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DMZ : à la frontière du réel
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Publié dans El Watan le 07 - 06 - 2015

Qui ne souhaite pas mettre les pieds dans ce lieu historique qui sépare les deux Corées et où les soldats des deux armés se regardent en des chiens de faïence depuis 62 ans ?
DMZ.Cet acronyme de «Demilitarized zone» (zone démilitarisée) est sans doute l'un des plus célèbres ici et du dictionnaire géopolitique du monde.
Créée le 23 mars 1953, cette bande de terre longue de 248 km et d'environ 4 km de large et le dernier vestige de la Guerre Froide qui sépare à hauteur du 38e parallèle la Corée du Sud de sa voisine du Nord, après la signature de l'armistice de Panmunjeom.
En arrivant sur place, après environ 50 km de route vers le nord depuis Séoul, le 20 mai dernier, on avait cette sensation de replonger dans l'histoire tourmentée de la péninsule. Check-points à intervalles réguliers, des grilles et des barrières ininterrompues, des soldats sud-coréens et multinationaux postés un peu partout, des nez de mitrailleuses, notre autocar semble déchirer le silence grave qui règne dans cet endroit que les experts qualifient de «plus dangereux de la planète». Droits dans nos bottes vers la frontière du réel et de l'irréel aussi ; 62 ans après la fin de la guerre de Corée et 26 ans après la chute du Mur de Berlin.
Halte au Camp Bonifas, le quartier général du Commandement de la force des Nations unies, où des officiers nous accueillent et nous dictent la conduite à tenir face aux militaires nord-coréens postés à une portée de fusil.
Le jeu de la mort
Un militaire prend le volant d'un autre autocar et nous invite à embarquer non sans nous donner quelques ordres et nous mettre en garde des dangers potentiels. Nous, les journalistes, écoutons attentivement mais sommes plus ou moins inquiets. Sait-on jamais… Chemin faisant, le chauffeur-soldat s'arrête régulièrement à hauteur d'un lieu témoin d'un fait historique, d'un accrochage violent entre les deux armées coréennes. Il explique, l'air martial, ces faits comme ajoutant un peu de gravité à notre voyage initiatique.
Et pour cause, des deux côtés de cette route à deux voies qui monte, descend, puis remonte sur cette petite colline, nous apercevons de troupes, des miradors et des tanks.
Cette base militaire de Panmunjeom, qu'on appelle aussi «le Village de la Trêve», est assurément une terre explosive, parsemée de mines et grouillant de troupes prêtes à faire feu. Cela glace le sang parfois quand on se dit, et si l'armée de Kim Jong-un tente le diable, là toute de suite… ?
Et comme pour rajouter un peu à cet univers hitchcockien, le bus s'arrête devant un petit terrain de golfe de la base où une plaque attire l'attention : elle met en garde les joueurs de ne pas aller rechercher les balles perdues dans ce terrain verdoyant situé au milieu d'un champ de mines cerclé de barbelés…
Les golfeurs intrépides sont expressément invités à signer une décharge reconnaissant qu'une «blessure grave ou la mort» font partie des risques du jeu. Une sorte d'acte de décès par anticipation. Eh oui, une balle perdue ici par un sud-coréen, c'est une balle de gagnée pour son voisin nord-coréen.
On raconte ici qu'un militaire américain a été tué comme cela en 1974. En perdant sa balle de golfe, il en a reçu une autre de plomb. Nous voilà enfin au QG de la Joint Security Area (JSA) qui abrite le siège de la Commission militaire d'armistice chargée de faire appliquer les termes de l'accord de cessez-le-feu.
Les deux Corées en face à face
Cette zone commune de sécurité est coupée en son milieu par une Ligne de démarcation militaire (LDM) de 80 m qui forme la vraie frontière entre la Corée du Sud de celle du Nord. Deux édifices se font face des deux côtés de la frontière. Il y a de notre côté un bâtiment moderne en verre baptisé «Maison de la Liberté» qui abrite le siège des troupes sud-coréennes de la JSA. En face, se dresse le «Panmungak», un édifice style soviétique et austère qui abrite le QG des forces nord-coréennes, baptisé ironiquement «Maison de la paix».
Au milieu, sur la ligne de démarcation se trouve un ensemble de baraques bleues qui servent de lieux de négociations entre les responsables des deux pays. A l'intérieur, séparés par une simple vitre, les soldats des deux côtés se regardent, pour de vrai, en chiens de faïence. Là, je me suis rappelé la réaction mi-apeurée, mi-amusée d'Hillary Clinton sur ce même lieu face au regard belliqueux d'un soldat nord-coréen posté juste derrière la vitre, qu'elle a raconté dans ses mémoires intitulés Hard choices.
On se dit, en effet, qu'il suffit d'un geste maladroit, d'un regard oblique pour que la guerre reprenne. C'est sans doute le lieu le plus tendu au monde. Direction le poste de contrôle 3, point d'observation stratégique situé sur une colline qui donne sur la Corée du… Nord. De là, on aperçoit le «Pont du non-retour» qui sépare les deux pays et que traversaient naguère les prisonniers des deux camps et des familles lors des échanges de visites ces dernières années.
Au loin, apparaît le «Village de la paix» nord-coréen, Kijong-Dong, au-dessus duquel flotte un énorme drapeau nord-coréen hissé à 160 mètres au-dessus du sol. Le village se veut être une vitrine moderne de ce qu'est le pays de Kim Jong-un. Mais au télescope, ces grands édifices en trompe-l'œil sont affreusement vides.
Un simple décor d'un film d'horreur qui se joue derrière cette façade plutôt clinquante. Une ruse de guerre ? Sans doute que le régime nord-coréen a édifié ces leurres pour maquiller la réalité d'un pays damné par la terreur et la famine. Les Sud-Coréens sont convaincus qu'il s'agit d'un village fantôme.
Ils savent aussi que le «Village de la paix» cache dans ses entrailles des bataillons entiers de soldats de Kim Jong-un, prêts à faire feu à tout moment. Pour autant, ce plus dangereux lieu de la planète accueille paradoxalement plus de 100 000 touristes étrangers chaque année !
Un pèlerinage presque mythique, où le meilleur côtoie allègrement le pire. Jusqu'à quand ? C'est une chinoiserie à laquelle les Sud-Coréens n'ont pas trouvé de réponse. Mais ils en connaissent un bout…


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