La période dorée de l'AKP, le puissant parti turc, serait-elle en train d'être consommée dans un pays devenu en une dizaine d'années un acteur d'importance à de multiples échelons ? L'AKP perd la majorité absolue dans des législatives particulièrement attendues et scrutées par les observateurs. Le président charismatique Recep Tayyip Erdogan avait fait de ce scrutin un véritable référendum autour de sa personne et de sa proposition de «présidentialiser» le système politique en vigueur. Le résultat ressemble à un affront tellement le Président paraissait confiant et assuré du résultat des urnes. Une véritable sanction populaire dirait les partis d'opposition. Dans le détail le parti AKP obtient 41% des voix, et 259 sièges dans un Parlement qui en compte 550. Suivent le CHP, social-démocrate, avec 25% des voix et 131 élus, le MHP nationaliste (16,5% des voix et 82 élus), ainsi que le parti kurde HDP (12,6% et 78 élus). Le parti d'Erdogan bien qu'arrivé premier, se verra désormais obligé de composer avec d'autres sensibilités pour avoir une majorité. Un résultat qui pourrait être considéré comme un revers pour l'ombrageux chef de l'Etat. Au pouvoir depuis treize ans, Recep Tayyip Erdogan espérait une large victoire de son parti dans l'objectif de renforcer sa politique dans le pays. Cala a parfaitement fonctionné depuis 2002. Vainqueur de tous les scrutins, le parti pour la justice et le développement, AKP, se présente pour la première fois affaibli face aux Turcs. Les difficultés de l'économie et les critiques sur sa gestion du pays, jugée autoritaire semble avoir eu de l'effet sur le choix des électeurs. Face à ces résultats n'allant pas dans le sens voulu, le Président turc va devoir entamer des négociations pour former une coalition. L'épineux dossier syrien La grande surprise aura été la percée du parti kurde HDP, avec un score sans précédent. L'avancée d'un parti kurde à ce niveau de la politique en Turquie n'est pas chose ordinaire. Le parti HDP fait finalement figure de véritable vainqueur de ce scrutin. «Nous avons remporté une grande victoire. Ceux qui veulent la liberté, la démocratie et la paix ont gagné, ceux qui veulent l'autoritarisme, qui sont arrogants et qui se considèrent comme les seuls détenteurs de la Turquie ont perdu», la déclaration du chef de file du parti kurde, Selahattin Demirtas, est symptomatique des turbulences à venir qui ne manqueront pas de faire tanguer le bateau AKP et l'aplomb de Erdogan. Le parti kurde avait mené une campagne très marquée anti-Erdogan ce qui, semble-t-il, lui a permis d'élargir son audience au-delà de la seule communauté kurde (20% de la population turque). Son parti obtient 79 sièges. Une première dans l'histoire de la Turquie avec toute la symbolique liée à la question kurde. Le parti interdit PKK, du notoire Abdullah Ocalan, reste en embuscade même si l'appel à déposer les armes reste en vigueur. Les images des manifestations de joie des populations dans la grande ville Diyarbakir ont fait le tour des télévisons internationales. Contrastant avec les satisfécits contraints de Ahmet Davutoglu, le leader de l'AKP. Ainsi la réforme de la Constitution restera probablement en suspens et sera au centre de vifs débats politiques et médiatiques. En perdant la majorité absolue, le Président turc voit ses espoirs de modifier la Constitution du pays s'amincir, voire compromis. Recep Tayyip Erdogan, figure marquante de la politique turque depuis au moins une dizaine d'années, a littéralement mis la main dans la farine durant la campagne pour que son parti obtienne au moins 330 des 550 sièges du Parlement. Alors que la Constitution lui impose une stricte neutralité, le chef de l'Etat a réclamé, pendant des semaines «400 députés» pour changer le système parlementaire actuel qu'il trouve restrictif. Depuis son élection à la tête du pays, en août dernier, Recep Tayyip Erdogan, qui était auparavant Premier ministre, vise la présidentialisation du système et le renforcement des pouvoirs du chef de l'Etat. Pour y parvenir, son parti devait absolument arracher la majorité au Parlement, afin de faire passer la réforme. Ce revers électoral d'Erdogan, qualifié par ses détracteurs de «nouveau sultan», pourrait annoncer bien des turbulences dans le processus de changement prôné par l'AKP. Cependant malgré les tumultes qui ne manqueront pas de se manifester dans un proche avenir, la Turquie avec ses 80 millions d'habitants et sa force de frappe économique reste toujours un pays d'une grande importance. Il serait hasardeux, voire mensonger, comme le font déjà certains médias anti-AKP, de parler de «fin du miracle turc». Recep Tayyip Erdogan est particulièrement critiqué par les médias occidentaux, notamment français, qui paradoxalement ne trouvent rien à redire face à son engagement dans la crise sanglante en Syrie. La tragédie à multiples tiroir en cours dans la frontière Sud-est de la Turquie devrait peser de son poids dans l'avenir de la Turquie version Erdogan. Les images publiées par des journaux turcs montrant l'acheminement d'armes aux frontières pour les groupes extrémistes en activité sur le terrain syrien, avaient fait grande polémique. L'évolution de la guerre en Syrie pourrait bien déterminer l'avenir de l'AKP et d'Erdogan. M. B.