L'AKP a certes remporté les élections législatives de dimanche. Néanmoins, il ne s'agit que d'une victoire étriquée, puisque le parti de la mouvance des Frères musulmans a perdu sa majorité absolue au Parlement. Ce revers pourrait annoncer le début de la fin de sa domination de la scène politique turque. Une domination qui dure depuis 2002. Selon les résultats définitifs, l'AKP n'a recueilli en effet que 40,7% des suffrages et 255 sièges de députés sur 550. Pour de nombreux observateurs, le recul enregistré par le parti de la mouvance des Frères musulmans ne peut s'expliquer que par le virage autoritaire pris par Erdogan depuis 2011 et son désir maladif de fusionner les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. L'image de l'AKP aurait été ternie aussi par les tentatives de bâillonnement des médias, les scandales de corruption, la baisse de la croissance économique et la gestion calamiteuse du dossier syrien par le gouvernement. Le seul parti qui a su véritablement tirer son épingle du jeu dans cette élection est le Parti démocratique du peuple, le HDP, qui a raflé 12,9% des voix. Cette formation kurde a passé allègrement la barre des 10% nécessaires pour être représentée au Parlement, puisqu'elle a obtenu 80 sièges. «Nous avons remporté une grande victoire (...) Ceux qui veulent la liberté, la démocratie et la paix ont gagné, ceux qui veulent l'autoritarisme, qui sont arrogants et qui se considèrent comme les seuls détenteurs de la Turquie ont perdu», s'est exclamé le chef de file du HDP, Selahattin Demirtas, lors d'une conférence de presse. Choix coûteux Le HDP comptait jusque-là 29 sièges dans l'assemblée sortante, élus sous l'étiquette «indépendants» pour contourner le seuil des 10%. Ce succès a pris des allures de revanche pour Selahattin Demirtas, qui a subi pendant des semaines les attaques du gouvernement. M. Erdogan l'a traité d'«infidèle» après qu'il eut proposé de supprimer les cours de religion obligatoires à l'école, ou encore de «pop star» parce qu'il joue du saz, une sorte de luth kurde. Les deux autres principaux concurrents du parti au pouvoir, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) et le Parti de l'action nationaliste (MHP, droite), obtiennent respectivement 25,1% et 16,45% des voix, soit 133 et 82 sièges. Autant dire que la défaite est sévère pour Recep Tayyip Erdogan, qui avait fait de ce scrutin un référendum autour de sa personne et un rendez-vous politique important de son mandat. Elu Président en août dernier après avoir été pendant 12 ans Premier ministre, il visait la présidentialisation du régime. Pour y parvenir, son parti devrait totaliser au moins 330 sièges pour faire passer une réforme de la Constitution. Dans l'immédiat, ce projet paraît donc compromis. Maintenant, l'important dilemme que doit résoudre Erdogan est de trouver un allié politique pour gouverner, étant donné qu'il ne peut plus le faire seul. Le MHP est sa première option, mais ce parti nationaliste ne fera aucune concession sur la question des Kurdes. Le CHP offrirait une alliance plus difficile à construire et serait au contraire beaucoup plus exigeant sur les droits des Kurdes. Le HDP a, quant à lui, exclu dès dimanche soir toute alliance avec l'AKP. Reste une autre option : convoquer des élections anticipées. Mais quel que soit le choix qui sera fait, il risque d'être politiquement coûteux pour Erdogan et son parti. Un climat de fin de règne s'est installé en Turquie.