Durant toute une journée, les deux avocats de Abdelmoumen Khalifa ont tenté de casser les dix griefs portés contre ce dernier à travers un véritable réquisitoire contre la Banque d'Algérie et le liquidateur, contre lesquels de graves accusations ont été portées. L'un d'eux, maître Mejhouda, a annoncé le dépôt d'une plainte contre Mohamed Laksaci (gouverneur), Ali Touati (vice-gouverneur), Khemoudj (inspecteur général de la Banque d'Algérie), Mohamed Djellab et Moncef Badsi pour «crime». Les deux avocats de Moumen Khalifa, maîtres Lezzar et Mejhouda, se sont longuement étalés, hier, sur les faits reprochés à leur mandant, jugé depuis le 4 mai dernier par le tribunal criminel de Blida. Le premier à passer est Me Mejhouda. «Le mandat d'arrêt déclenché à la suite de cette affaire est une honte pour le pays», «inculpation illégale», «je n'ai jamais vu cela ailleurs», autant de qualificatifs pour exprimer le rejet de toutes les accusations portées contre Moumen Khalifa qui, du fond du box, toujours évasif, semble ailleurs. Me Mejhouda revient sur toutes les étapes. Il juge «inacceptable» cet appel du procureur, en 2004, à l'adresse des déposants et des clients d'El Khalifa Bank, pour qu'ils se constituent partie civile contre Moumen Khalifa. «Puis quelque temps après, le juge d'instruction demande au liquidateur des informations sur tous les gros déposants pour constituer un dossier. Cela n'honore nullement la justice algérienne», déclare Me Mejhouda, avant de s'arrêter sur les différentes étapes qu'a traversées Moumen Khalifa depuis la création de banque jusqu'aux poursuites judiciaires. La première étape, explique l'avocat, a été «cette période du lancement d'El Khalifa Bank, au moment où le pays traversait une période de sang qui faisait fuir les investisseurs étrangers. Lui a eu l'audace et le courage de mener cette aventure. Il n'a pas fait une embuscade aux lois algériennes, comme l'a affirmé le procureur général lors de son réquisitoire. Il était de bonne foi. Il aurait pu rester dans le médicament, mais il voulait aller plus loin», révèle Me Mejhouda, qui situe la seconde étape à la création des filiales «afin d'améliorer les activités de la banque et être autonome en matière de prestation de services : Khalifa Impression devait se charger de l'impression des documents bancaires, Khalifa Confection des tenues des équipages, Khalifa Informatique du réseau», etc. La troisième étape a été celle de la provocation de la Banque d'Algérie qui ne le laissait pas travailler. L'inspecteur général, «M. Khemoudj avait bien affirmé que le nombre d'inspecteurs consacrés au contrôle dEl Khalifa Bank est passé de 3% en 1999 à 32% en 2000 et à 46% en 2001, pour atteindre 53% en 2002. Cette présence de la Banque d'Algérie à El Khalifa Bank n'avait pas d'autre but que de faire dans la provocation», indique l'avocat. Pour lui, Abdelmoumen Khalifa «a investi au moment où d'autres ont fui le pays ; avec le retour de la stabilité les sociétés s'intéressaient à l'Algérie, mais il était là. Il avait des agences de Khalifa Bank puis de Khalifa Airways à travers de nombreuses régions du pays. Sa réussite gênait. Il fallait l'écarter de la scène. Le vice-gouverneur, Ali Touati, avait déclaré en 2007 qu'il n'arrivait pas à ‘coincer' Khalifa. Cela veut dire la Banque d'Algérie a changé sa mission, elle a troqué celle du contrôle contre celle de la destruction d'El Khalifa Bank». Me Mejhouda évoque la troisième étape, celle du «complot» à travers la suspension des opérations de commerce extérieur prise par le directeur du contrôle des changes. «En 2007, le gouverneur, Mohamed Laksaci, avait bien déclaré qu'il était obligé de prendre cette mesure en raison des importantes opérations de transfert vers l'étranger. Pourquoi a-t-elle été validée par la commission bancaire sachant que la direction du change était habilitée à signer de telles mesures ? ‘‘C'était nécessaire'', avait dit le gouverneur. Mais l'ordonnance 95/07 n'a été modifiée qu'au mois de mai 2003. D'ailleurs, le Conseil d'Etat, qui avait été saisi en 2002 dans le cadre de la même mesure imposée à Union Bank, avait débouté la Banque d'Algérie. Le gouverneur a réédité la même erreur en 2002. Pourquoi n'a-t-il pas pris en compte l'arrêt du Conseil d'Etat ?», souligne l'avocat. Il fait état d'une série d'événements marqués par «la désignation, le même jour, des membres de la commission bancaire dont les mandats ont expiré depuis longtemps, remplacés d'autres qui avaient quitté leur poste, puis désignés un rapporteur, et pris, toujours le jour même, la décision de la suspension des transferts. Il y a eu une situation de complot contre la banque», estime Me Mejhouda, avant de parler d'une autre étape, celle de l'administration provisoire «qui augurait déjà le retrait de l'agrément». Le liquidateur gravement mis en cause par la gendarmerie Même s'il ne l'affirme pas directement, l'avocat laisse supposer que l'installation de Mohamed Djellab avait un lien direct puisqu'elle a «coïncidé avec la visite officielle du président français, Jacques Chirac, avec une forte délégation d'hommes d'affaires». Il s'attarde sur le passage de l'administrateur provisoire qui, «après un mois, fait un rapport qui n'évoque pas les dépôts mais plutôt l'organisation interne de la banque». «Il a affirmé avoir trouvé dans la trésorerie un montant de 4 milliards de dinars qu'il a transféré vers la banque centrale et fait état du trou financier dans la caisse principale, causé par les 11 écritures entre sièges. Or celles-ci portent un code qui n'est pas le sien et qui n'existe pas en réalité. Comment peut-on les lui faire endosser ? Djellab dit aussi qu'après un mois il n'avait plus d'argent et que sa mission ne pouvait plus continuer. En fait, son rôle était d'entrer et de ressortir rapidement, pour procéder au retrait de l'agrément. C'est ce qui a été fait», note l'avocat. Une autre étape, celle de la «haute trahison», commence, révèle Me Mejhouda avant de lancer de graves accusations contre le liquidateur d'El Khalifa Bank, Moncef Badsi : «Le rapport préliminaire du 12 juillet 2005, établi par gendarmerie, met en cause le liquidateur Moncef Badsi et ses cadres, impliqués dans plusieurs opérations douteuses. Le liquidateur a tenté de transférer 800 000 dollars du compte de Diprochim, domicilié à El Khalifa Bank, vers un autre d'une banque privée, dans le cadre du nantissement d'une dette avec la société MVS, mais la Banque d'Algérie a refusé. Le même rapport fait état de la perte de 8 millions de dinars de matériel informatique volé du parc de Khalifa. Cela veut dire que le liquidateur n'a pas préservé les intérêts d'El Khalifa Bank.» Me Mejhouda poursuit son réquisitoire contre le liquidateur et évoque l'affaire des stations de dessalement d'eau de mer, en disant que deux sont arrivées en Algérie, mais les trois autres étaient en construction à Athène, Rome et Budapest. «Une mission a été dépêchée dans ces trois villes pour constater la construction des trois stations. Un montant de 26,5 millions d'euros a été transféré pour cette commande. Badsi n'a pas parlé de l'argent récupéré de la vente de ces stations, parce qu'il est censé protéger les intérêts de la banque. Il dit qu'il a été nommé par la commission bancaire, mais il arrête les comptes sans désignation des commissaires aux comptes. Ce qui est en violation de la loi. Le liquidateur affirmait, en octobre 2005, que les dettes d'El Khalifa Bank avaient atteint 77 milliards de dinars et, 10 ans après, ce montant devient 14 milliards de dinars. Quelle explication donner à cet écart ? C'est impensable.» Pour l'avocat, l'affaire a eu comme résultat «l'exclusion» du dossier de toutes les personnes impliquées – le gouverneur, l'inspecteur général et les membres de la commission bancaire. «Est-il normal que tous ces responsables soient ici comme témoins alors qu'ils sont à l'origine de cette affaire ? La Banque d'Algérie, qui a participé au contrôle d'El Khalifa Bank et pris la décision de lui retirer l'agrément, ne peut être partie civile. Le liquidateur ne peut arrêter les comptes sans la désignation des commissaires aux comptes, tel que prévu par la loi», lance-t-il avant d'annoncer le dépôt d'une plainte contre Laksaci, Ali Touati, Mohamed Djellab, Moncef Badsi et l'inspecteur général Khemoudj. Me Mejhouda présente un dossier en disant : «Je mets à votre disposition ce dossier sur leurs agissements, afin qu'ils soient poursuivis pour crimes, non prescrits parce que l'affaire est toujours en cours. M. Touati a été félicité par les banques étrangères, et Djellab promu PDG du CPA pour avoir mis 14 000 Algériens, qui travaillaient pour Khalifa, au chômage.» Il rappelle l'assassinat de Jules César, l'empereur romain, qu'il compare à Khalifa en disant qu'il a été tué deux fois : «Une première fois par le vice-gouverneur et une seconde fois, par les membres de la commission bancaire.» «Khalifa a été assAssiné deux fois comme l'a été l'empereur Jules César» Me Mejhouda revient sur les circonstances de l'instruction autour de cette affaire, déclenchée à la suite de la découverte du trou dans la caisse principale, liée aux 11 EES (écritures entre sièges). Le liquidateur a chargé Leouch Boualem de déposer une plainte contre Akli Youcef et Chebli Mohamed. En mars 2003 à minuit, la police judiciaire a entendu un représentant de Djellab, dont les propos ont servi à établir un rapport sur la banqueroute frauduleuse et les transferts illégaux. Quelques jours après, un deuxième rapport évoque la dilapidation de deniers privés et d'abus de confiance. En juin 2004, un autre rapport cite plusieurs accusations. Une autre plainte est déposée par Badsi. L'affaire qui avait démarré avec un simple délit d'abus de confiance se transforme en un ensemble d'actes criminels. L'avocat nie toutes les preuves sur les actes d'hypothèque et s'interroge sur l'origine de ces documents. «Qui les a remis au juge ? La seule chose que nous savons c'est que le juge a fait une commission à la gendarmerie, avec les deux actes, pour exploitation. Dès le début, il y avait une volonté de rallonger la liste des accusations pour les porter à 10.» Il s'arrête sur l'accusation de malfaiteurs qui, selon l'arrêt de renvoi, est liée à trois accusés, Guellimi, Issir Idir et Khalifa qui se sont entendus pour créer cette banque. «Si on lit l'arrêt de renvoi, on relève que Khalifa est poursuivi avec 30 autres personnes, parmi lesquelles le nom de Guellimi n'est pas mentionné. On le retrouve en association avec Nadia Amirouchène, alors que Issir Idir est accusé seul d'association de malfaiteurs. Cela veut dire quoi ? Où est donc cette association de malfaiteurs ?» Pour ce qui est du faux et usage de faux, l'avocat affirme que dans l'acte d'accusation, «l'usage de faux par Moumen est lié à Kebbache Ghazi, son oncle maternel et non pas à Issir Idir, alors que pour le vol qualifié et son aggravation, il n'est pas fait mention, parce que l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction ne l'a pas retenu et la chambre d'accusation n'a pas requalifié les faits ni déclaré le non-lieu». Il précise que «l'achat de la villa de Cannes, concerne les dispositions de la loi sur le contrôle de change, dont une plainte a été déposée le 28 mai 2003 au tribunal de Chéraga, et elle est indépendante de cette affaire». A propos des deux faux actes, Me Mejhouda s'est demandé pourquoi le juge d'instruction n'a pas entendu Ladjlet Nawel de la BDL, ni les 9 employés du cabinet du notaire Me Rahal. Il indique en outre, qu'au sujet des changements opérés dans le statut, sans l'autorisation de la Banque d'Algérie, que le responsable de la banque à cette période était Ali Kaci, et non pas Khalifa. L'escroquerie, dit-il, ne peut être retenue en se basant sur les taux d'intérêt accordés aux placements et aux crédits. «Toutes les banques avaient des crédits, pour une journée, auprès de Khalifa. Djellab avait parlé de 5 milliards de dinars alloués aux banques publiques à un taux de 1%. Qui en est gagnant ?» déclare Me Mejhouda, qui indique que l'entreprise Khalifa était florissante puisqu'elle a payé 3 milliards de dinars au fisc. Au sujet des commissions versées par l'agence d'Oran aux déposants, l'avocat rappelle le contenu du rapport de la gendarmerie sur cette affaire, qui stipule que les 55 millions de dinars auraient pu être pris par le directeur de l'agence d'Oran. Pour ce qui est des 11 écritures entre sièges de la caisse principale, de 3,4 milliards de dinars, il pointe un doigt accusateur vers le caissier principal, Akli Youcef, qu'il qualifie de menteur. «Cet argent était sous la responsabilité de Akli Youcef, il pouvait se servir comme il le voulait», déclare Me Mejhouda. Il nie catégoriquement les propos, selon lesquels, Moumen Khalifa prenait de l'argent de la caisse principale en disant : «Les montants remis à Dellal Abdelwahab, son aide de camp, étaient débités du compte personnel de Moumen domicilié à Chéraga.» «Messieurs les juges faites-vous violence, réveillez-vous et faites valoir la raison» A propos du délit de corruption, l'avocat signale que Belaïd Kechar, directeur de l'agence de Blida, «a bénéficié de l'annulation de ce délit au niveau de la chambre d'accusation sans aucune base judiciaire, juste pour que Moumen soit le seul corrupteur dans cette affaire, alors qu'il n'a jamais lui-même accordé les taux d'intérêt pour les dépôts ou remis des cartes de voyage gratuites ou de soins de thalassothérapie aux dirigeants des entreprises publiques». Me Mejhouda rappelle qu'après «la catastrophe» de Khalifa, des lois ont été promulguées et appliquées à Moumen, citant le cas de celle liée au blanchiment d'argent et à l'abus de biens sociaux. «Nous vous demandons un peu de résistance. Ce sont les hommes qui construisent les Etats et non pas l'inverse. Réveillez-vous, et faites valoir la raison», dit-il avant de réclamer l'acquittement. Abondant dans le même sens, Me Nasreddine Lezzar commence par affirmer que s'il avait pris part à l'instruction, «l'affaire aurait pris une autre tournure». Il regrette l'absence de nombreux témoins à décharge et le changement des propos de ceux qui étaient présents. Selon l'avocat, Khalifa subit les tirs de quatre accusateurs, la Banque d'Algérie, les membres de la commission bancaire, le parquet général, l'administrateur et le liquidateur. Il appelle le tribunal à favoriser le principe de l'inégalité compensatrice, qui permet de privilégier l'accusé le plus faible. Il fait des clins d'œil au parquet général, qui l'a beaucoup aidé avec ses questions et au liquidateur «solidaire».