Le président islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan a appelé hier les partis politiques à agir avec "responsabilité" pour préserver "la stabilité" du pays. Il s'exprimait pour la première fois après le revers de son parti, l'AKP, aux législatives de dimanche. "Dans ce nouveau processus, il est d'une importance cruciale pour tous les partis politiques d'agir avec la sensibilité nécessaire et d'adopter une attitude responsable pour préserver l'atmosphère de stabilité et de confiance ainsi que nos acquis démocratiques", a indiqué M. Erdogan dans un communiqué. Le chef de l'Etat a pris acte des résultats des élections et plaidé pour la formation d'un gouvernement de coalition. "Les résultats actuels ne donnent l'opportunité à aucun parti de former à lui seul un gouvernement", a-t-il relevé. Un peu plus tôt, le vice-premier ministre Numa Kurtulmus avait jugé possible la formation d'une coalition tenant compte des nouveaux rapports de forces au Parlement. A défaut, le pays ira vers des élections anticipées.
Perte de la majorité absolue Le Parti de la justice et du développement (AKP), qui dirige seul la Turquie depuis treize ans, a essuyé un sérieux revers dimanche aux élections législatives en perdant sa majorité absolue détenue depuis 13 ans au parlement. Le parti kurde HDP fait une percée tonitruante dans le législatif. Selon les résultats définitifs, le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) arrive sans surprise en tête du scrutin mais n'a recueilli que 40,7% des suffrages et 255 sièges de députés sur 550. Résultat: le parti de M. Erdogan sera contraint de former un gouvernement de coalition pour régner. Un haut responsable de l'AKP a cependant déclaré dimanche soir, sous le sceau de l'anonymat, que son parti anticipait "un gouvernement minoritaire et des élections anticipées".
Victoire "sur la tyrannie" Elevée au rang de "faiseur de rois", la formation kurde du parti démocratique du peuple (HDP) a largement passé la barre des 10% des voix nécessaires pour être représenté sur les bancs du parlement, avec 12,9%, obtenant ainsi 80 sièges. "Nous sommes sur le point de gagner 80 sièges au parlement", s'est réjoui un député du parti, Sirri Sureyya Önder. "Ces résultats représentent la victoire de la liberté sur la tyrannie, de la paix contre la guerre", a-t-il dit. Le chef de file du parti kurde, Selahattin Demirtas, un "quadra" charismatique et ambitieux, a mené une campagne moderne, très marquée à gauche et résolument dirigée contre Recep Tayyip Erdogan et son gouvernement. Il a réussi à élargir son audience au-delà de la seule communauté kurde (20% de la population turque). Le HDP comptait 29 sièges dans l'Assemblée sortante, élus sous l'étiquette indépendante pour contourner le seuil obligatoire des 10%. Ces députés n'avaient retrouvé leurs couleurs et formé un groupe qu'une fois en fonction. Les deux autres principaux concurrents du parti au pouvoir, le parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) et le parti de l'action nationaliste (MHP, droite), obtiennent respectivement 25,1% et 16,45% des voix, soit 133 et 82 sièges. "Nous avons mis un terme à ce qui était une ère de répression par des moyens démocratiques", s'est réjoui dans la soirée le président du CHP, Kemal Kiliçdaroglu. "La Turquie a gagné, la démocratie a gagné", a-t-il insisté. Coup de semonce Vainqueur de tous les scrutins depuis 2002, l'AKP se présentait pour la première fois affaibli face aux électeurs, victime du déclin de l'économie et des critiques sur la dérive autoritaire de son chef. Ce premier "raté" électoral sonne comme une défaite pour M. Erdogan, qui avait fait de ce scrutin un référendum autour de sa personne. Premier ministre à poigne pendant onze ans, Recep Tayyip Erdogan a été élu haut la main président en août dernier. Il visait depuis lors la présidentialisation du régime et le renforcement de ses pouvoirs. Pour y parvenir son parti devrait totaliser au moins 330 sièges pour faire passer une réforme de la constitution. Alors que la charte fondamentale lui impose la neutralité, le chef de l'Etat a battu les estrades pendant des semaines en réclamant "400 députés" pour changer le système parlementaire actuel. Ce régime est "un obstacle au changement" et fait de la Turquie "une voiture qui tousse car son réservoir est vide", avait-il répété.