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Entre l'escalade des prix et la barrière de l'espèce
Consommation carnée
Publié dans El Watan le 15 - 06 - 2015

Au moment où partout ailleurs dans le monde de nouvelles viandes sont intégrées dans l'assiette des consommateurs, le citoyen algérien est quant à lui soumis à la forte tension sur le marché de celles-ci.
Cependant, hormis les pouvoirs publics qui n'ont jamais réussi à juguler l'envolée des prix des viandes, notamment à l'approche de chaque mois de Ramadhan, ne sommes-nous pas tous, en tant que consommateurs, à l'origine de cette infortune qui nourrit avant tout les pressions inflationnistes ?
Les animaux pourvoyeurs de viandes rouges se limitent, en Algérie, principalement aux bovins et aux ovins. La viande produite à partir de ces deux ressources animales représente, selon certaines statistiques, plus de 85% des viandes rouges consommées par les Algériens, dont une partie est bien sûr importée. Accessoirement, les caprins et les camelidés en fournissent moins de 10%. La viande de ces deux espèces est consommée particulièrement au Sud du pays, et notamment pour la caprine en milieu rural.
Les autres types de viandes rouges, à savoir la chevaline et celle du lapin, ou encore le «maigre» gibier, ne représentent que 5% seulement de l'ensemble des viandes rouges consommées en Algérie.
Concernant les viandes blanches, réputées partout dans le monde comme étant moins chères par rapport aux rouges, en plus d'être les plus dégluties, la consommation de l'Algérien se limite au poulet et à l'escalope de dinde, une chair qui s'est démocratisée depuis les années 1990.
C'est dire que chez nous, cette catégorie de viandes reste bien minime, puisque sous d'autres cieux l'aviculture englobe aussi d'autres espèces issues de la basse-cour qui fournissent de véritables délices gastronomiques, tels que le magret de ‘‘canard'' et les cuisses de ‘‘pintade''. Malheureusement, force est de constater qu'en Algérie l'élevage et la consommation de ce type de volaille demeure voilé, alors qu'en principe ils devraient basculer le ‘‘poulet'' et le marché des viandes dans son ensemble.
Par conséquence, hormis les problèmes structurels du secteur des élevages et celui de la production du bétail, d'aucuns parmi les spécialistes du réseau agroalimentaire diront qu'il est tout à fait normal que les prix de la viande et de la volaille s'envolent de façon récurrente dans nos marchés à l'approche de chaque mois de Ramadhan ou lors des fêtes religieuses.
En fait, le marché des viandes dépend essentiellement de ces deux paires d'espèces animales, qui fournissent aussi abats et sous-produits carnés, étant donné que la quasi majorité des algériens ne mangent presque aucune autre variété de viande issue des autres espèces animales.
C'est peut-être là que se situe, en partie, la flambée des prix de la viande, avec de surcroît la vive tension que l'on sait sur le marché de cette ‘‘chère'' denrée. Pis encore, l'autre alternative en matière d'alimentation carnée, à savoir le poisson et les produits de la pêche, n'offre pas de choix aux Algériens. Leurs prix sont devenus carrément inabordables, surtout avec une sardine qui frise le prix hystérique de 600 DA/kg.
Les viandes exotiques investissent l'industrie
Pendant ce temps, à l'échelle mondiale, l'exploitation de la faune aux fins de boucherie ne cesse d'augmenter. En effet, plusieurs pays, développés pour la plupart, sont en train de légaliser des viandes provenant de différentes espèces animales dites non conventionnelles ou réputées comme non domestiques. Inexorablement, cela leur permet de passer d'une consommation ‘‘exotique'' réglementée vers une production ‘‘industrielle'' légale.
Pour ce faire, ils se basent, par sondage, sur l'indice de comestibilité ainsi que sur l'acceptation de l'espèce, souvent locale, par leurs consommateurs. Ceci, bien évidemment, en excluant la barbaque des espèces sauvages et à caractère «dégoûtant» ou «inhabituel», comme la viande asine, véritable tabou alimentaire.
L'exemple le plus édifiant est celui des pays occidentaux où l'entrecôte de bison, en Amérique, et le filet de renne, en Europe septentrionale, sont aujourd'hui bien étiquetés dans les hypermarchés et enregistrent un taux de pénétration appréciable dans la filière. Aux Etats-Unis, ces deux types de viande arrivent même à détrôner ceux du ‘‘buffle'' et du ‘‘chevreau'' du Tennessee.
De même, entre le vieux et le Nouveau continent, la faune marine est de plus en plus exploitée puisque l'intégration de la viande de baleine, à côté du jambon et du rumsteck, vient de classer les Islandais au premier rang mondial de la consommation de toutes sortes de produits carnés.
Les descendants des Vikings ont ainsi augmenté leur niveau trophique et devancé par la même les Américains, grands friands de viandes, et les Japonais, fins gourmets de poissons. Mais, au-delà de la bouffetance dans ces pays, ce sont aussi leurs instances administratives et de régulation qui trouvent leurs comptes dans cette pluralité d'ordre alimentaire.
En fait, elle est considérée comme une alternative aux incontournables viandes bovines et porcines, car ces dernières sont souvent boycottées soit pour des raisons sanitaires, ou lors des périodes de crise, comme l'épisode de la vache folle ou le scandale de la viande de cheval estampillée ‘‘pur bœuf'', qui a ébranlé toute l'Europe.
Le prix et les disparités de la consommation carnée
Pour replonger dans nos marmites, il y a lieu de signaler que la production nationale en viande tourne autour de 700 000 tonnes/an, alors qu'en matière de consommation, plusieurs experts estiment les besoins annuels à 1,4 million de tonnes/an. En d'autres termes, sommes-nous encore tentés à dire, que l'Etat a raison de recourir à l'importation massive des viandes, aussi bien réfrigérées que congelées ; ceci, faut-il l'admettre, afin de combler les 50% restants des besoins de la population en protéines animales.
D'ailleurs et à juste titre, dans son rapport sur la consommation de toutes sortes de protéines, la FAO prévoit que d'ici 2050 il y aura une augmentation de la consommation de viande de l'ordre de 73% dans le monde. Elle ajoute que cette croissance variera sous l'influence des religions avec cependant de grandes disparités dans l'alimentation carnée entre les pays en plein essor et les pays pauvres.
A ce propos, il convient à juste titre de préciser que mis à part les pays musulmans, partout ailleurs dans le monde la viande de porc, dont l'espèce est très prolifique, offre un choix à plusieurs communautés, mais aussi à leurs gouvernements.
Ce qui au final se répercute sur la triade ‘‘espèce-prix-qualité''. Néanmoins, la consommation de viande porcine étant interdite par l'islam, plusieurs pays musulmans ont opté pour le développement de l'espèce la plus commune parmi leurs ressources animales. Ils ont adapté, pour cela, leur système en matière de productions animales selon des critères techniques, géographiques et climatiques, mais aussi sociaux, culturels voire même historiques.
C'est le cas de l'Iran qui depuis l'empire perse demeure le 1er pays consommateur de viande caprine au monde (avant la Grèce et la Libye) ou de l'Egypte, qui a développé une véritable industrie avicole aux abords du Nil (la 1re en Afrique et dans le monde arabe), ou encore de l'Indonésie qui tire profit de ses îles et côtes océaniques très poissonneuses afin de contrecarrer son déficit en pâturages de plaines qui entravent la production de bétail. Ainsi donc, grâce à une structuration intelligente de leurs élevages, ces pays à très forte croissance démographique ont réussi un grand pari : celui de garantir à leurs différentes couches sociales une équité dans l'accès à l'alimentation protéique.
L'agro-sociologie pour booster l'agro-industrie
En Algérie, par contre, les immenses étendues steppiques et les plaines côtières n'ont ostensiblement pas réussi à produire le cheptel requis à une production bouchère suffisante qui impacterait directement les prix des viandes, aussi bien à l'abattoir qu'au niveau des étals. En réalité, dans un pays comme l'Algérie où les traditions pastorales sont bien ancrées, le cheptel national ovin qui est, à titre d'indication, le principal pourvoyeur du marché en viandes rouges, n'a pas été jusque-là d'un grand apport à la filière, même si l'effectif actuel, estimé à 26 millions de têtes, a enregistré une légère croissance ces dix dernières années.
Car, ce qu'il faut surtout savoir, c'est que 60% de cet effectif est constitué de femelles que la loi sur la santé animale mais aussi la conscience interdisent l'exploitation à des fins de boucherie. Par conséquent, avec un nombre d'ovins potentiellement exploitable qui ne dépasse guère les 12 millions de têtes, cela expliquerait les raisons qui font que la viande ovine soit bien sur des charbons ardents pour une catégorie de la société.
Surtout que la filière avicole n'est pas suffisamment structurée et que par ailleurs le cheptel bovin que possède maigrement l'Algérie n'est pas d'un grand salut pour nos poêles et encore moins pour nos casseroles (Nb : 2 millions de têtes, en 2014, dont 1,2 million de vaches laitières et 800 000 têtes entre reproducteurs et veaux de boucherie).
Pour passer de l'étable à la table, et au vu de toutes ces distorsions sociales et économiques, il serait donc intéressant de se demander comment la dinde a fini par titiller les papilles de l'Algérien, à tel point que les rôtissoires à ‘‘Chawarma'' ont fini par garnir les ruelles de toutes nos villes ? Pourquoi n'en serait-il pas ainsi avec les viandes issues des autres espèces bouchères, comme le dromadaire et le cabri (J'dey) qui sont, pour la circonstance, tout autant propres et partie de nos ressources animales.
Pour rappel, le lapin, classé habituellement avec la volaille au niveau des commerces, était bien apprécié en ville ; malheureusement, même dans les zones bucoliques, ce dernier ne donne plus l'eau à la bouche.
Que dire alors de l'autruche, une espèce autochtone que l'on peut réintroduire chez nous, surtout que le poids net de cette ‘‘volaille à viande rouge'' équivaut à 4 carcasses d'agneau. Enfin, là, il ne s'agit nullement de marché de niche qui découragerait les grands circuits à s'y investir.
Mais à l'heure de la mondialisation qui a versé même dans les cuisines avec comme paradoxe l'uniformité des pratiques alimentaires, d'une part, et la diversification des sources d'aliments, d'autre part, cela mérite un diagnostic socio-économique approfondi avec une analyse précise du pôle agro-culinaire. Surtout que les différents plans de relance menés jusqu'ici dans la filière des viandes n'ont pu assurer convenablement le steak à tout les Algériens.
Le cas échéant, les discours politiques continueront certainement à garnir nos assiettes, notamment durant les périodes… de vaches maigres !
(*) Vétérinaire hygiéniste
[email protected]
Note :
La viande bovine est la viande ‘‘rouge'' issue de différents animaux de l'espèce, à savoir bœufs, buffles, taureaux, taurillons, et dans certains cas autorisés génisses et vaches sauf pour les veaux, où l'on parle de viande de veau qui est classée comme viande ‘‘blanche''.
Pour l'Afrique, la viande de brousse, issue des immenses troupeaux de gnous et d'antilopes, vient d'être autorisée à la consommation, sous conditions sanitaires et ceux du parc par certains pays du bassin du Congo.


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