre mondiale, un officier britannique (Jack Fox) débarque chez des bédouins et demande à être guidé vers un puits abandonné. Cela suscite l'intérêt de Theeb (Jacir Eid), à peine âgé d'une douzaine d'années. Il observe le «soldat blond» de près, ses faits, ses gestes, ses paroles et ses colères. Theeb, qui se rappelle des enseignements de son père Cheikh Mahmoud, suit son frère Hussein lorsque il prend le chemin des dunes et des espaces ouverts. Le film prend l'allure d'un road-movie dans lequel les dromadaires remplacent les voitures. Le metteur en scène prend un grand plaisir à filmer les décors fabuleux de Wadi Rom avec des montagnes aux couleurs gris et ocre, du sable jaune-orange et des roches blanches et noires. Le silence est exploré dans ce film. Autant que la vie naturelle entre air, soleil et manque d'eau. Pourquoi donc ce soldat blond, qui débarque comme un intrus dans un univers naturellement équilibré et apaisé, veut-il arriver à un puits ? L'envahisseur blanc n'a-t-il pas perturbé des ensembles humains, culturels et naturels au Moyen-Orient et en Afrique ? N'a-t-il pas semé le désordre et la violence là où il est passé ? La violence est justement présentée le long de cette fiction à travers des brigands habillés en noir, qui attaquent le convoi de «Theeb». L'enfant échappe miraculeusement et tente de survivre seul avant qu'un homme blessé arrive... L'histoire prend alors une autre allure. Pour donner de l'authenticité à ses personnages, Naji Abu Nowar a choisi des bédouins pour interpréter tous les rôles. Réussite totale. Tous les personnages sont vrais dans leur caractère, interprétation et expression. Ils parlent le dialecte arabe saharien de Jordanie. Ce qui leur donne davantage de force et de présence à l'écran. Le cinéaste et son équipe sont restés, selon Ibrahim Abdelaziz, huit mois dans la région de Wadi Rom pour coacher les comédiens et s'adapter au climat. Les images du désert sont merveilleuses, accompagnées parfois d'une musique poétique. Le montage est fin, ne laissant échapper aucune faille. L'esthétique d'ensemble est saisissante. Autant que la profondeur du récit et les réflexions qu'il suggère, notamment sur le présence ottomane dans la région arabe et la révolte des bédouins contre les Turcs. La froideur coloniale y est également suggérée par le soldat britannique qui ne dégage presque aucune humanité et qui n'est intéressé que par sa «mission» militaire. Après «Theeb», le désert, ses reliefs, ses dunes et ses roches s'est imposé comme le deuxième principal personnage du film. Le désert ne bouge pas, les hommes changent. Le désert résiste aux épreuves du temps, les hommes meurent. Il y a dans Theeb un peu de western, de l'aventure, de l'intrigue... Bref, du cinéma actuel servi par un regard pointilleux du cinéaste. Ce n'est évidemment pas un autre Lawrence d'Arabie de David Lean (1962), mais une manière visuellement soignée de questionner une époque historique importante et sensible du monde arabe. L'angle retenu par le cinéaste est parfait puisqu'il évite et contourne le propos politique pour se lancer dans la vacuité du désert, là où toutes les interrogations sont permises. Le scénario écrit par Bassel Ghadour et Naji Abu Nowar a pris en charge toutes ces complexités pour offrir une belle histoire. Theeb a déjà décroché neuf distinctions dans plusieurs festivals internationaux comme à Venise, Le Caire, Belgrade et Londres. A Oran, le film, selon les critiques sur place, est sur une bonne place pour décrocher un prix, peut-être le plus important. Theeb est déjà sorti dans les salles en Egypte, aux Emirats, en Jordanie et au Liban. Dans ces quatre pays, le film a enregistré des records d'audience jamais égalés ces dernières années. Le distributeur égyptien souhaite programmer Theeb dans certaines salles en Algérie.